Le façonnage : la boule d’argile, qui repose sur une simple planchette, est progressivement mise en forme par l’artisan qui la fait régulièrement pivoter sur un morceau de carton ou de linge humidifié, en utilisant différents outils pour donner une forme.
Un procédé de fabrication ancestrale perpétué par les femmes du village leur permet d’assurer une production riche et variée qui ne demande qu’à être reconnue
A dix kilomètres d’Ambilobe sur la route de la SIRAMA direction Ambanja, dans le village de Sengaloka, toutes les villageoises se consacrent exclusivement à la poterie. Exploitant les ressources naturelles de la terre qui leur fournit de l’argile, des femmes de mères en filles se transmettent un savoir-faire qui leur permet de gagner aisément leur vie. Utilisant une technique qu’on peut qualifier de « primitive », ces femmes ont néanmoins un talent évident, un désir de création qui ne demande qu’à être soutenu.
Une situation géologique favorable
A la question : pourquoi ce village s’est-il tout particulièrement tourné vers une activité telle que la poterie ? Il faut pour y répondre se rendre dans un champ cabossé situé à la périphérie du village. Trois fois par mois les femmes de Sengaloka s’y dirigent en charrette pour y extraire dans un trou la « Tany marina » (la terre vraie), de l’argile de couleur blanc/rouge qu’elles vont ensuite rapporter et distribuer à toutes les potières du village. « L’argile se renouvelle avec les pluies », nous apprennent-elles, ce qui explique que le trou d’extraction ne soit étonnement pas aussi grand qu’on pourrait le penser.
Rapportée au village, cette terre est soigneusement conservée et stockée par chaque potière sous des bâches plastiques. Avant de commercer leur fabrication de poteries, une quantité d’agile est prélevée de leurs stocks. Cette argile va reposer ensuite pendant trois jours dans des seaux troués arrosés d’eau qu’elles vont recouvrir d’un linge mouillé favorisant ainsi l’humidification de la terre. Au terme de ces trois jours, l’argile est alors prête à être utilisée.
La préparation de l’argile : L’argile est extraite du sous sol dans les environs du village (ci dessus). La terre est ensuite mise à reposer pendant trois jours après avoir été humidifiée (ci-dessous à gauche). Elle est ensuite travaillée, malaxée dans un ensemble pilon/mortier pour homogénéiser sa texture et éliminer les impuretés (ci-dessous à droite)
Un savoir-faire de mères en filles : la poterie primitive
Les gestes de fabrication auxquels nous avons pu assister dans ce village sont ritualisés, marqués par la répétition, effectués de jour en jour, de génération en génération. C’est précisément une technique dite « fabrication de poterie primitive » que nous pouvons observer dans ce village.
Tout d’abord, sur de petites planches en bois les femmes « dégraissent » l’argile en lui ajoutant une matière stabilisante pour la cuisson (en l’occurrence le sable est utilisé dans ce village) et en la pétrissant énergiquement de manière à éliminer les bulles d’oxygène qu’elle renferme. De cette façon, elles préparent l’argile prête à être travaillée.
Ensuite, accroupies devant une planche de bois à même le sol, elles rassemblent tout le matériel nécessaire (coque de noix de coco ou d’autres fruits, du tissu, des pièces de fer, de l’eau) pour le « façonnage » de la boule d’argile dégraissée. Le principe étant de ne pas utiliser de tour pour fabriquer un contenant comme un pot, un vase, un verre, une marmite, etc. Posée sur une pièce de tissu, la boule d’argile est ainsi façonnée en utilisant leur paume. Chaque outil permet soit de lisser (à l’aide d’un tissu mouillé), soit d’imposer une forme arrondie à l’intérieur du contenant grâce à la forme arrondie des fruits séchés qu’elles utilisent. Etonnamment, nous observons qu’entre chaque geste, l’argile tournecomme sur un tour, certes rudimentaire, mais tourne régulièrement grâce à une pièce de tissu qui adhère sous chaque pièce d’argile.Cette manière de tourner au fur et à mesure donne à la pièce travaillée sa forme ronde et harmonieuse. Nous avons pu observer que certaines femmes, mais très peu, façonnent également en ajustant un colombin sur les bordures pour la fabrication de vases, par exemple. Elles écrasent alors le colombin entre le pouce et l’index en appuyant vers le fond. Une technique qui ne fait cependant pas l’unanimité parmi les potières de Sengaloka.
