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La forêt primaire intacte est la condition favorable à l’existence des lémuriens
La forêt primaire intacte est la condition favorable à l’existence des lémuriens

Les lémuriens, espèces qui n’existent qu’à Madagascar, sont en danger. Ils représentent Madagascar partout dans le monde, ils jouent un rôle dans la régénération des forêts, ils attirent les touristes et ont leur contribution dans l’économie du pays. Pourtant dans de nombreuses régions de Madagascar, les lémuriens sont chassés malgré les tabous et les textes en vigueur, leurs habitats sont détruits

Dans le nord de Madagascar se trouvent trois espèces de primates les plus menacées, proches de l’extinction. Parmi ces espèces, le lémurien nocturne Lepilemur septentrionalis de Sahafary, quelques individus ont été découverts récemment dans la montagne des Français. Varecia rubra (vari roux) et Propithecus perrieri (akomba jôby) sont également menacées.

La forêt primaire intacte est la condition favorable à l’existence des lémuriens.
Les lémuriens sont chassés malgré les tabous et les textes en vigueur, leurs habitats sont détruits
Les lémuriens sont chassés malgré les tabous et les textes en vigueur, leurs habitats sont détruits

Nous avons discuté avec deux hommes, engagés depuis des années dans la protection des lémuriens. Le Pr Jonah Ratsimbazafy, primatologue, secrétaire général du GERP ou Groupe d'Etude et de Recherche sur les Primates de Madagascar et le Dr Erik Patel, primatologue lui aussi, directeur du projet Duke Lemur Center, SAVA Conservation Project. Le Dr Erik Patel nous parle de la situation dans la région SAVA en matière de protection des espèces et le Pr Jonah Ratsimbazafy de la « politique » de préservation des lémuriens.

Interview du Dr Erik Patel de Duke Lemur Center

LTTD : Combien d’espèces y a-t-il dans la région SAVA (nocturnes et diurnes) ? Quelle espèce est la plus représentée et la plus menacée?
Dr Erik Patel :
La région de la SAVA a trois grandes aires protégées: le parc national de Marojejy, la réserve spéciale d'Anjanaharibe-Sud, et COMATSA (un corridor entre ces réserves et allant vers le nord à Tsaratanana). Au sein de ces trois réserves se trouvent au moins 11 espèces de lémuriens, mais probablement plus, mais il faut plus de recherches surtout sur les espèces nocturnes. Les sifakas soyeux sont incontestablement les plus rares. Il ne reste que moins de 3000 individus dans ces domaines (et Makira). Ils ne survivent pas en captivité, dans les zoos par exemple. Les Indri sont également en danger critique, on les retrouve à Anjanaharibe-Sud. La population est unique et est de couleur noire.

LTTD : Dans la région SAVA, où se situent les menaces : l’habitat, la nourriture des lémuriens ou la chasse ?
Dr Erik Patel :
Depuis le début de la crise en 2009, la chasse aux lémuriens a empiré à l'intérieur des zones protégées. Le problème fondamental est qu'il n'y a pas assez d'agents au sein du parc. La réserve spaéciale Anjanaharibe-Sud est d'environ 280 kilomètres carrés et ne dispose que de cinq agents. Bien sûr, il est vrai que pour de nombreux villages à proximité de ces réserves, il n’y a pas assez de viande. Par conséquent, nous essayons de développer des sources alternatives de protéines pour réduire la chasse aux lémuriens. L'accès insuffisant aux services de planification familiale est signalé par de nombreuses femmes dans cette région. La population de Madagascar devrait doubler d'ici 2050 selon les Nations Unies. Avec tellement d'enfants à nourrir, nous nous inquiétons que la perturbation sur l'habitat ne fera que s’accentuer. Par conséquent, nous avons un partenariat solide avec Marie Stopes pour fournir un accès aux services de planification familiale, même dans des régions éloignées.

LTTD : comment faites-vous (ou que suggérez-vous) pour mettre fin à la chasse aux lémuriens ?
Dr Erik Patel :
Les lémuriens sont mangés à la fois dans des villes comme Sambava (même s’ils essaient de le cacher, nous savons que cela se fait) et dans les régions plus éloignées. Dans les régions éloignées, nous renforçons la surveillance des forêts et augmentons nos activités de développement de la communauté (comme la pisciculture et le reboisement), cela peut aider. Toutefois, dans les villes, il n'y a aucune excuse. Les gens qui mangent des lémuriens à Sambava ne sont pas affamés. Les forces de l’ordre et l’Etat doivent prendre des mesures pour mettre fin à cette pratique.

