Jérôme Bignon, président d'honneur du Club des plus belles baies du monde lors de son intervention pendant la conférence
Le président d'honneur du Club des plus belles baies du monde, Jérôme Bignon, était en visite dans la Capitale du Nord de Madagascar pour faire un bilan des projets de l'association de la baie de Diego Suarez
Après une visite des principaux sites remarquables autour de la baie, une conférence s'est tenue à l'Hôtel de La Poste le 6 novembre, axée sur le projet d'implantation de la maison de la baie dans le site pilote du fokontany d'Antsisikala, dans la baie des Cailloux Blancs.
Le Club des plus belles baies du monde
La liste est longue, mais pour n'en citer que quelques unes : la baie de Grikos en Grèce, la baie de Setubal en Portugal, la baie de Californie aux Etats-Unis, la baie d'Ha Long au Viet Nam, la baie de Diego Suarez… les plus beaux sites littoraux du monde se sont rassemblés sous une même entité car ces lieux sont des sources de potentialités en matière de développement, mais sont à hauts risques. Pour la situation à Antsiranana, Jérôme Bignon a indiqué que « Diego Suarez est stratégique, un endroit magnifique, mais être un endroit magnifique ne suffit pas ». Il a alors souligné l'importance d'une collaboration avec les autorités, avec l'Université d'Antsiranana (par la faculté des sciences) pour instaurer une gouvernance et faire des études approfondies du lieu pour mieux le protéger. « On ne peut protéger quelque chose qu'on ne connaît pas » a-t-il ajouté tout en argumentant qu'il ne s'agit pas de « sanctuariser », mais de promouvoir le développement durable. Une problématique s'impose alors « comment concilier attirance et mise en valeur des sites fragiles car une trop grande fréquentation ou un aménagement touristique mal maîtrisé conduira à la destruction du lieu »
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D'après Jérôme Bignon, ces engagements impliquent des tâches difficiles qui nécessitent des efforts, de la persévérance et surtout un engagement associatif. « Il ne s'agit pas forcément de grandes actions » a-t-il déclaré, mais des actions qui se font progressivement telle qu'une éducation pour la propreté ou sur la prise de conscience quant au danger que représente les ordures sur l'environnement de la baie.
Le Club des plus belles baies du monde est constitué alors de réseaux de sites pilotes dont l'objectif est de mettre en place des sentinelles, des modèles de développement durable dans les quatre coins du monde. Les membres des plus belles baies du monde s'engagent à sauvegarder leurs patrimoines naturels, à préserver leurs identités, à respecter les modes de vie et les traditions des hommes qui y vivent. L'objectif d'un développement économique doit être compatible avec ces engagements qui correspondent d'ailleurs à l'attente de la majorité des touristes. En effet actuellement trois touristes sur cinq disent préférer un tourisme durable.
Projet d'implantation d'une maison de la baie
Le projet pour l'implantation d'une maison de la baie est évoqué par l'association de la baie depuis plusieurs années. Jacques Lallot, un ancien industriel résidant à Diego Suarez et représentant permanent du club des plus belles baies du monde à Madagascar a présenté ce projet lors de son intervention : « lors du dernier congrès du club en septembre 2012 à Setubal, Portugal, ce projet a attiré l'attention et c'est pour voir la situation sur le terrain que Monsieur Jérôme Bignon est à Diego Suarez » a expliqué Jacques Lallot. Une visite qui sera rapportée par le président d'honneur au comité directeur du club le 12 novembre pour qu'un financement et/ou un mécénat puissent être envisagés. « Pour moi, même une subvention étalée sur trois années pourrait convenir » a-t-il ajouté.
Le Domaine de l'Anse des rafales
Le projet de Jacques Lallot ou plus exactement du groupe Jacquesfac vise un développement durable qui intègre plusieurs branches d'activités : la recherche, le tourisme responsable, l'exploitation et l'exportation de miel avec la société locale TAFA ou Tavaratra Fandrama et dont les produits pourraient bénéficier du label des plus belles baies du monde après un audit approfondi … D'après Jacques Lallot, les actions menées ou à mener sont surtout d'ordre pédagogique, environnemental, monumental et social. Les infrastructures sont en cours de construction (depuis quatre ans maintenant) sur une superficie de 42 000m2. Terrain qu'il a acquis par bail emphytéotique.