Après le façonnage, les femmes laissent sécher leurs poteries une journée entière au soleil.
Enfin, le deuxième jour, les potières préparent le four. Une plaque de tôle est placée à même le sol. Des morceaux de bois de récupération (comme le kapokier) sont disposés tout autour. Le four est ainsi prêt à recevoir les pièces d’argile. Selon les potières, il est important de disposer chaque poterie sur la plaque dans un sens précis de manière à éviter que le vent ne s’engouffre dedans. Le vent, provoquant un choc thermique, provoque régulièrement l’éclatement des poteries. A cela, s’ajoutera le problème lors du dégraissage du mélange « de petites pierres » dans l’argile qui, nous expliquent-elles, provoquent égalementl’éclatement des poteries pendant la cuisson. Effectivement, trois sur les quinze poteries observées ce jour là ont explosé. A présent, il nous faut attendre une vingtaine de minutes que le four, recouvert de branchage, cuise les terres séchées qui deviendront des poteries. Celui-ci s’embrase, formant un magnifique bûcher lors de la cuisson.
Une à une les poteries seront retirées à l’aide d’un grand bâton sur le brasier, puis disposées sur une plaque de taule. Elles passeront de la couleur noire à la couleur rouge, de l’argile à la terre cuite brute telle que nous la connaissons habituellement.
Une fois la préparation terminée, le bois est enflammé et la cuisson dure une vingtaine de minutes
Il ne reste qu’à extraire délicatement les poterie des cendres et d’attendre qu’elles refroisissent pour qu’elles prennent leur couleur rouge caractéristique
Un marché local lucratif
De manière générale, la production de Sengaloka est tournée vers le marché régional, la demande concernant essentiellement des marmites médicinales pour les infusions. Pour illustrer cette demande, il suffit de se rendre au marché couvert d’Ambilobe qui abrite quasi en totalité des herbes, des plantes aux pouvoirs curatifs et dont certaines ont selon les usages des pouvoirs magiques. Ce marché procure en moyenne 300 000 Ariary de revenu mensuel à toutes les potières du village qui fabriquent chacune en moyenne une vingtaine de poteries par jour. Des grossistes provenant d’ Ambilobe, de Diego ou d’Ambanja viennent régulièrement sur place pour passer commande. Les marmites sont revendues dans les différentes villes, selon leur dimension, entre 800 et 2 000 Ar. Ces marmites ne servent pas uniquement aux infusions, elles sont aussi utilisées pour la cuisson d’aliments comme le riz et les plats en sauce par les villageoises. La qualité première de ces poteries après cuisson est de conserver leur porosité, c’est à dire que l’eau continue à circuler dans la terre librement. Ce qui permet d’une part de conserver des liquides frais grâce à l’évaporation (pichet réfrigérant) et d’autre part de résister au feu direct (les marmites).
Des artisans pleins de talents
Fortes de leurs expériences, les potières de ce village nous ont montré ce dont elles sont capables de réaliser. C’est le cas de ZaniaTsimanjengy diplômée du « mérite national artisan en poterie » créant devant nos yeux qui d’un vase à collerette qui d’un pichet réfrigérant qui d’une tasse au design très personnel. Tout aussi étonnant, Massane Bakar, seul homme potier du village, président le l’association des potiers de Sengaloka, qui nous a présenté sa production d’objets décoratifs en terre cuite, à base de figures animales : crocodiles, zébus, etc. Parfois, les potières élaborent des moules en terre cuite sur commande pour permettre à d’autres artisans de fabriquer des marmites en aluminium. Autant de talents cachés dans ce petit village qui mérite qu’on s’y attarde plus longuement.
En ce sens, Massane Bakar nous a confié que « tout le village cherche à constituer une association artisanale reconnue » pour plus d’ouverture sur d’autres marchés. S’organiser tel est leur souhait, ce qui permettrait de palier aux divers problèmes qu’ils rencontrent. L’achat d’un moteur par exemple pour l’évacuation de l’eau pendant la saison des pluies, dans la grotte dans laquelle ils prélèvent l’argile. Construire un four de cuisson fait également partie des préoccupations de tout un village de potières talentueuses, en recherche d’innovation et d’investisseurs.
■ CB
Contacts :
Massane Bakar, Président de l’association des potiers de Sengaloka (tél : 032 54 554 20),
ZainaTsimanjengy diplômée du mérite en poterie artisanale (tél : 033 21 510 50)