LTTD : Comment les gens de la région SAVA perçoivent-ils la protection des lémuriens ? Sont-ils convaincus de la nécessité de préserver les lémuriens ?
Dr Erik Patel :
En fait, il semble que les gens à Andapa (100 km au sud-ouest de Sambava) sont plus prêts pour la conservation, peut-être parce qu'ils vivent beaucoup plus près des aires protégées et le WWF a beaucoup sensibilisé dans cette région pendant dix ans de 1993 à 2003. A Sambava, il y a aussi de nombreux partisans, en particulier en raison du tourisme à Marojejy, ce qui est significatif.

Dr Erik Patel de Duke Lemur Center conservation SAVA
Dr Erik Patel de Duke Lemur Center conservation SAVA

LTTD : De 2012 à aujourd’hui, comment voyez-vous les choses ? Y a-t-il une évolution dans la préservation des lémuriens et de leur habitat ?
Dr Erik Patel :
Notre projet a débuté en 2012 et je peux affirmer qu’il y a du progrès dans la région SAVA grâce à Duke Lemur Center. Par exemple, nous avons planté avec nos collaborateurs (Graine de Vie, Ranoala et MBG) plus de 150 000 arbres depuis 2012.

LTTD : Placer les lémuriens dans les zoos serait-il une solution pour éviter leur extinction ?
Dr Erik Patel :
Seulement pour quelques espèces qui peuvent survivre et se reproduire en captivité, par exemple Prolemur simus et flavifrons Eulemur. Deux d'entre eux sont en danger critique et ont des programmes d'amélioration génétique dans les zoos aux Etats-Unis et en Europe. Malheureusement, certains des lémuriens les plus rares comme les sifakas soyeux et le sifaka de Perrier et Indri sont peu susceptibles de survivre dans les zoos.
LTTD : La difficulté dans la lutte pour la préservation des lémuriens (voire de la biodiversité et de l’environnement) est-elle selon vous liée à la pauvreté ? Peut-on expliquer la destruction de l’environnement par le sous-développement ou il est possible pour un pays pauvre (économiquement) de préserver son environnement ?
Dr Erik Patel :
Bien sûr, il est plus difficile de protéger l'environnement dans les pays pauvres mais il reste possible. Les approches modernes de conservation reconnaissent l'importance de comprendre tous les facteurs locaux de perturbation de la forêt et de mieux cibler les stratégies de développement de la communauté.

LTTD : Y a-t-il une ou des particularités concernant la région SAVA que vous souhaitez appuyer ?
Dr Erik Patel :
Nous ne devons pas oublier les importantes conclusions de la récente Lemur plan d'action créé par l'UICN. J’ai participé à ce plan et le soutiens fortement. Vous avez demandé ce qui peut être fait pour sauver des lémuriens à Madagascar? Le Plan d'action Lemur a identifié trois stratégies principales:

1) renforcer l'éco-tourisme,

2) Soutenir l’association des guides locaux et la gestion communautaire des forêts

3) Développer des sites de recherche à long terme. Nous constatons que ces vingt dernières années, la conservation des lémuriens a eu le plus de succès sur les lieux où les trois stratégies ont été appliquées.

Interview du Pr Jonah Ratsimbazafy

Le GERP, l’association Groupe d’Etude et de Recherche sur les Primates de Madagascar fait entre autres des travaux de recherche dur les primates et établit des plans de conservation. Il donne des formations théoriques et pratiques sur la primatologie ainsi que des éducations environnementales afin d’améliorer l’environnement et le cadre de vie des populations vivant dans les zones périphériques des aires protégées où les primates peuvent se rencontrer et procède à la protection et conservation des primates conformément à la législation en vigueur, dans le cadre du développement durable.

