Imprimer
Catégorie : Histoire
Publication :
Bataillon d’Infanterie Coloniale au bord du Petit Lac, dans la Montagne d’Ambre
Bataillon d’Infanterie Coloniale au bord du Petit Lac, dans la Montagne d’Ambre

Protégée par les difficultés que présentait son accès, la Montagne d'Ambre fut longtemps entourée de mystères et de « fady ». Presque inaccessible, noyée dans les nuages, couverte de forêts inexplorées, à la fois proche et lointaine (jusqu'à ce qu'une piste permette d'y accéder), elle représentait pour Diégo la fraîcheur et la verdure auxquelles aspirait une population qui manquait d'eau et d'arbres.

L'origine de son nom

Cap d'Ambre, Camp d'Ambre... les deux toponymes ont donné lieu à beaucoup de confusions, même dans les textes les plus officiels. S'il semble que le Cap d'Ambre doive son nom à l'ambre gris que sécrètent les baleines, l'origine du terme « Montagne d'Ambre » n'a - bien sûr- aucune connotation marine. Plusieurs interprétations, qui laissent une place importante à l'imagination de leurs auteurs, ont été avancées pour justifier un terme que la géographie ou la géologie n'expliquaient pas.
Laporte, dans son article de la Revue de Madagascar de 1934, avance : « La montagne d'Ambre, qui doit probablement son nom à la teinte que prennent pendant les mois de sécheresse, les herbages dont ses flancs sont recouverts...»
Barrat, qui arpenta la montagne en vers 1940, fournit une explication toponymique qui mêle évocation romantique et ethnologie approximative : « L'orage éclate fréquemment sur la montagne, et vus de la plaine ou de la mer, il semble que les sommets soient noyés dans le feu de la foudre. La montagne est alors zébrée d'éclairs et couverte d'énormes nuages sombres; le spectacle n'a pas été sans impressionner les indigènes, pour qui les sommets eux-mêmes sont les trônes du Roi du Feu; l'ensemble est la résidence du Roi Tonnerre : l'Ambohitra (le feu), tel est le nom indigène de la Montagne ».
En fait, et tout simplement, il semblerait que le terme provienne d'une déformation de la prononciation du mot malgache « Ambohitra » qui signifie tout simplement...la montagne !

Terra incognita

Inhabitée, difficile d'accès, la montagne d'Ambre fut pendant longtemps peu connue.

Bataillon d’Infanterie Coloniale au bord du Petit Lac, dans la Montagne d’Ambre
Bataillon d’Infanterie Coloniale au bord du Petit Lac, dans la Montagne d’Ambre
En 1863, Guinet et Gunst qui parcourent la Nord pour le compte de la Compagnie de Madagascar, se contentent de la regarder de loin. Guinet avoue « j'ai vu peu d'endroits où l'on pourrait faire de grands abatis de bois de construction » et imagine l'époque où « on aura encore une immense quantité de bois à exploiter au pied et jusqu'au sommet de la montagne d'Ambre, appelée par les indigènes Ambouïtes »(sic).
En 1887, le Bulletin de la Société de Géographie commerciale ironise : « On a parlé des bois précieux de la montagne d'Ambre. Il faudrait dépenser des millions pour pénétrer jusqu'à la forêt et amener les bois jusqu'à Diégo. Inutile d'y penser ».
En 1895, le Dr Hocquard, qui participe à la conquête de Madagascar, va étudier l'implantation d'un sanatorium : voici le récit qu'il fait de ce qu'il considère comme une véritable « expédition » :
« Depuis notre arrivée, nous nous occupons, le commandant Magué et moi, à préparer une excursion à la montagne d'Ambre, l'un des points que nous devons visiter en vue de l'installation du sanatorium. Cette montagne est éloignée d'environ 30km d'Antsirane, et comme l'ennemi tient la campagne (note: les merina du fort d'Ambohimarina), il nous faut organiser une véritable expédition ».
En fait, après une étape au fort de Mahatsinjo auquel ils arrivent difficilement en raison de la pluie, ils renonceront à leur projet : « Réveillés à 3h du matin par le commandant Pardes, qui veut se remettre en marche, nous jugeons inutile de continuer plus loin. La route qu'on nous disait être praticable aux voitures, est tout entière à faire sur une étendue de 35km; elle coûterait 300.000francs, exigerait 10 mois de travail et au moins 400 terrassiers ».
En 1903, soit près de 20 ans après l'installation française à Diego Suarez, le géologue Lemoyne constatera encore : ...« ce massif, jadis absolument impénétrable et aujourd'hui encore très difficilement accessible...».
La construction de la route jusqu'à Sakaramy, puis, plus tard jusqu'au Camp d'Ambre, permettra d'approcher la montagne mais l'Inspecteur des Eaux et Forêts Barat qui étudia la montagne d'Ambre pendant 5 ans , de 1935 à 1941, remarquait encore « Un des faits symptomatiques à cet endroit est que la montagne d'Ambre, située cependant à moins de cinquante kilomètres de Diego Suarez, est encore très mal connue; très peu d'Européens ont pénétré les impressionnants fourrés de sa haute futaie, ou contemplé la splendeur de ses lacs ».