Le site sur lequel est implanté le projet est le Domaine de l'Anse des Rafales, dans la Baie des Cailloux Blancs. Une baie dans la baie, accessible et protégée. La maison de la baie abritera le siège de l'association de la baie de Diego Suarez et centralisera le musée ornithologique et géologique dont le Pr Vaohita Barthélémy est le conservateur ; les étudiants de l'UNA se chargeront de l'accueil et de l'animation. La maison de la baie pourrait être aussi un poste avancé pour l'observation du littoral.
Les infrastructures à mettre en place sont donc : un chemin de randonnée écotouristique de 24 km balisé et fléché, une retenue d'eau, la maison de la baie, un bloc sanitaire, un restaurant, des logements (notamment pour ceux qui sont chargés du contrôle en matière sécuritaire ou autre), des campings qui pourraient servir aux étudiants et aux chercheurs. 1000 arbres ont été plantés et 700m de clôture végétale installés.
Jacques Lallot a soutenu par ailleurs que la contribution des jeunes à ce projet est primordiale et développe la volonté, la ténacité, la foi et la persévérance de ceux-ci. Il a surtout mentionné le cas de la fagnorovavy Tatainy (lutteuse traditionnelle) qui s'est activement engagée au sein du projet.
La baie de Diego Suarez
Laporte a fait une présentation quasi-complète de la baie de Diego Suarez et de la ville, écrits parus dans la revue de Madagascar en 1934 : « Voici Diego Suarez, base navale, défense du point d'appui, port de commerce, centre administratif, véritable citadelle de Madagascar et de l'Océan Indien. Tout y révèle l'autorité et la force. Ce n'est pas Majunga la Souriante, c'est Diégo la Sévère. La ville bâtie au fond de la baie, le long du cirque d'Antsirane et sur un plateau qui domine l'immense rade, échappe au regard indiscret du dehors et aux entreprises de l'extérieur. Formidable affaissement de l'époque des convulsions sismiques, formée par une passe comme un goulet, la baie de Diego Suarez, qui ne le cède en étendue qu'à celle de Rio de Janeiro, s'étend à plus de 20 kilomètres dans l'intérieur des terres, avec des baies secondaires et profondes, des anses dissimulées, permettant d'abriter plusieurs escadres. Dominée, d'autre part, à l'Ouest et à l'Est, par des massifs élevés et abrupts, Windsor Castle, Dover Castle, Montagne des Français, elle est protégée par ces sentinelles avancées qui veillent à la fois sur le Canal de Mozambique et l'Océan Indien ». On ne peut trouver de meilleures descriptions. Mais qu'en est-il aujourd'hui ? La baie échappe-t-elle toujours, comme le dit Laporte aux regards indiscrets du dehors et aux entreprises de l'extérieur ?
Le Pr Vaohita Barthélémy qui s'est engagé avec l'association de la baie de Diego Suarez pour la protection du lieu nous dit que « la baie est continuellement menacée », avant d'ajouter que « il ne s'agit nullement de faire du deep ecology : la protection pour la protection, mais de s'assurer qu'il y ait développement équilibré, c'est-à-dire viser un développement durable dans la protection de l'environnement ».
C'est à l'initiative de l'ancien ministre et ancien Directeur Général de la SECREN, originaire d'Antsiranana, M. Zasy Lucien ainsi que de M. Alain Sylvain, puis du Pr Vaohita Barthélémy que la baie de Diego Suarez fait partie du club des plus belles baies du monde.
Avec ses 156 km de côtes, la baie de Diego Suarez est la deuxième plus grande baie du monde. De son nom malgache de baie d'Antomboko (qui signifie trou), elle est composée de quatre baies de plus petite taille : la baie du tonnerre, Andovobatofotsy ou la baie des Cailloux Blancs (andovoka : baie, vatofotsy ; cailloux blanc), le Cul de Sac Gallois, Andovobazaha ou la baie des Français. La mer pénètre dans la baie par la passe d'Orangéa ou vavalapasy située entre Nosy Volana et le cap Andranomody. La passe est large d'un kilomètre, d'une profondeur d'une cinquantaine de mètres et traversée par un fort courant de 1 à 2,5 kn.
