A Madagascar, les récifs coralliens couvrent une superficie de plus de 2 000 km2. De Toliara à Antsiranana et du cap d’Ambre à Toamasina, ils longent environ 1 400 km de côte. A l’heure où le projet de gestion communautaire de la Mer d’Emeraude peine à se mettre en place et à être accepté par les populations de pêcheurs riveraines, notre journaliste a mené l’enquête à Tulear dans le cadre de sa formation sur la gouvernance des ressources naturelles proposée par le PGM-E/GIZ en collaboration avec la Fondation Friedrich Ebert.
Vingt sept ans après le premier bilan de santé du Grand Récif barrière de Toliara et la première alerte lancée aux responsables environnementaux et autorités sur le danger qu’encoure la survie du Grand Récif, cet écosystème unique continue de se déteriorer. En cause ? Les hommes et leurs activités.
Des filets à mailles réduites, des moustiquaires qui font office de filet, le recours aux poisons laro pour tuer les poissons, l’utilisation de filet pour la pêche dans les récifs : les méthodes qui mettent en péril la biodiversité des récifs coralliens de la région atsimo andrefana sont nombreuses. Le Grand Récif de Toliara est trop fréquenté. Les océanographes de l’institut de Recherche pour le Développement et de l’Institut Halieutique et des Sciences Marines ont établi cette fréquentation à 6 à 8 personnes par jour et par km2 et « le taux de destruction par pêcheur, autour de 7,7 m2 par homme et par jour » . S’ajoute à cela, les effets de la dégradation de l’environnement terrestre qui affecte la mer et les récifs.
Pourtant, des textes réglementaires visant à préserver ces zones sensibles ont été adoptés, un projet d’appui aux communautés de pêcheurs a été réalisé de 2006 à 2014 avec le financement de la banque africaine de développement à hauteur de 5 milliards d’ariary. Par ailleurs, de nombreuses ONG agissent dans cette région pour la préservation de l’environnement marin. Alors, où est la faille ?
Une difficile application du decret relatif a la mise en compatibilite des investissements avec l’environnement
La directrice régionale de l'environnement, de l'écologie et des forêts par intérim avance le manque de moyens pour expliquer l'absence de contrôle.
La règle concernant la mise en compatibilité des investissements avec l’environnement est établie par le décret 99-954. Selon ce décret, l’investisseur doit obtenir un permis environnemental. L’octroi ou non du permis environnemental dépend d’une étude d’impact environnemental. Dans le cas où l’exploitation était déjà en cours avant la promulgation du décret MECIE, l’entreprise doit faire l’objet d’une mise en conformité pour intégrer les dimensions environnementales dans l’investissement. Ainsi, chercheurs et organismes environnementaux se posent des questions sur l’impact des déchets portuaires sur les récifs. Jusqu’à maintenantle port de Toliara n’a pas de certificat de conformité et n’a pas de plan de gestion environnemental. « Ce sont surtout les établissements publics qui ne respectent pas les règles » avance Randriamiarana Heritiana,
directeur de l’évaluation environnementale de l’Office National pour l’Environnement. Aucune étude n’a été menée jusqu’à aujourd’hui pour évaluer les effets des activités du port sur l’environnement marin et le Grand Récif qui est à quelques kilomètres seulement du port. Mais on peut se demander si dans le cas où le port obtient son certificat de conformité, l’exécution des dispositifs de son plan de gestion environnementale sera effectivement suivie et contrôlée comme l’imposent les textes légaux ?
Autre exemple : COPEFRITO, la Compagnie de Pêche Frigorifique de Toliara, collecte les produits de mer auprès de pêcheurs traditionnels. Ses activités touchent des zones sensibles dont les récifs. COPEFRITO a obtenu son permis environnemental en 2010. Le suivi de l’exécution de son cahier de charges a été réalisé deux fois. Le dernier date d’avril 2012 alors qu’il est prévu d’être fait chaque année. C’est l’ONE qui coordonne ces travaux de suivi tandis que le ministère de l’environnement, de l’écologie et des forêts assure le contrôle du respect des engagements et obligations du promoteur. Mais la question des moyens se pose : « Nous n’avons pas de moyens financiers pour les contrôles. Ils nécessitent des déplacements et des frais d’hébergement. Nous profitons des missions de suivi pour contrôler», explique Milamanana Chantal chef du service régional de l’environnement et DREEF, directeur régional de l’environnement, de l’écologie et des forêts par intérim. Cependant, le dossier présenté par le DREEF ne concerne que le suivi.
COPEFRITO n’est qu’un cas parmi d’autres. La pêche dans les récifs rapporte en effet des bénéfices conséquents à d’autres collecteurs tels que MUREX INTERNATIONAL, SICOCEAN, SOPEMO, SIN HING, SEA REINE, OCEAN, FRESH EXPORT...
Des normes contestées
Bien que des normes sociales « Dina » aient été adoptées en réunion des villageois pour la préservation des zones de pêche, il arrive que ces dina soient contournés voire violés lorsqu’ils touchent les proches de certaines personnes influentes.
