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Catégorie : Histoire
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Quelques Unes des journaux de Diego Suarez au siècle dernier
Quelques Unes des journaux de Diego Suarez au siècle dernier

La Tribune de Diego Suarez est, à ma connaissance, le seul journal d'informations locales de Madagascar. Et, pendant longtemps, les lecteurs de Diego Suarez ont dû attendre les journaux Tananariviens pour connaître les nouvelles... qui n'étaient pas toujours (pas souvent!) celles de leur ville ou de leur région. Pourtant, il n'en a pas toujours été ainsi et, très peu d'années après sa naissance, la ville d'Antsirane a eu ses propres journaux...

La naissance de la presse à Madagascar remonte à 1866. Le premier journal en langue malgache, Teny Soa Hanalan'Andro (La bonne parole pour les loisirs) fut imprimé par les missionnaires anglais en 1866 à Tananarive. Suivi par d'autres publications, pour la plupart en français. En ce qui concerne la presse en malgache (assez active à Tananarive), elle se développera peu à Diego Suarez, peut-être en raison du type de peuplement qui était celui de Diego Suarez aux premières heures de l'occupation française.

Il faut dire que, dès 1901, par le décret du 16 février, «la publication à Madagascar de tout journal ou écrit périodique rédigé en langue malgache ou langue étrangère ne pourra avoir lieu sans autorisation préalable du Gouverneur Général»... ce qui était de nature à freiner les initiatives lorsque l'on était loin du pouvoir central. Par contre, Diego Suarez fut, avec Tamatave et Nossi-Be, (où paraissait dès 1868 Le Moniteur Officiel de Nossi-Be) une des premières villes de province à avoir ses propres journaux.

Les premières publications à Diego Suarez

A Diego Suarez, la première imprimerie lithographique est créée en 1890, c'est à dire seulement cinq ans après l'occupation du Territoire et le développement du petit village d'Antsirane par les français. Appartenant à M.Terrentroy, elle «sortait» essentiellement des imprimés administratifs et commerciaux. Cette imprimerie fonctionna jusqu'en 1898. Puis, en 1893 est créée une nouvelle imprimerie travaillant également pour l'administration et le commerce. Elle appartient à M.Hugnin qui fait paraître, deux fois par semaine, L'Avenir de Diego Suarez. Cette imprimerie fonctionna jusqu'en 1896. L'année 1894 voit s'installer une nouvelle imprimerie, fondée par M. Bailly qui publie un journal, lui aussi bihebdomadaire, Le Clairon. Ce journal, créé par M. de Laisné de la Couronne au moment où débute la conquête de Madagascar, semble avoir été destiné à soutenir le moral des troupes du corps expéditionnaire. En 1897, un journal (tiré à la gelatine), le Maki, est publié par un certain Sinibaldi. L'année suivante, Henri Mager, géographe et journaliste, délégué de Diego Suarez depuis avril 1892 au Conseil Supérieur des Colonies, fonde le Journal de Diego Suarez. Tous ces journaux sont pratiquement introuvables et nous ne connaissons parfois leur contenu que lorsqu'ils sont cités à l'occasion de certains évènements. Ayant eu une existence éphémère, leurs fondateurs ou rédacteurs semblent avoir eu principalement des visées politiques et électorales. A la même époque, Diego Suarez a également une feuille officielle le Journal Officiel de Diego Suarez. Paraissant le 5 et le 20 de chaque mois et tiré sur la presse de l'imprimerie du Clairon, le J.O de Diego Suarez sort pour la première fois le 5 janvier 1895. Publié par la Direction de l'Intérieur, c'est à dire par le Gouverneur de Diego Suarez (Le Gouverneur Froger) il publie essentiellement des arrêtés et des avis de mutation, de promotion et de sanction. Il cessera de paraître le 20 décembre 1896, après que la Colonie de Diego Suarez ait été rattachée à Madagascar. Si beaucoup des arrêtés parus dans le J.O de Diego Suarez sont maintenant pour nous sans intérêt, certains évoquent pourtant des moments historiques qui peuvent intéresser ceux que l'histoire de Diego Suarez ne laissent pas indifférents. Comme ce numéro du 20 janvier 1895, qui annonce l'état de siège à Diego Suarez, ou celui du 5 août 1895 annonçant l'établissement d'un feu au bout de la jetée du port de la Nièvre qui permettait enfin aux bateaux de rentrer de nuit dans le port. La partie non-officielle du J.O de Diego Suarez comprend notamment les avis de naissance et de décès qui nous donnent des indications sur la population et son mouvement aux débuts du développement d'Antsirane. En 1899, un avocat, Me Albert, fit paraître 7 numéros du Petit Madagascar, journal tiré à la gelatine. Enfin, le bureau de l'Etat-Major disposait d'une presse lithographique sans doute destinée à des publications militaro-officielles.