La baie de Diego Suarez est marquée par la légende du Libertalia et du pain du sucre, le nosy lonjo, îlot rocheux d'origine volcanique, et les cérémonies traditionnelles qui s'y pratiquent puisqu'il s'agit d'un lieu considéré sacré par les habitants. Le patrimoine naturel et culturel de la baie, son histoire maritime et les fortes traditions régionales ont permis de la considérer parmi les plus belles baies du monde.
En 1885, elle a servi de port à la flotte française et de base navale durant la colonisation. Des activités économiques y ont évolué, l'implantation notamment de la SECREN (Société d'Etudes, de Construction et de Réparation Navales) en 1945, D.C.A.N. (Direction des Construction et Armes Navales) à l'époque, de la PFOI (Pêche et Froid de l'Océan Indien) en 1991, et des infrastructures hôtelières et touristiques, sans oublier le port, le troisième de tout Madagascar.
Une baie menacée
D'après les explications du Pr Vaohita Barthélémy, la baie de Diego Suarez est exposée à trois principaux facteurs environnementaux qui la mettent en danger : le problème de l'énergie, l'érosion et la pollution de la mer, les textes qui réglementent la propriété foncière.
Toute agglomération est consommatrice d'énergie, les arbres sont exploités pour servir de bois de chauffe et la déforestation accélère l'érosion du sol. Et puisque la baie a une forme de cuvette, la boue et les déchets se déversent directement dans la mer. La mangrove (en interface entre la mer et la terre) perd ses capacités de filtration à cause de l'accumulation des sédiments. En effet, par les racines très denses des palétuviers, la mangrove empêche le déversement en masse des sédiments dans la mer. Les mangroves protègent les récifs coralliens sans parler du rôle qu'ils jouent dans la préservation des espèces : poissons, mollusques, crabes, crevettes… Pour l'importance de ces rôles des mangroves, l'association de la baie de Diego projette de constituer des réserves scolaires de palétuviers pour les élèves des Ecoles Primaires Publiques et des collèges. Des documents sur les palétuviers seront élaborés et distribués aux enseignants. En ce qui concerne l'occupation du sol, des actions seront orientées vers le ralentissement des constructions en bord de la baie, le Pr Vaohita estime d'ailleurs que la distance de 25m entre la construction et la mer est insuffisante.
Néanmoins, « il ne faut pas penser que des mesures n'ont pas été prises pour la protection de l'environnement avant l'intervention des associations et ONG qui œuvrent pour la protection de l'environnement. Dans le Nord, il y a des règles sociales qui régissent la nature. Il est fady, interdit, par exemple de toucher à certains arbres. Sans ces règles morales, les forêts seraient totalement détruites ». Actuellement, un obstacle de taille se dresse contre ces fady « les immigrants qui ne trouvent pas de valeurs en ces interdits et ceux qui travaillent dans la production de bois de chauffe ne sont pas conscients des impacts de leurs actes sur l'avenir de notre environnement et des générations futures ».
Les membres de l'association des jeunes de la baie de Diego Suarez qui dispose d'un statut bien distinct disent être prêts à assurer la relève pour la protection de la baie. Pour le moment, « le moyen dont nous disposons est notre voix, nous crierons haut et fort pour qu'on nous entende. Les industries ainsi que le bazar déversent leurs déchets dans la mer détruisant les mangroves, la faune et la flore marines ». En guise de solution, puisqu'il ne peut pas non plus y avoir de développement sans industries, ces jeunes, dont la plupart sont universitaires proposent une filtration des déchets et sollicitent l'engagement de tous les jeunes d'Antsiranana.
Avec Tranoben'ny Bobaomby (association des habitants et des originaires du Bobaomby), l'association de la baie de Diego Suarez entend faire vivre la culture sakalava et antakarana.
Le Pr Vaohita explique l'effet néfaste de certains modes de vie et de pensée : « Il faut que cette philosophie Donia disparaisse. Ce mot swahili signifiant la vie dans son cadre temporel ne prône qu'un seul principe, le plaisir ». Le Président d'honneur de l'association de la baie de Diego Suarez, indigné par cet aspect de la culture du Nord poursuit ses explications en ajoutant « le principe de réalité disparaît, la philosophie donia détruit les autres dimensions de l'être dont la spiritualité, l'affectivité et l'intellectuelle. Il n'y a plus de volonté et les disciplines scientifiques, à mon avis devraient se concentrer pour le développement du sens de l'effort, du goût de l'effort et de la joie de l'effort ».
■ V.M
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