 

Les premières explorations

Dès le début de l'occupation française du Territoire de Diego Suarez, les géologues se sont intéressés à la Montagne d'Ambre, mais, toujours en raison des difficultés d'accès, ils se sont la plupart du temps contenté de prélever des échantillons mettant en évidence la nature volcanique de la Montagne d'Ambre. C'est le cas de l'ingénieur italien Cortese (en 1886) et surtout du Revérend Baron qui, en 1896,étudie les volcans, visite un des cratères de la montagne et donne une description sommaire de la géologie de la région. L'année suivante, le commandant Bourgeois, chargé de délimiter le territoire de Diego Suarez signale une ligne de cratères semblable à celles d'Auvergne. Au niveau cartographique, l'approche de la montagne est également très vague. En 1906, le service topographique de l'Etat-Major publie une carte où la montagne d'Ambre se présente comme une ellipse uniformément verte. Par la suite apparaissent quelques rares détails, sans précision. En fait, au début du XXème siècle, la plupart des renseignements que l'on possède sur le massif sont dues au Lieutenant Landais, qui fut véritablement le premier, avec ses légionnaires, à pénétrer et à parcourir le massif pour y établir un projet de route (dont les lecteurs de la Tribune ont pu voir le tracé dans le numéro précédent), route destinée à désenclaver Antsirane en reliant la ville à celle de Vohemar.
Landais, qui découvrit la plupart des cratères, écrivit un rapport sur son exploration :  Idée acquise du régime de la Montagne d'Ambre et établit une carte au 1/50.000ème, documents qui restèrent dans les archives de la Défense et ne furent pas publiés.
C'est sur les observations du lieutenant Landais que s'appuie le géologue Lemoyne, chargé en 1902 d'une mission scientifique pour l'étude géologique de l'Extrême-Nord de Madagascar et qui publieles résultats préliminaires de ses travaux dans la Revue de Madagascar de 1903. Il reconnaît d'ailleurs très honnêtement ce qu'il doit à Landais: « Nos connaissances sur ce massif, jadis absolument impénétrable et aujourd'hui encore très difficilement accessible ,sont dues à M. le lieutenant Landais chargé de la construction de la route qui doit traverser la forêt ».
En 1933, des reconnaissances plus importantes sont menées qui permettent de déterminer le sommet de la Montagne et de reconnaître 4 lacs et 4 cratères. Mais, si le Pic Badens, situé en dehors de la forêt, avait été noté, en 1905, comme repère géodésique par les officiers de la Nièvre, les pics les plus hauts ne sont pas encore répertoriés. Il faudra attendre encore quelques années pour que l'Inspecteur des Eaux et Forêts Barat donne une description plus complète de la Montagne qu'il sillonnera de 1935 à 1941. Après lui de nombreux géologues, cartographes, botanistes et autres s'intéresseront à la Montagne d'Ambre, parmi lesquels on peut citer J de Saint-Ours, en 1958, Bésairie et Colignon (1971), J.P Karche (1972) et Rossi.

La toponymie de la montagne d'Ambre

Les toponymes qui désignent les lieux remarquables de la Montagne d'Ambre, quand ils ne sont pas d'origine malgache (plus ou moins bien transcrits) ont été donnés au départ par le lieutenant Landais ou par le géologue Lemoyne - qui se plaint que la monographie sur Diego Suarez ait changé quelques unes de leurs dénominations. Les principaux noms malgaches sont le lac Mahery (écrit « maëri » par Lemoyne, « Moëri » par la monographie), près de Sakaramy; le cratère d'Andrafiabe près de Marotaolana, le Puy Kibany. Certains noms malgaches ont été « francisés », comme on l'a vu pour Ambohitra devenu « Ambre ».
Parmi les noms donnés par le lieutenant Landais, beaucoup rendent hommage aux militaires ou aux savants qui ont participé à ses expéditions. C'est le cas du lac Texier, du nom d'un officier topographe, ou du lac Durand (officier chargé des relevages géodésiques); du Pic Badens ( colonel topographe, auteur, en 1888, d' une carte de la région de Diégo). Quant au Lac Maudit, son nom si romantique viendrait peut-être de la déformation du nom d'un compagnon de Landais, le lieutenant de Maud'huy. Cependant, d'après Barat, ce lac jouirait d'une mauvaise réputation qui pourrait justifier la déformation de son nom. En effet, autour du lac, le sol est couvert d'une épaisse couche de mousse et de lianes qui emprisonnent celui -homme ou animal- qui s'y aventure.
D'autres noms évoquent la progression dans la forêt,des explorateurs légionnaires: Lac de l'Etape, ainsi dénommé en raison d'un ancien baraquement hébergeant les soldats qui traversaient la forêt ou la Mare aux sangsues qui suppose certaines mésaventures...

La Montagne d’Ambre - Relevé des principaux cratères et des coulées de lave d’après les travaux de Landais et Lemoyne
La Montagne d’Ambre - Relevé des principaux cratères et des coulées de lave d’après les travaux de Landais et Lemoyne
Lemoyne, lors de sa mission baptisa également certains cratères-lacs, soit en leur donnant des noms de personnalités auxquelles il voulait rendre hommage: cratère Landais ; Puy Joffre ; Mont de Metz (Metz était le chef du bureau topographique de la Défense de Diego Suarez), soit en fonction de leur aspect ou de leurs caractéristiques géologiques ou botaniques : Puy Noir, Col des Fougères, Grand Lac, Petit Lac (qui fut aussi appelé « lac de la coupe verte »- nom qui lui convient parfaitement.
Certains de ces noms sont encore utilisés, d'autres ont disparu ou ont été remplacés mais les lieux, les sites, les curiosités qu'ils désignent (ou désignaient) forment ce « sanctuaire de la nature » que des hommes audacieux ont découvert et étudié, dans des conditions d'une difficulté exceptionnelle, il y a plus de cent ans et que nous découvrons à notre tour avec émerveillement.
(à suivre)
■ S.Reutt