Les holothuries, appelées également concombres de mer, font partie des espèces qui contribuent au maintien de l’équilibre de l’écosystème marin mais qui peuvent également contribuer à l’amélioration de l’économie du pays. Mais la surexploitation dont ils font l’objet à l’heure actuelle risque d’entraîner leur disparition des eaux la Grande Île à court terme
Un arrêté ministériel non appliqué
Selon le Dr Landy Soambola Amélie, responsable du parcours science marine au sein de l’université d’Antsiranana, « malgré le fait qu’un arrêté ministériel soit sorti au mois de mai de cette année, la population et surtout les exploitants des concombres de mer ne semblent pas la respecter ni la mettre en pratique. Dans cet arrêté ministériel, toutes sortes de techniques d’exploitation de concombres de mer sont suspendues jusqu’à nouvel ordre, sauf l’aquaculture. Mais jusqu’à présent, cette loi s’applique juste pour les ‘ pauvres ’. Selon les personnes ressources à Ambanja, il y a des étrangers, notamment des asiatiques, qui n’ont pas peur de cette loi et qui sont sous couvert de quelques hautes autorités. De ce fait, ils continuent l’exploitation de cette ressource même si la réserve diminue de plus en plus et à grande échelle ». Pour ce qui en est de l’aquaculture, seul la ville de Tuléar a un site d’aquaculture breveté et réglementaire. Néanmoins, de Nosy Be à Ambanja, il existe plusieurs éleveurs de concombre de mer, mais ceux-ci sont encore dans l’informel. Une proposition de formalisation a été adressée au ministère de la pêche et des ressources halieutiques à la suite de laquelle ces éleveurs artisanaux, une fois formalisés, pourront collaborer avec l’université en vue d’améliorer leurs ressources et leur rendement.
Des solutions à mettre en œuvre
« Ne pas exploiter les concombres de mer n’est pas une solution, au contraire, bien gérer les exploitations et faire en sorte que les ressources ne se tarissent pas, là est la solution » a expliqué le Dr Landy Soambola Amélie. D’ailleurs dans cette perspective, la faculté de sciences de l’université d’Antsiranana, par le parcours science marine, a le projet de récolter les données bio-écologiques de la baie de Diego Suarez afin d’identifier les points problématiques et ce qui peut encore être sauvé. Ces données seront utilisées pour mettre en place une réserve. Cette collecte sera faite sur un an, selon les estimations. « Nous voulons que la baie de Diego Suarez soit une aire protégée. Mais protégée dans le sens qu’elle soit gérée de façon durable en prenant en compte tous les secteurs tels que le tourisme, la culture, la recherche scientifique et le transport. Au mois de mai, il y aura un colloque à l’université d’Antsiranana qui sera une occasion de lancer le projet » explique le Dr Landy Soambola Amélie. Outre ce projet d’aire protégée, la spécialiste a aussi mis l’accent sur la maîtrise des données bio-écologiques sur l’aquaculture des concombres de mer dans la partie nord de l’île. Selon elle, il faut axer les études sur les espèces d’holothuries qui sont propices à la région et qui existent dans cette localité. Il faut également que soit mise en place une « formation en grossissement des holothuries » afin de compléter les savoirs de plusieurs éleveurs qui ont déjà leur « brevet d’éclosion ». Le Dr Landy Soambola Amélie a rappelé le fait que la protection et la pérennisation de cette ressource est une affaire de tous.
Les holothuries en quelques mots
(Appui documentaire ONG C3)
Les holothuries sont une classe d'animaux marins invertébrés de l'embranchement des échinodermes au corps mou et oblong, et possédant un cercle de tentacules autour de la bouche. Elles sont aussi appelées concombres de mer ou bêches de mer ou encore triko Holothuria scabra ou zanga en malagasy. Il y a plus de 1 250 espèces recensées dans le monde. Plus d’une trentaine d’espèces de bêches de mer sont exploitées autour de Madagascar : holothuries à mamelles noires, holothuries à mamelles brunes, holothuries à mamelles blanches, holothuries de sable, holothuries de sable noires, holothuries de sable rouges, holothuries ananas, Stichopus variegatus (curryish), holothuries de brisants, holothuries trompe d’éléphant, Stichopus chloronotus (greenish), Halodeima atra (lollyish).
Les holothuries mesurent généralement de 10 à 30 centimètres de long et vivent pour la plupart sur le fond marin. Les holothuries vivent de la zone littorale jusqu’aux plus grandes profondeurs des océans, elles sont enfouies dans le sable vaseux, rampent sur le fond parmi les algues, ou sont logées dans les anfractuosités des rochers.
Les holothuries connaissent trois sources de nourriture : suspensivore de plancton, détritivore de détritus et dépositivore de matériel organique des sédiments du fond. Les holothuries sont dédaignées par la plupart des prédateurs marins en raison des toxines qu'elles contiennent, notamment l'holothurine, et de leurs moyens de défense parfois spectaculaires. Elles sont consommées par certaines espèces de gros mollusques, étoiles de mer, crustacés et poissons. Mais le principal prédateur reste l’homme.
Rôle et importance
Les holothuries font partie des principaux bioturbateurs de sédiments : elles sont aux sédiments marins ce que les vers de terre sont aux terres émergées. Les holothuries jouent un rôle très important dans le recyclage de la biomasse benthique dans les océans (jusqu’à 90 %) en raison de leur habitude de se nourrir des détritus mélangés au sable dans le fond marin à grande échelle, de la surface jusqu’aux abysses. Lorsque des populations d’holothuries sont localement décimées, cela a un impact négatif sur l’environnement qui devient inhabitable pour d’autres espèces puisqu’il n’y aura plus de décomposition des détritus.
