Bien que la loi sur la concurrence favorise la libre fixation des prix. Les quatre compagnies de distribution affichent les mêmes prix à la pompe
Concertation, ententes, coalitions… ces pratiques sont des entraves au jeu de la concurrence. Même si les dispositions des textes réglementaires sont explicites, la distribution de carburant à Madagascar ne s’apparente pas à un marché concurrentiel
Il est 8h30 du matin. Comme tous les jours, Zàzà est à la pêche aux clients du côté d’Ankorondrano, à Antananarivo. Zàzà est en effet un chauffeur de taxi. « Je commence mes journées vers 6h du matin tous les jours et termine vers 17h, pour rentrer en moyenne avec 20 000 ariary chaque soir » nous confie-t-il. « Chaque soir, avant de laisser la voiture à Analamahitsy, je m’approvisionne en carburant chez Shell pour pouvoir directement travailler le lendemain » explique Zàzà. Toujours d’après lui, le choix de la station est justifié uniquement par son habitude. « Les prix sont les mêmes partout. Cela a toujours été comme cela et on fait avec » souligne-t-il, avant de rajouter : « De toute façon, lorsque le prix augmente, nous essayons de déduire ces hausses des prix à la pompe de nos tarifs. Ce sont nos clients qui en paient surtout les frais. Nous n’avons pas d’autres choix ».
Comme Zàzà et surtout ses clients, de nombreux citoyens souffrent de l’absence de choix sur le marché du carburant. Etant donné que les prix affichés par tous les distributeurs sont les mêmes, les citoyens, à l’instar de Zàzà, n’ont d’autres choix que de consommer ces produits aux prix imposés sur le marché. Depuis 2013, le prix du carburant à Madagascar est administré. Un comité technique détermine les prix maxima à appliquer à la pompe pendant un mois. Les prix affichés par quatre compagnies de distribution différentes sont les mêmes dans les stations-services, cela est-il dû au système de péréquation associé au prix administré ou à une entente entre les compagnies ?
L’immixtion de l’Etat encourage l’entente entre les opérateurs
L’article 29 de la loi malgache sur la concurrence interdit les pratiques concertées, les accords entre les entreprises, les ententes expresses ou tacites ou les coalitions ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser de façon sensible le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché national ou une partie importante de celui-ci. Les alinéas 1 et 2 de cet article précisent que ces procédés consistent à « limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises » et de « faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché ».
A Madagascar, si l’on se réfère aux prix à la pompe, il n’y a pas de concurrence. En effet, qu’il s’agisse de station-service de la GALANA, de JOVENA, SHELL ou TOTAL, sur une grande partie du réseau de distribution, le prix du litre du gasoil est à 3 400 ariary et le litre de l’essence à 4 100 ariary. Rakotorova Rabetsara, dit Ralita, président du Réseau national de défense des consommateurs avance «les consommateurs sont les premières victimes de cette absence de concurrence, l’électricité coûte cher à la population puisque les centrales sont thermiques. Elles ont recours au carburant. Les transporteurs sont de grands consommateurs de carburant. Ils transportent les biens, répondant aux besoins de la population et donc les prix des biens dépendent de ceux du carburant». Pour le président du RNDC, l’alignement des prix ne peut être que le fruit d’une entente entre les quatre compagnies, et que l’Etat laisse faire.
La Banque mondiale dans sa Note de conjoncture économique de Madagascar, Gestion du prix du carburant du printemps 2019 interpelle : « depuis la période d'administration des prix en 2010, toutes les sociétés pétrolières ont appliqué des prix identiques dans tout le pays, sans chercher à jouer sur les prix pour tenter de modifier leurs parts de marché respectives. Les sociétés pétrolières et logistiques opérant à Madagascar contrôlent conjointement la chaîne d'approvisionnement et leur domination du marché les place dans une position favorable lors de la négociation de tout changement dans le secteur pétrolier susceptible de contrecarrer leurs intérêts. Par conséquent, les sociétés pétrolières agissent de manière organisée quand il s’agit de définir les prix avec le Gouvernement, indiquant une divergence considérable en matière de mise en œuvre entre les principes de libéralisation du marché prévus dans la Loi n° 2004-003 du 24 juin 2004 et la pratique actuelle » insiste-t-elle.
