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Catégorie : Histoire
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Enrôlements à La Réunion en 1895
Enrôlements à La Réunion en 1895

Très rapidement après la rupture des relations diplomatiques, une expédition militaire est organisée par la France qui commence ses opérations dès le mois de décembre 1894

Dès que le gouvernement français eut donné son accord à une expédition militaire sur Madagascar, le 8 décembre 1894,l’aviso Le Papin, posté à Maurice partit pour Tamatave où il arriva le 11 décembre. Le 12 décembre, le commandant Bienaimé prit possession du port de l’Est, aidé de 3 compagnies d’infanterie de marine de la garnison de La Réunion, arrivées le 3 décembre sur le Peï-Ho. Sitôt la nouvelle de la prise de Tamatave arrivée à Diego Suarez, les Français avaient attaqué les postes occupés par les Hovas dans les environs d’Antsirane.

Les combats autour de Diego Suarez

Dès le mois de décembre, Diego Suarez avait été mis en état de défense et de nouveaux ouvrages défensifs avaient été construits, de nouvelles troupes étaient arrivées et, dès les premiers jours de 1895, le corps des tirailleurs de Diego Suarez avait été réorganisé. Prenant dorénavant le nom de « tirailleurs malgaches » il fut constitué en un régiment de 3 bataillons comprenant chacun 4 compagnies. Il était commandé par un colonel appartenant, comme les officiers et les sous-officiers, à l’infanterie de marine. Chaque compagnie comprenait 4 officiers, 11 sous-officiers, 1 fourrier et 2 clairons européens, 8 sergents, 16 caporaux, 2 clairons, 71 tirailleurs de 1ère classe et 143 de 2ème classe indigènes. En réalité, en raison des difficultés de recrutement, il fallut enrôler des Comoriens pour compléter les effectifs sakalaves.
Avec l’arrivée des volontaires de La Réunion, le commandant en chef des troupes de Diego Suarez décida de « donner de l’air » à sa garnison. Les soldats de la garnison, qui comprenait 4 compagnies d’infanterie de marine, la 2ème compagnie de disciplinaires et un détachement d’artillerie, opérèrent de nombreuses sorties de reconnaissance. Au début de février, le capitaine Rouvier occupa Antongombato. Le 19 février, les troupes de Diego Suarez attaquèrent le retranchement hova du Point 6, qu’ils emportèrent après une lutte acharnée qui coûta 7 blessés aux français. Le 20 février Antanamitarana était occupé par le commandant Pardes et ses tirailleurs sakalaves. Cependant, les pluies ayant commencé, les opérations furent interrompues. Elles reprirent en avril et furent marquées par la prise de la forteresse hova d’Ambohimarina.

La prise d’Ambohimarina

Voici le récit de ce combat tel que nous le décrit le R.P Malzac, auteur de l’Histoire du royaume hova.
« Au mois d’avril, on résolut d’enlever Ambohimarina, situé à trois ou quatre heures au sud d’Antsirane sur un pic escarpé qui rendait la position imprenable. La situation des Hovas était plus critique que ne le pensaient les français. La population d’Ambohimarina s’élevait, il est vrai, à environ 4000 personnes. Mais les femmes, les enfants et les esclaves en constituaient le principal contingent. » En fait, comme nous l’avons vu dans le précédent article, les femmes et les enfants des officiers hovas étaient déjà partis, depuis le 5 novembre, ramenés à Tananarive par un bateau français. Laissons le R.P Malzac reprendre son récit : « Il n’y avait en réalité qu’un millier de combattants, n’ayant à leur service que 350 fusils Schneider et quelques canons Hotchkiss. [...] Dans la nuit du 11 au 12 avril, l’armée française se mit en marche vers Ambohimarina. Elle était composée de deux compagnies de volontaires de la Réunion sous les ordres du commandant Martin, de trois compagnies d’infanterie de Marine et d’une section d’artillerie. A 4 heures du matin, les compagnies de volontaires prenaient contact avec les avant-postes ennemis, et les culbutaient jusqu’à un bois voisin, d’où ils les délogèrent encore après un vif engagement. La nuit étant venue, les volontaires prenaient un peu de repos dans un camp formé à la hâte, lorsque, vers 9 heures, leur commandant ayant reçu des renseignements sur la situation de l’ennemi, donna l’ordre de se remettre en marche. Vers 10 heures, on prit de nouveau contact avec l’ennemi. Abrités derrière un retranchement, les Hovas fusillaient les volontaires sans leur faire grand mal. Mais attaqués à la baïonnette, ils furent aussitôt pris de panique et lâchèrent pied pour se réfugier derrière un second retranchement. Après une halte d’une demi-heure, la petite colonne française se dirige vers ce second retranchement, et à 4 heures du matin la fusillade recommence. Les Hovas, culbutés encore, s’enfuient dans toutes les directions. La victoire était décisive. » Quand le commandant Martin et ses troupes pénétrèrent dans la forteresse, ils y trouvèrent, d’après Malzac « un immense butin, les munitions, des provisions abondantes, cinq mille bœufs et des porcs et des volailles par milliers ». C’est effectivement ce que l’on lit dans les journaux français de l’époque mais, d’après d’autres témoignages, le butin fut plutôt maigre... Le gouverneur d’Ambohimarina, Ratovelo, alla se réfugier à Vohemar avec le reste de ses troupes et de la population du fort . Il semble que le trajet fut difficile puisque la marche, ralentie par les femmes et les enfants dura 15 jours au lieu des trois que durait généralement le voyage !
La prise de la forteresse d’Ambohimarina donna lieu à de multiples récits, pas toujours concordants, dans la presse française, certains insistant sur la vaillance des volontaires réunionnais, d’autres (notamment le délégué de Diego Suarez, Henri Mager),assurant que le fort était tombé sans résistance. Henri Mager, insiste aussi sur le rôle des Antankarana : « Les Antankares nous ont aidé dans cette prise, car si notre tactique militaire a préparé le succès de nos armes, nos alliés pourchassaient les hovas depuis un mois environ ; ils leur ont pris des boeufs, des esclaves et un canon qui se trouve en ce moment à Nossi-Mitsiou, chez le roi des Antankares, Tsialana. »