L'âge d'or de la presse antsiranaise

Les trente premières années du XXème siècle vont voir éclore un nombre importants de journaux. La plupart, souvent créés par des commerçants, vont avoir pour but essentiel de défendre les intérêts économiques des colons, ce qui les amènera à attaquer vivement une administration accusée de n'être pas suffisamment sensible à ces intérêts. Le point commun de la plupart des journaux antsiranais sera la détestation des fonctionnaires, accusés d'être des privilégiés, et de l'administration centrale ou locale qui n'écoute pas les doléances de la «base» coloniale. Parfois porteurs de convictions politiques (quelquefois difficiles à préciser), la plupart de ces journaux sont de droite. L'Annuaire de Madagascar de 1905 constate d'ailleurs : «Quant aux feuilles indépendantes, elles traduisent l'opinion des colons des différentes régions de l'île et soutiennent leurs intérêts ; elles sont à la fois des journaux d'informations et de revendications ; leur nombre va croissant, ce qui est un excellent indice de l'importance que prennent chaque jour les groupements d'Européens dans la Colonie». En 1904, Victor Nicolas, commandant en retraite et installé comme colon à Cap Diego Suarez puis à Antsirane, crée L'Impartial de Diego Suarez. Castaing fait paraître un journal républicain radical le Diego Suarez. Il semble que ces journaux paraîtront jusqu'au début de la Première Guerre Mondiale.

La cravache antsiranaise
Une du journal hebdomadaire La Cravache Antsiranaise
Une du journal hebdomadaire La Cravache Antsiranaise

Mais l'Administration et son représentant à Madagascar, le Gouverneur Victor Augagneur sont surtout la cible de La cravache antsiranaise qui paraît à partir de 1908. Créée par le marchand de vins Borriès, installé rue Flacourt, et imprimée à l'Imprimerie Chatard, la Cravache antsiranaise se présente, à la une, comme un «Journal Indépendant, Intransigeant et Pamphlétaire». Hebdomadaire paraissant le dimanche la Cravache prendra en 1909 le nom de Cravache coloniale .
Les attaques contre le Gouverneur Général et l'administration locale sont, dans la Cravache, d'une violence que l'on aurait du mal à admettre à l'heure actuelle et qui vaudrait des procès sans nombre à leurs auteurs. Que l'on en juge par quelques extraits:
- contre le Gouverneur Augagneur : Dans la Cravache du 24 janvier 1909: «Vu les décrets du 11 décembre 1895 et 30 juillet 1897» (Ce sont les décrets qui définissent les pouvoirs du Gouverneur Général) «C'est en vertu de ces deux décrets que Sa Majesté Augagneur se croit autorisé à nous accabler d'une foule d'arrêtés plus ou moins bêtes et d'une illégalité étonnante».
- contre la police...et Augagneur : «La police [...] a toujours été le refuge naturel des non-valeurs de toute sorte [...] Les honnêtes gens qui font partie de ce corps à Madagascar [...] souffrent d'avoir à leur côté des nullités, des ivrognes, voire même des chevaliers de certaines industries spéciales qu'il nous répugne de nommer. Au demeurant mouchards, titre d'ailleurs suffisant aux yeux du maître ficheur Pouh-Yi-Augagneur» (Pouh-Yi était encore Empereur de Chine).
- contre l'Administration : «Nous accusons l'Administration!!! C'est elle le fauteur principal de tout ce qu'on peut reprocher à certains agents de police dont l'indélicatesse frise l'escroquerie; elle encore qui favorise ces procédés indélicats. Elle toujours, la sacro-sainte Administration- la seule responsable de tout ce qui va mal ou même de tout ce qui ne va pas» (7 février 1909).
La Cravache ira même jusqu'à lancer une pétition demandant le rappel en France du Gouverneur Général, qui a surtout le défaut, aux yeux des journalistes de la Cravache, d'accorder à la population malgache les droits qui sont les siens.
Il faut croire que l'Administration n'appréciait tout de même pas car la Cravache n'est pas mentionnée dans l'Annuaire Général du Gouvernement de Madagascar, pourtant si complet !
En fait, le journal, sans doute en raison de sa virulence, n'eut qu'une existence assez brève puisque La Cravache Antsiranaise, devenue en décembre 1908 La Cravache Coloniale cessa de paraître en février 1909.

