« Les libertés individuelles devraient être à la hauteur de l'indépendance nationale : la liberté de conscience, de penser, d'esprit et d'expression… »
Madagascar a fêté cette année à ses 56 années d’indépendance. Si les interrogations ne manquent pas dans la presse et les milieux politique sur la réalité de cette indépendance vis à vis de la communauté internationale, peu mettent en question la responsabilité des dirigeants du pays, passés et présents, dans ce qu’il est devenu. Et les projets de lois concernant la liberté de la presse ainsi que la mise en place d’une cour spéciale donnent une image inquiétante de l’avenir de la démocratie à Madagascar
Chaque année, la question qui se pose est toujours la même, le pays est-il indépendant ? Indépendant par rapport à qui et à quoi ? et les réflexions portent sur les relations de Madagascar avec la France et la communauté internationale, à en vouloir aux diverses interventions extérieures qui auraient entravé le chemin de Madagascar vers le développement ou qui violeraient sa souveraineté. Cette année, les critiques portent plus vers l’intérieur, la politique, le social, l’économie et la culture. De plus en plus de contestations marquent cette 56e année d’indépendance et pour beaucoup les manifestations culturelles et sportives organisées à travers l’île ne sont que de la diversion pour calmer les esprits. Le projet de loi portant code de la communication retient les esprits. Il sera soumis au vote des députés d’ici quelques semaines.
La liberté de la presse encadrée
La presse malagasy découvre qu’au lieu d’être abrogé, suivant les résolutions prises lors des consultations d’élaboration de l’avant-projet de loi, l’article 20 de la loi sur la cybercriminalité constitue encore la référence en matière de pénalisation des délits de presse. Les parties prenantes, consultées dans l’élaboration de l’avant-projet de loi portant code de la communication visaient la dépénalisation dès qu’il s’agit d’infractions commises dans l’objectif d’informer. Pourtant, le projet de loi confirme les répressions pénales et celles-ci sont de plus en plus sévères. De retour à l’indépendance, le pays avait pris la voie de la République et du régime démocratique et les textes régissant la communication sont censés être les garants des libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, la liberté de penser et la liberté de presse, pourtant le projet de loi est qualifié de « liberticide ». Il est prévu, entre autres que « la diffamation envers un État, les institutions de l’État et les corps constitués, les cours, les tribunaux, les forces armées par les termes des discours, appels, menaces, écrits, imprimés, affiches, dessins, annonces ou publications électroniques » est passible d’amende d’un à six millions d’ariary selon le nouveau code de la communication, ou de deux à cinq ans de prison et/ou deux à 100 millions d’ariary d’amende selon l’article 20 de la loi sur la cybercriminalité.
« La diffamation envers un État, les institutions de l’État et les corps constitués, les cours, les tribunaux, les forces armées par les termes des discours, appels, menaces, écrits, imprimés, affiches, dessins, annonces ou publications électroniques est passible de deux à cinq ans de prison et/ou deux à 100 millions d’ariary d’amende »
Article 20 du projet de loi sur la cybercriminalité
Alors que l’Érythrée célébrait au mois de mai ses 25 ans d’indépendance, le rapporteur spécial des Nations Unies, Sheila Keetharuth a soutenu à l’endroit des gouvernants que « les libertés individuelles devraient être à la hauteur de l'indépendance nationale : la liberté de conscience, de penser, d'esprit et d'expression… » La même interpellation peut et doit s’adresser à toute nation qui se déclare indépendante et donc qui prône l’Etat de droit et la démocratie. Pour prétendre à une souveraineté du peuple, il faut d’abord que celui-ci puisse jouir de ses libertés fondamentales. Omer Kalameu, conseiller en droits de l’Homme des Nations Unies, après qu’il se soit entretenu avec le président de l’Assemblée Nationale a déploré « l’esprit du texte de 2015 était axé sur la liberté et le consensus, à présent, le texte devient un moyen de répression ». 17 juin, les journalistes ont manifesté à l’Assemblée Nationale pour faire part aux députés des dangers que représente ce code. Jean Max Rakotomamonjy, président de la chambre basse a déclaré « nous avons reçu les doléances des journalistes et nous allons en tenir compte ». Reporters sans frontières quant à elle dénonce « certains articles de cette loi sont une atteinte fondamentale à la liberté de l’information […] Le journaliste n'a pas pour fonction d'être un gardien de la paix sociale mais de donner l'information, même si celle-ci dérange. La disproportion des peines envoie un message tout à fait menaçant aux journalistes qui risquent de tomber dans l'autocensure. D'autant plus que les processus de qualification des faits restent flous. Il est important que la loi ne soit pas votée en l'état et que les recommandations des journalistes soient entendues par leurs élus ».
« La disproportion des peines envoie un message tout à fait menaçant aux journalistes qui risquent de tomber dans l’autocensure »
Reporters sans frontières
« Réconciliation nationale » ou impunité ?
Alors que les députés devaient se pencher sur le projet très attendu de mise en place du PAC (Pôle Anti-Corruption), la Présidence à soumis aux débats un nouveau projet de loi relatif à la « réconciliation nationale ». Au nom de la réconciliation nationale, ce projet propose la mise en place d’une Cour spéciale pour juger les infractions économiques et financières commises entre les années 2002 à nos jours. Ce projet qui émane directement des services de la Présidence a été élaboré sans aucune concertation avec le ministère de la Justice. Selon une source proche du dossier, « cette loi raccroche des infractions qui sont de l’ordre de la délinquance en col blanc de très haut niveau, comme les détournements de fonds publics, le blanchiment d’argent ou le trafic de bois de rose. Des infractions qui n’ont rien à voir avec la réconciliation nationale ! » Par ailleurs, avec cette loi, les complices des auteurs de crimes et délits seront jugés par cette Cour spéciale pour des faits qui ne sont pas liés à la crise politique. Le risque est que des bandes organisées bénéficient de l’impunité de la justice, ou, au contraire, reçoivent de très fortes sanctions en fonction de leur positionnement politique. Cette juridiction semble pourtant superflue, car entre la Haute cour de justice - prévue dans la Constitution mais encore jamais mise en place - et les Pôles anti corruption prévus dans le premier projet de loi, toutes les institutions compétentes pour juger dirigeants et simples citoyens seront déjà créées... La désignation arbitraire des membres de cette Cour spéciale par le président de la Cour suprême est un autre facteur d’inquiétude : elle fait craindre que cette nouvelle juridiction « parallèle » ne soit en réalité taillée spécialement pour les grands trafiquants et leurs complices bénéficiant de complicités au plus haut niveau.
■ V.M