LTTD : Il y a un projet triennal de préservation des lémuriens (2013-2016). Qui l’a élaboré et dans quel objectif ?
Pr Jonah Ratsimbazafy :
En Juillet 2013, des experts en conservation et en lémuriens se sont réunis pour rédiger un document de 185 pages décrivant une stratégie de trois ans pour la conservation des lémuriens de Madagascar. Ce document a été officiellement lancé à l'Hôtel Carlton à Antananarivo, présidée par Dr Russell Mittermeier, président de Conservation International devant des hauts responsables des ministères, des institutions de conservation et de recherches malagasy, des ambassadeurs, des associations et organismes non gouvernementaux, des fondations et collectifs de bailleurs et les médias. En juillet 2012, dans la même salle, lors de l’Atelier d’Evaluation de l’état de conservation des espèces de Lémurien de Madagascar, organisée par la Commission de survie des espèces (SSC) de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), 103 espèces de lémuriens ont été étudiées, 24 sont désormais classés «en danger critique», 49 sont «en voie de disparition», et 20 «vulnérable», ce qui équivaut à 94% des espèces de lémuriens dans le monde pour lesquelles les données disponibles étaient suffisantes pour permettre une évaluation adéquate par rapport aux critères de la liste rouge. Comme nous voyons et savons, les lémuriens sont menacés d'extinction surtout en raison de la destruction de leur habitat à travers l’agriculture de subsistance et l’exploitation forestière illégale. La chasse de viande de brousse est également de plus en plus croissante en dépit de nombreux tabous locaux. Le document de stratégie avait eu la participation de 80 auteurs provenant de diverses institutions, de l’administration, des associations locales et internationales, des universités, des centres de recherche et des organisations non gouvernementales nationales et internationales. Ce document contient 30 plans d'action pour les 30 sites prioritaires identifiés pour la conservation des différentes lémurien. Je tiens à signaler que les stratégies de conservation de lémuriens identifiées dans le présent document reposent sur les meilleurs exemples de projets de conservation à Madagascar, en mettant l'accent sur la participation des communautés locales à la conservation et à soutenir le développement des moyens de subsistance compatibles avec la conservation de la forêt ainsi que le développement de projets d'éco-tourisme et les stations de recherche à long terme.

LTTD : Quelle est la stratégie établie dans ce projet triennal ?

Dans le nord de Madagascar se trouvent trois espèces de primates les plus menacées, proches de l’extinction
Dans le nord de Madagascar se trouvent trois espèces de primates les plus menacées, proches de l’extinction

Pr Jonah Ratsimbazafy : Les grands thèmes de la stratégie incluent le processus d’éradication des principaux menaces affectant l’habitat des lémuriens à travers l’exploitation forestière illégale, le Tavy et les mines, la lutte contre la consommation des viandes sauvage, l’éducation et la recherche et enfin la conservation effective avec la participation des associations communautaires. Le coût du projet varie de 50.000 $ à 500.000 $ et dont le total équivaut à un budget de 7,628 millions de dollars à chercher pour les trois ans à venir.
Selon Monsieur Leon Rajaobelina, Vice-président Régional de Conservation International «la conservation est une tâche collective qui exige la participation de chacun d'entre nous. La mise en œuvre de cette stratégie de conservation de lémurien ne sera donc efficace que si nous travaillons ensemble pour relever les défis à venir. Nous ne laisserons pas les lémuriens disparaître de nos forêts parce que nous ne sommes pas seuls dans notre combat. Les lémuriens sont un patrimoine mondial pour les générations futures ».

LTDD : Comment jugez-vous la « lutte » pour la préservation des lémuriens à Madagascar ? y-a-t-il une évolution ? Elle est bien soutenue par l’Etat et par les organismes internationaux ?
Pr Jonah Ratsimbazafy :
La lutte pour la préservation des lémuriens à Madagascar s’avère difficile car la destruction de leurs habitats ainsi que la chasse de ces joyaux de Madagascar se poursuivent. Les lémuriens représentent 20% des primates du monde alors que Madagascar n’est que 0,4% de la planète terre. Les lois en vigueur ne sont pas appliquées et certaines autorités ont peur d’appliquer les textes aux délinquants. Les forêts qui hébergent ces habitants de la forêt sont maintenant moins de 10% de la forêt originale. Mais nous espérons que l’octroi d’un statut permanent par le Ministère de l’Environnement, de la Mer, de l’Ecologie et des forêts à 90 nouvelles aires protégées pourrait assurer la sauvegarde de cette richesse de Madagascar. D’ailleurs s’il existe un groupe d’animal qui symbolise la singularité de la faune de Madagascar, c’est bien les lémuriens. Les organismes nationaux et internationaux en collaboration avec les autorités malgaches soutiennent cette initiative, c’est-à-dire la conservation des lémuriens de Madagascar. Mais les amoureux de la nature espèrent et attendent encore plus d’engagement de l’Etat pour supporter les efforts des ONGs qui œuvrent pour la protection de nos lémuriens.

LTDD : Quelle est la structure ou/et l’organisation idéale à mettre en place pour une préservation et une lutte plus efficaces ?
Pr Jonah Ratsimbazafy :
A mon avis, il n’y a pas de miracles pour assurer la sauvegarde de nos patrimoines dont les lémuriens font partie. Tous les citoyens devraient être fiers et se considérer chanceux d’avoir ces lémuriens dans notre pays. Les lémuriens sont nos richesses. L’implication des communautés locales dans la conservation de nos espèces endémiques est une condition sine qua none pour assurer leur protection. La principale cause de la destruction de la forêt est la pauvreté, alors des projets de développement (amélioration de l’agriculture, élevage, etc.) devront aller de pair avec la conservation. La sensibilisation du public et l’éducation pour faire connaitre et aimer les lémuriens sont capitales. Pour Madagascar, le développement de l’écotourisme géré par les communautés locales assurera aussi la préservation de nos richesses. D’ailleurs toutes ces stratégies sont décrites dans le Plan stratégique de conservation de lémuriens 2013-2016

LTDD : « Il faut 7,6 millions de dollar pour sauver les lémuriens » qu’en pensez-vous en tant que citoyen (vu la situation à M/car), et en tant que chercheur (membre du GERP)? Le pays est plongé dans une extrême pauvreté et la priorité de nos dirigeants à l’heure actuelle est dans le social et l’économie. Quel argument à avancer pour que tout le monde soit convaincu de l’importance de ce fonds pour la préservation des lémuriens ?