Jean Martin, président de l’association TAMIA (Tahosoa Alandriake Mitambatse Ianatsono Andatabo) se rappelle d’un cas. En 2012, alors que la pêche était fermée dans la réserve marine de Sarodrano, des individus y ont quand même pénétré et pêché pendant la nuit. Bien que le « dina réserve » de l’association Tahosoa ait été autorisé par la Justice en janvier 2011, ceux qui ont commis l’infraction ont refusé de s’acquitter de l’amende. Les deux parties aux litiges, l’association Tahosoa et les pêcheurs illégaux se sont présentés devant les autorités de la commune de Saint Augustin « les voleurs ont eu la faveur des autorités et n’ont pas été sanctionnés » raconte Jean Martin. « Nous avons porté plainte, mais pas jusqu’au tribunal car l’association n’aurait pas eu gain de cause. C’est l’action conjointe de la DREF (direction régionale de l’environnement et de la forêt) et l’association qui aurait pu être efficace, mais la direction n’a pas réagi. Il n’y a pas eu de suite à cette affaire, elle aurait pu servir d’exemple pourtant. »
Cinquante réserves marines ont été mises en place par les communautés de pêcheurs avec les ONG tels que Blue venture, WCS… et dans le cadre du Projet d’Appui aux Communautés de Pêcheurs. Les réserves marines sont fermées à la pêche par tour et temporairement pour permettre aux animaux marins de se reproduire et de se développer. En mettant en place ces réserves marines, ce sont la gestion rationnelle des ressources et la conservation des espèces qui sont visées. Le Dr Colin Ratsirisija, coordinateur du PACP raconte : « il y a eu un mouvement de contestation populaire à Sarodrano en 2009, parce que les pêcheurs se sentaient punis par cette mesure. Ils ont quand même constaté combien est importante cette fermeture temporaire. Sarodrano est maintenant le village pilote du projet ». Les réserves marines concernent 350 km de côte et 92 villages de pêcheurs. Frédéric Ramahatratra, chercheur à l’IHSM soutient que la mise en place de réserves marines est nécessaire pour la gestion des ressources, mais pas pour la conservation. « Il faut plus d’espace clôturé et plus de temps de fermeture pour qu’il y ait des résultats probants, notamment pour la conservation de géniteurs» , explique t il en rajoutant, « et puis, comme la zone là où se trouve le grand récif n’est jamais fermée à la pêche, c’est là-bas que les gens compensent leur perte ».
Des associations de pêcheurs sans pêcheurs
La senne de plage est une pratique courante des pêcheurs de Saint Augustin. Le filet est fabriqué avec des moustiquaires.
Autre problème : les pêcheurs n’adhérent pas aux groupements et associations de pêcheurs. Zafiala Landry, le pêcheur de Manombo sud refuse d’intégrer l’association de sa localité. « J’ai déjà été membre, mais à une époque il y a eu distribution de matériels de pêche et beaucoup de membres dont moi-même n’ont rien reçu. Le président de l’association a profité de sa position pour les donner aux membres de sa famille ». Et la période de fermeture de la pêche ? « Je n’ai pas à la respecter parce que je ne suis pas membre de l’association. Ce sont les adhérents d’associations qui ont cette obligation. Pas moi » , soutient le pêcheur.
Noely, chef du service régional de la pêche explique que de 2003 à 2004, des associations de pêcheurs de la région de Toliara ont été dotées d’équipements et matériels de pêches, par le financement du Projet de Soutien au Développement Rural. « Les pêcheurs devaient se grouper et créer des associations pour pouvoir bénéficier de ces équipements. Les noms ont été collectés pour étoffer la liste d’adhérents, mais les leaders d’associations se sont juste servis de ces listes et les pêcheurs n’ont rien obtenu ». Il faut savoir que dans la culture vezo, c’est la production familiale qui domine. « Ce sont les groupements familiaux qu’il faut encourager. Pour qu’il y ait synergie, les partenaires techniques et financiers devraient adopter un objectif commun visant ce type de groupement » souligne M.Noely.
Le récif, jusqu’à quand ?
Sans une gestion rationnelle et durable des ressources, le stock de produits exploitables s’épuisera et la population de pêcheurs s’appauvrira. Ils risquent de se tourner vers d’autres espèces et d’autres écosystèmes, aggravant encore l’étendue des zones dégradées. Personne n’ignore pourtant que les récifs coralliens sont également des puits de carbone et jouent un rôle important dans la préservation de l’environnement marin. Une fois les barrières récifales détruites, il n’y aura plus d’obstacle entre la mer et les côtes. Les populations côtières subiront de plein fouet les catastrophes naturelles.