D’après une étude menée par le CREAM (Centre de Recherches, d’Etudes et d’Appui à l’Analyse Economique à Madagascar), le fait qu’il y ait les mêmes prix partout est une preuve suffisante de « l’absence de concurrence en matière de prix appliqués à la pompe entre les distributeurs alors que le marché est censé être libéralisé ».
Un cadre au sein d’une des quatre compagnies, qui a souhaité garder l’anonymat, soutient qu’il y a une entente entre les quatre compagnies puisque les charges sont « à peu près les mêmes » et les produits sont identiques. « Les prix peuvent être les mêmes suivant l’entente, mais les services peuvent différer d’une station-service d’une compagnie à une autre. Cela peut être l’accueil, la qualité du produit ou l’emplacement » explique-t-il, avant d’ajouter « qu’il y ait entente ou pas, c’est l’Office Malgache des Hydrocarbures qui a le dernier mot sur la fixation des prix ».
La responsable marketing de la compagnie JOVENA, Naharimiadana Herimiaina confirme ce dernier point : « l’OMH fixe les prix, mais en suivant ce qui est discuté avec les compagnies pétrolières de distribution, puisqu’il faut quand même prendre en considération les différentes charges ».
Questionné sur le rôle de l’Office dans la fixation des prix, son directeur général, Laurent Rajaonarivelo explique que « l’OMH, avec le comité technique fixe à chaque début du mois les prix maxima que les compagnies pétrolières ne doivent pas dépasser». Le DG ne confirme pas explicitement le rôle de l’OMH dans la fixation des prix affichés aux stations-services.
La concurrence ne profite aucunement à l’ensemble des consommateurs
« Les prix du carburant dans les stations-services sont identiques parce que le système de péréquation s'applique »
Laurent Rajaonarivelo DG de l'OMH
Par rapport à ces prix maxima, à quel niveau se situent les prix actuellement appliqués ? Le directeur général n’a pas accepté de répondre à la question. Quant à la possibilité pour chaque compagnie de baisser les prix par rapport à ceux affichés par les autres, il a indiqué : « les compagnies baissent les prix. Il en est ainsi en cas d’actions de promotion. Lorsque les compagnies fournissent les industries en grande quantité de carburant». Un dirigeant de société minière confirme : « le niveau du prix est parmi les critères déterminants dans le choix du fournisseur de carburant ».
Lorsque les prix du carburant baissent, cela ne concerne donc pas les usagers des transports en commun qui se trouvent de jour en jour sous la menace d’une hausse des tarifs. La baisse des prix ne profite qu’aux grandes sociétés.
Bien que la loi N°2015-014 sur les garanties et la protection des consommateurs, dans son article 4, alinéa 2, dispose que « les consommateurs doivent pouvoir disposer des éléments qui lui permettent de faire un choix en connaissance de cause et être protégés de toute information trompeuse » ; bon nombre de consommateurs directs et indirects de carburant ne savent pas pour quelles raisons le prix du carburant baisse ou augmente. De plus, bien que quatre compagnies soient présentes sur le marché, les éléments à disposition ne permettent pas de faire un choix éclairé sur les offres.
Rivo Rakotondrasanjy, fondateur et dirigeant de l’entreprise Obio Hamy déplore qu’il soit impossible de faire des prévisions. Comme les facteurs influençant les prix ne sont pas connus « Nous ne savons pas qu’est-ce qui dicte les prix : le cours mondial du pétrole? La devise ? Une entente ? L’énergie et les frais de transport constituent les plus grandes charges des sociétés. Nous ne pouvons pas anticiper les charges que vont représenter le carburant, même pas sur deux mois». Les entreprises sont dans l’impossibilité de gérer l’instabilité des prix, elles la subissent.
L'absence de concurrence dans la distribution de carburant à Madagascar est injuste et est illégale, si l'on se réfère aux textes en vigueur. Le président du Conseil de la concurrence, Herinirina Rabetrena rapporte l'existence d'une plainte déposée il y a deux ans par le ministère chargé du commerce, et d'une instruction en cours. Il n'a pas apporté plus de précision sur les motifs de la plainte, mais le Conseil devra statuer d'ici un an. Face à des irrégularités constatées par le réseau national de défense des consommateurs dans la distribution du carburant, son président proteste et souligne qu'il faut que le conseil de la concurrence s'auto-saisisse. Le magistrat Herinirina Rabetrena explique que les éléments de preuves sont plus consistants lorsqu'une plainte est déposée, l'auto-saisine ne semble donc pas de ce fait la méthode la mieux indiqué pour traiter les cas d'entraves à la concurrence.