Comment sont-elles exploitées ?
58 espèces d’holothuries sont significativement exploitées pour la consommation humaine, intensément pêchées et braconnées pour alimenter notamment le marché asiatique, et plusieurs ont connu un effondrement spectaculaire de leurs populations, avec parfois des conséquences néfastes sur les écosystèmes. Les toxines qu'elles contiennent interdisent généralement de les manger crues ou non préparées. De Madagascar dans l’Océan Indien au Pacifique, les concombres de mer sont récoltés pour prélever leurs téguments, sur un mode principalement artisanal mais localement relativement intensif. Sur place, on les mange bouillis, séchés, marinés, en potage ou encore frits : la technique du séchage est la plus appropriée à l'exportation vers l'Asie du Sud-est, qui demeure la principale raison de cette pêche dans les pays insulaires. Les holothuries sont aujourd'hui pêchées pour être mangées dans plus de 70 pays.
Holothuries dans un magasin d’alimentation en asie
L’holothurie de sable, de haute qualité, peut dépasser les 1 000 dollars au kilo au marché de Hong-Kong. Environ 20 000 tonnes de produits séchés sont destinées chaque année aux consommateurs chinois. Un kilo d’holothuries pêché donne un peu moins de 100 grammes de produit sec.
Le 22 avril 2008, « Madagascar Holothurie », société anonyme de droit malgache voit le jour à Tuléar. Le but de « Madagascar Holothurie » était tout d’abord d’optimiser les installations qui, de quelques centaines d’holothuries produites à la fin de la phase de recherche en 2008, devaient permettre de produire une centaine de milliers d’individus. Il s’agissait aussi de travailler le produit fini, le trépang, dont le prix varie fortement sur les marchés asiatiques en fonction de la qualité du traitement. Grâce à la mise en fonction de Madagascar Holothurie S.A. et des fonds du projet ReCoMap (Regional Coastal Management Programme of the Indian Ocean Countries) de la Commission de l’Océan Indien permettant à deux ONG de la région de Toliara, Blue Ventures et TransMad, ont permis d’initier les premières fermes familiales de grossissement d’holothuries au sein des villages côtiers. Pendant trois années, de 2008 à 2011, la totalité de la production de juvéniles de 6 cm, soit 100 000 individus/an, a été envoyée vers huit villages répartis sur 200 km de côte faisant travailler plus de 80 personnes. Tout en gardant leur occupation de pêche traditionnelle, les villageois deviennent ainsi des aquaculteurs en s’occupant de la dernière phase du développement des concombres de mer, celle qui s’effectue en enclos en mer. Ils revendent ensuite les individus à « Madagascar Holothurie » en fin de grossissement et peuvent ainsi dégager à la revente un revenu mensuel de 100 euros dans un pays où un technicien de base en gagne 80. Madagascar Holothurie est maintenant entrée dans une société nouvelle et plus importante « Indian Ocean Trepang » dont le but est de produire plusieurs millions d’H. scabra en élevage. « Indian Ocean Trepang » travaillera avec les communautés locales de pêcheurs et permettra à plus de 300 familles de pêcheurs de se lancer dans l’aquaculture. La pêche à la bêche de mer est la principale source de revenus pour une importante proportion de la population de certains villages côtiers, 1 kg de bêche de mer séchée se vendant en moyenne à 7 USD le kilo.
Menaces et les efforts de conservation
Matériel de plongée illicite saisi en 2015 par le patrouilleur Trozona du Centre de Surveillance des Pêches
Selon l’article 7 et 10 de l’ordonnance n°93-022 concernant la pêche à Madagascar, il est interdit d’utiliser du matériel ou des appareils permettant de respirer et de rester plus longtemps sous l’eau pour pêcher les holothuries. Mais le contournement de cette réglementation permet à leurs utilisateurs de récolter une grande quantité de produit halieutique, au risque de déséquilibrer tout l’écosystème marin et entraîner une forte diminution des ressources halieutiques accessibles à la population.
L'essor économique de l'Asie du Sud-est couplé aux faibles revenus de nombreux pays coralliens où vivent les holothuries comestibles font peser de lourdes menaces sur ces espèces autrefois communes, dont certaines voient leurs stocks s'effondrer d'une manière inquiétante. Les holothuries sont des organismes particulièrement vulnérables à la pêche intensive car le renouvellement naturel de leurs populations est faible comparé à la facilité de les pêcher, ce qui a mené à certaines extinctions locales et au développement d’exploitations d’aquaculture de bêches de mer. Aujourd’hui, il existe des aires marines protégées où la pêche des concombres de mer est régulée, en particulier les limites de taille et de nombre d’individus pêchés. À Madagascar, il y a également des trafiquants de bêches de mer déguisés en chercheurs, touristes ou investisseurs.
En janvier 2016, face à la prolifération des exploitations illicites de ressources halieutiques, dont les concombres de mer dans la Grande Île, le ministère de la Pêche et des ressources halieutiques a pris la mesure de suspendre temporairement toute forme d’exploitation des holothuries. Les concombres de mer ont été le sujet d’exploitation illicite sur les côtes de Sainte-Marie, en décembre 2015. Des centaines de petites embarcations, venues essentiellement du Nord-Ouest du pays, ont jeté l’ancre au large de l’île pour pêcher des holothuries. Malgré la fermeture de la saison au mois de décembre, des pêcheurs illégaux ont utilisé des bouteilles d’oxygène pour pouvoir racler le fond marin.
■ Raitra et Angéline C.