Pourtant elles veulent continuer à en vivre. Zafiala Landry est pêcheur depuis plus de vingt ans. Malgré la dégradation de l’environnement terrestre et marin à Manombo sud, sa commune rurale, il n’envisage pas d’autres activités pour ses fils. « J’ai une fille, elle va à l’école. Elle peut choisir le métier qu’elle voudra plus tard. Mais mes fils, ils seront mpiandriake, ils me succéderont dans cette profession » défend-il. Zafiala Landry a du mal à s’imaginer la génération future vezo avec des moyens de subsistance qui ne soient pas liés à la mer. Pour lui, il est clair que se détourner de la mer, c’est perdre son identité
Évolution de la production de la pêche dans la région Atsimo andrefana de 2010 à 2012.
Source : Service régional de la pêche et des ressources halieutiques, région Atsimo andrefana
# | 2010 | 2011 | 2012 |
Poisson | 1 721 507 kg | 2 126 457 kg | 4 701 402 kg |
Poulpe | 475 563 kg | 962 336 kg | 667 648 kg |
Calmar | 124 853 kg | 172 173 kg | 104 056 kg |
Crabes | 124 152 kg | 208 695 kg | 327 842 kg |
Zava : une vie liée à la mer
Sébastien Soulé est un pêcheur vezo. Vezo, c’est l’une des 18 ethnies que comptent officiellement la Grande île. Les vezo se distinguent des autres groupes sociaux par leur attachement à la mer. Le vezo, c’est celui qui se débrouille très bien sur la mer, celui qui vit de la mer. La personnalité d’un vezo se reflète sur sa pirogue. L’embarcation de Tovondraina Soulé Sébastien est une pirogue à balancier. Sébastien, « Zava » pour les habitants de Sarodrano, est mpiandriake. Mpi : c’est celui qui fait habituellement l’action et riake désigne la mer. Sur un des balanciers de sa pirogue, il a écrit « Hala Tsihoaia », la haine ne vous emmènera nulle part. Conviction du propriétaire qui explique que le bonheur ne vient pas du mal infligé aux autres. « La réussite ne dépend que de soi » souligne-t-il avec ferveur. Zava a 41 ans, il ne se souvient pas de l’âge auquel il a su nager et monter sur une pirogue. « Les enfants partent à la mer dès environ cinq ans, filles et garçons » dit-il. Le village de Zava est entouré par la mer dès que la marée monte. L’appellation Sarodrano vient du fait que les premiers habitants ont eu du mal à trouver de l’eau douce.
Lorsque la mer est calme, Zava prend la mer dès 5h du matin avec un ou deux autres membres de sa famille. Si la pêche est bonne, il rejoint la ville de Toliara la matinée même pour vendre ses produits. Pour Zava et les villageois, pêcher au-delà des récifs est dangereux. « La mer est trop forte là-bas, il faut avoir une embarcation plus solide avec moteur ».La pêche dans les récifs est moins risquée. Le pêcheur en observant la couleur des coraux et du récif sait que la pêche sera bonne ou pas. Durant la saison de pluie, la pêche n’est pas bonne. Comme son village, Sarodrano se trouve à huit kilomètres de l’embouchure d’Onilahy, l’affluence du fleuve affecte la mer et inévitablement les récifs. « C’est entre le mois d’avril et novembre que le récif est bien coloré. Les poissons et les poulpes sont abondants . Pendant la saison de pluie, la température de l’eau augmente, les coraux ne peuvent pas bouger librement». Pour pallier aux difficultés de subsistance causées par l’instabilité du rendement de pêche, Zava et son épouse ont ouvert une épicerie. D’autres préfèrent cultiver l’algue rouge Eucheuma, qui sont vendus à COPEFRITO à 500 Ariary le kilo. La production se fait par couple, un mari et son épouse peuvent obtenir 8 à 10 sacs d’algues séchés tous les deux mois. Un sac pèse entre 60 et 70 kg.
Régénération de mangroves
Dans la commune rurale de Manombo sud, le sable gagne de plus en plus de terrain. Il atteint les récifs. L’érosion causée par le vent et les pratiques culturales destructifs offre un paysage proche du désert. En marrée basse, il faut traverser plus de 500m de sable et de dunes avant d’atteindre la plage. Les pêcheurs s’inquiètent car les poulpes se font rares, les terriers sont ensablés. Pour la protection de l’environnement marin et terrestre, une zone de mangroves préservée d’une superficie de 24,6 ha a été mise en place depuis 2001. La remise officielle des documents de transfert de gestion des ressources naturelles entre la DREEF et la communauté de base ou VOI est effectuée en 2012. L’objectif selon le président du VOI Mikamba est la régénération de la mangrove. Fidèle Mahasolo Victor explique que cette zone préservée est composée d’un espace de reboisement, d’un endroit où les habitants ont un droit d’usage et une zone de conservation. « Les gens apprennent peu à peu à gérer durablement nos ressources. Ils ne peuvent pêcher ou faire des coupes de palétuviers dans cette réserve sans une autorisation du VOI » soutient-il. La communauté de base compte 60 membres. Les techniciens environnementaux de la DREEF affirment que l’évolution du rendement de crabes est dûe la régénération de mangroves et à la mise en place de ces zones protégées.
■ V.M