Le système de prix administré et de péréquation est censé favoriser la bonne gestion des prix
A Madagascar, le système de péréquation est appliqué. D’après le directeur général de l’OMH, il consiste à aligner les prix de toutes les stations-services se trouvant dans un rayon de 15km d’un dépôt de carburant (la Grande île compte 22 dépôts fonctionnels). Ce qui garantit l’équité puisque l’accès à un produit dans tel ou tel endroit, à un même prix assure le même droit à toute la population.
Dans des pays comme Maurice où un organisme étatique intervient dans la détermination des prix du carburant aux stations-services, « le mécanisme permet d’atténuer sinon de rendre nuls les effets des fluctuations des prix mondiaux sur les prix du détail ». Nous pouvons lire les explications sur le site web du STC, la société d’Etat qui importe les produits pétroliers que les prix ne changent pas chaque mois. Cela ne se fait que lorsqu’il s’avère « absolument nécessaire » à la suite des changements conséquents dans le mouvement des prix sur le marché mondial. La stabilisation des prix des produits pétroliers permettent de neutraliser les entraves à la planification à long terme de toutes les activités économiques. Les détails se rapportant au fonctionnement du State Trading Corporation ainsi que le procédé suivant lequel les prix des stations-services sont fixés, sont accessibles au public.
Sur la Grande île, le prix est administré, mais comme le martèle Rivo Rakotondrasanjy, la hausse est imprévisible. Le système de péréquation et celui du « prix administré » ne facilitent pas la planification à long terme des activités économiques.
Un accès difficile aux informations concernant un secteur pourtant stratégique
Des dirigeants des compagnies pétrolières ont été contactés pour qu’ils s’expriment sur la détermination des prix aux stations-services et sur la nature de la concurrence entre les acteurs de ce marché, mais les rendez-vous ont été plusieurs fois reportés, jusqu’à la publication de l’article. D’autres ont refusé de répondre à nos sollicitations. Au ministère chargé des hydrocarbures, en réponse à notre demande d’interview, « un dialogue avec les compagnies pétrolières étant en cours, le ministère ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet jusqu’à ce que le dialogue aboutisse ». Ce qui confirme une fois de plus que la transparence dans le domaine de la distribution du carburant n’est pas le principe.
Une cinquième compagnie ?
Depuis la libéralisation du secteur pétrolier aval et pendant près de 19 ans, quatre compagnies pétrolières opèrent dans la distribution du carburant à Madagascar. Pour l’économiste, Rado Ratobisaona, il ne peut y avoir de concurrence puisqu’il y a très peu d’offres alors que les demandes sont considérables. Le directeur général de l’OMH, Laurent Rajaonarivelo rapporte que ces dix dernières années, deux sociétés ont déposé une demande auprès de l’Office pour obtenir une licence, mais celles-ci ont été soit rejetées soit irrecevables. Le bruit courait au mois de juin quant à l’intention de l’opérateur économique Mamy Ravatomanga d’investir dans la distribution de carburant et sur le fait que son groupe serait la victime des entraves des quatre compagnies. A la question, « le groupe SODIAT a-t-il déposé une demande auprès de l’OMH pour obtenir une licence pour distribuer du carburant à Madagascar ? » Le DG de l’OMH répond « à notre connaissance le groupe SODIAT ne dispose pas de licence d’hydrocarbures ».
Pour le président du Réseau national de défense des consommateurs, l’ouverture du marché à d’autres concurrents dépend des dirigeants étatiques « il faut de la volonté politique pour que le marché soit ouvert à d’autres compagnies. Nous savons que la fermeture du marché profite à certains décideurs étatiques ». L’entrepreneur Rivo Rakotondrasanjy soutient « tout le monde sait qu’il s’agit d’un rapport de force. Ce ne sont pas les associations de consommateurs ou le groupement d’entrepreneurs qui peuvent y changer quelque chose. Face au groupement des pétroliers de Madagascar, il n’y a que l’Etat qui peut faire un contrepoids. Seule la puissance régalienne de l’Etat peut contrecarrer le lobby des compagnies pétrolières. La dynamique économique en dépend. Qu’il s’agisse de l’industrie de service ou de l’industrie manufacturière. Il s’agit donc maintenant de savoir quelle est la puissance de l’Etat. »
■ Karina Zarazafy - Maholy Andrianaivo - Toavina Ralambomahay