La participation des troupes de Diego Suarez à la prise de Majunga

Si les volontaires de La Réunion avaient été lancés à l’assaut d’Ambohimarina (avec « beaucoup de résistance et de sang-froid » d’après le rapport du Général Duchesne), c’est qu’une grande partie des troupes de Diego Suarez participaient à l’occupation de Majunga. En effet, « un détachement comprenant deux compagnies d’infanterie de marine et une section d’artillerie, sous les ordres du chef de bataillon Belin, avait été constitué, dès le 7 janvier à Diego Suarez ; il fut embarqué, les 13 et 14 janvier, à bord de la Rance et de la Romanche, qui appareillèrent ensuite pour Majunga et y arrivèrent le 16 janvier. La place avait été bombardée, dès le 14 janvier, de onze heures à midi, puis, occupée le 15, sans coup férir, par les compagnies de débarquement des bâtiments de la division navale. Les unités d’infanterie et d’artillerie de marine venues de Diego Suarez y furent débarquées, l’état de siège proclamé et le commandant Belin nommé commandant supérieur. » (Rapport du Général Duchesne).

Et pendant ce temps-là à Diego Suarez...
Les auxiliaires Sakalaves aux combats d'Ambohimarina
Les auxiliaires Sakalaves aux combats d'Ambohimarina

Depuis le 24 décembre 1894, comme nous l’avons vu dans l’article précédent, la ville était en état de siège ce qui perturbait fortement la vie quotidienne des antsiranais et empêchait les relations et le commerce avec la campagne environnante. De toutes façons, la plupart des concessions à Anamakia et à la Montagne d’Ambre avaient été pillées et l’usine d’Antongombato, la Graineterie française, occupée, avait suspendu ses travaux. Cependant, après la prise d’Ambohimarina, l’état de siège fut levé et, d’après Henri Mager « depuis cet évènement, la colonie de Diego Suarez semble vouloir respirer, et les habitants, soumis à toutes les rigueurs d’un état de siège, peuvent aller, sans danger, visiter leurs propriétés dévastées ; les concessions pourraient être cultivées et remises en valeur, mais les malheureux colons ruinés ne pourront jamais recommencer à travailler sans l’appui du gouvernement. Il y a certainement beaucoup de misères à soulager ». Mager oublie de dire que les misères à soulager sont également celles de la population malgache prise entre deux feux...
La parole étant aux canons, le rôle des civils devint moins importants et le Gouverneur Froger, qui avait été un de ceux qui avaient poussé à la guerre par son intransigeance, commença à disparaître de la vie publique antsiranaise au profit des administrateurs et surtout des militaires. Il faut dire que la situation politique de Diego Suarez n’était pas claire : il n’y avait plus à Tananarive de Résident français dont dépendait le Territoire et Madagascar était encore un royaume gouverné par la Reine. Par ailleurs, la longue rivalité entre civils et militaires sur le Territoire avait évidemment penché, en raison de la guerre, en faveur des militaires.
Pour organiser la vie administrative de Diego Suarez, le Territoire se dota alors d’un Journal Officiel publiant les décrets qui allaient régir la vie de la population hétéroclite du Territoire.

