Mounawar So Dar, musicien comorien installé à La Réunion, a passé 2 semaines à Diego Suarez dans le cadre de la résidence « Les voix de la marionnette », et du festival Zegny'Zo. Issu d'une grande famille de musiciens traditionnels comoriens, il se consacre à fond à la musique depuis sa tendre enfance. Tout au long du festival, il s'est fait remarquer par son énergie communicative déployée lors de chacun de ses concerts. L'équipe de La Tribune l'a rencontré.
La Tribune de Diego : Bonjour Mounawar. Pouvez-vous nous parler de la signification de votre nom ?
Mounawar : Mounawar, c’est mon prénom. En créole, ça signifie « Une personne à connaître » et en Arabe « Lumière » LTdD : Vous avez émerveillé le public de Diego et les festivaliers lors des afters du Zegny’Zo. Comment expliquez-vous ce succès ?
Mounawar : C’est un grand plaisir d’avoir fait partie de cette aventure. Je me suis très vite adapté à l’ambiance du Festival Zegny’Zo. J’aime beaucoup les « afters » dans les Festivals. Il n’y a pas de pression, l’ambiance est souvent sympa et surtout on rencontre plein d’artistes très intéressants. C’est comme à la maison : du coup, le public ne peut être que content ! LTdD : Lors de la première soirée de présentation des textes de la résidence, vous avez mis en musique les créations à l’aide d’un petit objet très intéressant, pouvez-vous nous en parler ?
Mounawar : Pour cette résidence des « voix de la marionnette », j’ai privilégié ma voix, et les Wii pour accompagner le travail, basé sur les émotions sonores. Ce qui est magique avec cet instrument, c’est la curiosité des gens après le show. Tout le monde veut savoir quel est donc cet instrument que j’ai à la main. Depuis quelques mois, j’utilise les Wii comme télécommande midi pour faire des samples avec ma voix. Depuis 10 ans, je bosse avec des « loopers » mais j’ai jamais été satisfait des résultats de ces machines, parce que c’était très limité à mon goût. Grâce aux voyages, aux rencontres, et avec l’expérience, j’ai pu m’approprier une autre vision des « loopers ». La « Mouna Wii » est l’assemblage de 3 Wii, qui pilote une technologie très pointue (Ableton Live + Max For Live + une programmation informatique fait maison…) Ce petit bijou qui produit des miracles sonores avec la voix n’est pas sur le marché. Aujourd’hui, nous sommes deux dans le monde à utiliser les Wii comme sampler vocal. Khalid K., qui est mon mentor, m’a initié à cette technologie. L’utilisation de la Wii dans ma musique est une nouvelle aventure qui se dessine doucement. LTdD : Quelles ont été vos impressions sur le Festival Zegny’Zo, et sur Diego Suarez plus généralement ?
Mounawar : J’ai la chance de beaucoup voyager et de voir plein d’autres cultures grâce à la musique. La première chose que j’ai sentie quand je suis arrivé à Diego, c’est mon enfance, là ou j’ai grandi. Je me suis cru à Anjouan. Du coup, je me suis senti directement à l’aise. Avec peu de moyen, on peut réaliser de grandes choses quand la volonté est là. Ce qui m’a le plus touché, c’est l’accueil des gens, leurs sourires et l’envie de faire les choses avec les moyens du bord. Du coup, ça a été une très belle expérience, inoubliable ! LTdD : Vos influences musicales semblent infinies allant de l’Afrobeat de Fela Kuti, d’un Keziah Jones ou de Ben Harper, en passant par vos inspirations d’origine traditionnelle. Vous avez tourné en Europe et dans le monde, de quoi rendez-vous aujourd’hui ?
Mounawar : Ma force dans la musique, c’est que je ne me limite pas à un style particulier. J’écoute un peu de tout. Et les rencontres avec d’autres artistes enrichissent mon expérience et ma vision de la musique. La musique, c’est une religion. C’est l’art le plus consommé au monde. Je ne pense pas qu’il y a une bonne ou mauvaise musique. C’est juste le ressentiment émotionnel de chacun par rapport à notre histoire et notre éducation. Aujourd’hui, je me plonge de plus en plus dans la spiritualité musicale. Avec la voix, on a la capacité de guérir des maux. Depuis quelques temps, je m’intéresse donc beaucoup à la musicothérapie, et au son en trois dimensions. La musique, c’est un processus de vie, qui me sauve tous les jours et me permet d’avancer. Elle inonde chaque particule de mon existence, c’est un sentiment très difficile à expliquer tellement il touche à l’intime. LTdD : Parlez-nous un peu des Comores, quel regard portez-vous sur votre pays d’origine ?
Mounawar : Je viens de cet archipel appelé « Les Comores » (Les îles de la Lune), et aujourd’hui je me considère comme un habitant de la terre. Je suis très déçu par le système politique comorien. Depuis 1975, l’année de l’indépendance, les Comores n’ont subi que coups d’état, corruption et pauvreté. Alors que c’est un pays magnifique avec des paysages paradisiaques. Je trouve qu’il n’ y a aucune volonté politique de faire avancer les choses de manière positive aux Comores. Les dirigeants comoriens sont responsables de la misère des Comores. Il n’est pas normal que depuis plus de vingt ans, il y a toujours des problèmes d’électricité, d’eau, de santé, d’éducation… J’ai pas de leçon à donner mais on sait très bien qu’avec les énergies renouvelables comme le soleil, on peut produire de l’énergie moins chère. Même avec les déchets, on peut créer de l’électricité, et ça relancerait l’économie du pays, ça donnerait du travail aux jeunes, et les Comores deviendront un pays propre. Les idées sont là et les jeunes ont envie de faire bouger les choses. Il faut juste que les politiciens jouent le jeu et qu’ils arrêtent de mentir au peuple en pensant à leur propre intérêt. Aujourd’hui si la jeunesse fuit le pays pour aller mourir en mer, c’est parce qu’il y a quelque chose qui cloche. Les Comores devraient prendre exemple sur des pays africains comme le Botswana. Ce pays a bâti son avenir sur une administration démocratique, stable, compétente et surtout peu corrompue. Ce pays, qui lors de son indépendance en 1966 était l’un des vingt-cinq plus pauvres du monde, se classe désormais parmi les plus prospères du continent. Le Botswana pourrait facilement passer pour un modèle de réussite économique sur le continent africain. Mais ça c’est une autre histoire : je pense que beaucoup de pays dans la zone océan indien souffrent de la corruption.
■ Reccueilli par Raoul Ampinga