La lutte pour la préservation des lémuriens à Madagascar s’avère difficile car la destruction de leurs habitats ainsi que la chasse de ces joyaux de Madagascar se poursuivent
La lutte pour la préservation des lémuriens à Madagascar s’avère difficile car la destruction de leurs habitats ainsi que la chasse de ces joyaux de Madagascar se poursuivent

Pr Jonah Ratsimbazafy : Justement quand les gens entendent ce montant $7,8 millions pour sauver les lémuriens, nombreux se demandent pourquoi ne pas utiliser de telle somme pour les humains au lieu de la destiner aux lémuriens ? Or ces $7,6 millions servent surtout à améliorer le bien-être des humains afin qu’ils ne détruisent plus de façon irrationnelle les forêts. qui assurent des services importantes aux êtres humains (eau à boire, fixation de CO2, contre l’érosion de sols etc.). Nous devrons profiter de l’existence de ces lémuriens pour améliorer notre économie par le développement de l’écotourisme. Plusieurs familles (de guides et d’agences de voyage) gagnent leurs pains quotidiens grâce aux lémuriens. Les touristes viennent à Madagascar pour voir des lémuriens et non des forêts vides …. Ces lémuriens sont des indicateurs. En les observant, on peut mesurer le degré de menaces sur l’homme. Leur extinction élimine donc ces indicateurs. La clé de notre réussite est là, mais c’est à nous d’accepter que les lémuriens ne sont pas nos ennemies. Ils nous attirent des financements. Ce n’est pas en brûlant les forêts que notre économie va se développer, alors je trouve que discuter du bien fondé d’octroyer cette somme pour la préservation des lémuriens est un faux-débat. Pour moi, ce sont les personnes qui encouragent/incitent les gens au tavy (culture sur brulis) qui les poussent au suicide. Il y a 30 ans, le Prince Philip visitait Madagascar et après son voyage de quelques jours dans la Grande île, il a dit : « Madagascar est en train de commettre un suicide écologique »… et c’est tout à fait vrai.

LTDD : Un message pour les habitants du nord de Madagascar ?
Pr Jonah Ratsimbazafy :
La partie Nord de Madagascar est riche en matière de biodiversité y compris les lémuriens car les deux grands blocs de forêts (Makira et Masoala) sont au nord. Trois (Varecia rubra, Propithecus perreri, et Lepilemur septentrionalis) sur les cinq espèces de lémuriens de Madagascar figurées dans la liste de 25 primates les plus menacés au monde sont dans les forêts du nord de Madagascar… Ainsi, ce sera un défi pour les chercheurs, autorités et populations du nord de Madagascar que ces espèces ne soient plus sur cette liste.


Duke Lemur Center conservation SAVA a pour mission de soutenir la conservation de la biodiversité à travers la recherche, l'éducation et en améliorant les moyens de subsistance des communautés locales. Duke Lemur Center conservation SAVA travaille avec ces communautés locales, les organisations non-gouvernementales, et Madagascar National Parks. SAVA Conservation est affilié à Duke Lemur Center aux Etats-Unis, qui est le plus grand centre mondial pour la conservation des lémuriens, la recherche dans le domaine de la santé et de l'élevage. Duke University est à Madagascar depuis plus de 20 ans au Parc Ivoloina et la réserve de Betampona et depuis 2012 dans la région de la SAVA. Plus précisément, pour protéger les lémuriens dans le parc national de Marojejy. De nombreuses enquêtes sur la mission de surveillance des forêts et de la population de lémuriens sont effectuées par le centre qui soutient également les chercheurs de l'Université Duke qui effectuent des recherches sur les lémuriens sauvages. Les activités de développement communautaire aident à minimiser la chasse aux lémuriens et à limiter la perturbation de l'habitat. Il est ainsi de la promotion de la pisciculture avec des espèces indigènes, fourneaux économes en combustible, l'éducation environnementale et la planification familiale http://lemur.duke.edu/protect/conservation/sava-conservation/

■ Propos recueillis par V.M

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