Un journal officiel pour Diego Suarez

Le Journal officiel de Diego Suarez et Dépendances commença à paraître en janvier 1895. Le premier numéro, daté du 5 janvier 1895 précise sa périodicité et son contenu :
« Article Premier. - La publication du Journal Officiel de la Colonie aura lieu à partir du 1er janvier 1895.
Article 2.- Le Journal Officiel paraîtra le 5 et le 20 de chaque mois et sera tiré à 200 exemplaires. Il contiendra tous les arrêtés, décisions et, généralement, tous les actes ou documents que l’Administration jugera utile de faire publier. »

Déjà, l’effacement du Gouverneur se fait sentir puisque, si les avis sont signés « Froger », en pratique le Secrétaire Général signe « pour ordre »
La lecture du J.O de Diego Suarez, qui paraîtra pendant 2 ans, est révélatrice de ce qui se passe à Diego Suarez pendant cette période troublée. On y apprend les nouvelles administratives, par exemple l’institution d’un Conseil d’Administration qui siégera auprès du Gouverneur et qui comprend le Commandant supérieur des Troupes (n° du 5 janvier 1895) ; les nouvelles commerciales, comme l’arrêté portant réglementation du commerce des armes et munitions, et qui – état de guerre oblige – interdit l’importation, la vente, le transport et la détention des armes à feu, de la poudre, des balles et des cartouches. Mais le J.O prend des arrêtés plus « quotidiens » comme la réglementation des « droits à percevoir des vendeurs dans le marché d’Antsirane », marché appartenant à l’indien Charifou Jeewa ; ou bien la liste des nominations, mutations et mouvements des fonctionnaires ou négociants. Y apparaissent aussi des décisions qui relèvent davantage des opérations militaires en cours comme celle prise par le Chef de la division navale de l’Océan Indien, Bienaimé : « Le Commandant de la Corrèze exercera la surveillance de la police de la rade de Diego Suarez et sera chargé de l’arraisonnement de bâtiments. Il aura la haute main sur la Direction du Port. » (2 janvier 1895)
Au fil des numéros, on voit disparaître le rôle du Gouverneur. Dès le 5 février, les arrêtés sont promulgués par « Le lieutenant-colonel, Commandant supérieur des Troupes, chargé de l’expédition des affaires courantes en l’absence du Gouverneur ». On voit également apparaître une rubrique d’Etat-civil portant la liste des naissances, décès et mariages des ressortissants français. Le n° de mars débute par un appel aux « habitants de Madagascar » signé par le Chef de la Division navale pour obtenir le ralliement des malgaches (et principalement des « Antankares » et des Sakalaves) : « La France, émue de vos souffrances, reprend aujourd’hui ses droits et vient à votre secours. Vous pouvez compter sur son appui : venez franchement à nous et vous trouverez à l’ombre de notre pavillon aide et protection. » En fait, il s’agit surtout de remettre en marche la machine économique : « Ceux qui nous aideront comme travailleurs ou porteurs, ceux qui nous vendront leurs bœufs ou toutes autres provisions, seront régulièrement payés »... (26 janvier 1895)
Le n° du 5 avril 1895 fait un pas de plus dans le rapprochement en publiant la loi d’amnistie promulguée le 1er février 1895 par le Président de la République française :
« - Article Premier : - Amnistie pleine et entière est accordée pour toutes les condamnations prononcées ou encourues jusqu’au 23 janvier 1895 à raison :
1° De crimes, d’attentats ou de complots contre la sécurité intérieure de l’Etat
2° De délits et contraventions en matière de presse, de réunion et d’association, à l’exception de délits de diffamation et d’injures envers les particuliers ;
3° De délits et contraventions en matière électorale ;
4° De délits et contraventions se rattachant à des faits de grève. »

Les numéros suivants de 1895 ne mentionneront plus, dans l’ensemble, que la gestion des affaires courantes, ce qui tend à montrer que le calme était revenu à Diego Suarez, très éloigné des combats qui se menaient ailleurs. Le numéro du 5 août prend d’ailleurs acte de cet état de fait en publiant, sous la signature du Commandant supérieur des Troupes, l’arrêté de suppression de l’état de siège sous lequel vivait le territoire depuis fin 1894 : « Vu l’état de tranquillité actuel de la Colonie ». Autre signe de la normalisation de la situation, le J.O d’octobre 1895 retire au commandant de la Corrèze le service de l’arraisonnement pour le confier au médecin chargé des services civils : les bateaux entrant en rade de Diego Suarez seront arraisonnés pour raisons sanitaires et plus pour raisons militaires !
Ailleurs, la guerre continuait ; depuis février 1895 l’état-major du corps expéditionnaire avait été constitué et des dizaines de paquebots avaient débarqué les troupes à Majunga d’où partit l’expédition vers Tananarive. De nombreux combats émaillèrent la route vers la capitale qui capitula le 30 septembre 1895 . Mais, même si de nombreux soldats de Diego Suarez, français ou malgaches, participaient aux opérations, le calme était revenu à Diego Suarez. Et peut-être trop : Diego Suarez allait désormais être, pour plusieurs années, une ville assoupie...
■ Suzanne Reutt