La Gazette du Nord de Madagascar
Une du journal hebdomadaire La Gazette du Nord de Madagascar
Une du journal La Gazette du Nord de Madagascar

Ce journal, fondé également par des commerçants, M. Matte et MM. Laudié, père et fils, eut une existence plus longue puisque sa parution s'étala sur plusieurs années, de mai 1924 à la guerre. Bimensuel, puis hebdomadaire il se présentait comme «Journal Indépendant, Economique, Politique, Financier et d'Annonces légales et judiciaires». Installés au 4 rue Joffre, les Laudié sont à Diego Suarez depuis le début du siècle. D'abord épiciers et boulangers, ils vont ensuite s'occuper d'importation et de demi-gros. Vendant du ciment, de la quincaillerie, du bois, ils deviendront agents de Peugeot aux débuts de l'automobile. Mais surtout, ils fonderont avec Matte, la Société d'Electricité Matte et Laudié. Il semble que la création de la Gazette du Nord de Madagascar ait eu comme principal objectif de faire pression sur la Commune de Diego Suarez pour obtenir, d'abord, pour garder, ensuite, le contrat de la fourniture d'électricité à la ville. Quoi qu'il en soit, la Gazette du Nord ressemble plus aux journaux que nous connaissons. Légèrement plus étoffée que la Cravache, elle compte généralement 4 à 6 pages dont 2 de publicité, de «réclames» comme l'on disait à l'époque.
La Une comporte généralement un article de portée nationale ou internationale, le reste des pages donnant des nouvelles locales, des informations pratiques, un roman en feuilleton ainsi que, la plupart du temps, 2 textes en vers : l'un, poème de forme classique signé «Hortensia» ; l'autre en forme de chanson signé «Boulenbois» et évoquant la vie et les personnalités de Diego Suarez avec une certaine verve gauloise.... Pendant un certain temps parurent également, sous la signature d'Hortensia des «portraits-mystère» que les contemporains devaient reconnaître mais qui demeurent pour nous des énigmes.
Moins agressive que la Cravache, la Gazette s'en prend cependant souvent à l'administration locale, surtout au moment où le contrat d'électricité passé avec la Commune sera dénoncé et transféré aux Ateliers du Radoub.
Le ton monte également dans les pages du journal contre un «confrère» nouvellement créé, L'Eclaireur.

L'Eclaireur
Une du journal hebdomadaire L'Eclaireur
Une du journal hebdomadaire L'Eclaireur

Fondé en 1932, L'Eclaireur est un hebodomadaire paraissant le mardi. Se présentant comme un «Organe de défense des intérêts économiques de Madagascar», il est installé rue Gouraud et dirigé par Louis Roffast mais le principal rédacteur est Inel de Lastelle. L'Eclaireur se veut plus généraliste que la Gazette du Nord. Dans un appel aux abonnements on peut lire : «L'Eclaireur donne les nouvelles de l'Océan Indien (Madagascar, Maurice, Réunion, Afrique du sud et orientale). Il est la synthèse de tous les autres journaux de ce pays». Vaste programme comme on le voit ! D'ailleurs, dès le premier numéro, le 14 juin 1932, la rédaction s'adressant à «Nos lecteurs» précisait sa ligne éditoriale:
«Encore un journal, diront certains de nos lecteurs en dépliant L'Eclaireur. Ils auront tort de se laisser aller ainsi au scepticisme et au découragement avant de le bien connaître. Certes l'heure ne paraît pas propice à l'optimisme béat, et de très graves préoccupations nous assaillent tous, de tous côtés, à tout instant et quel que soit le compartiment de la vie sociale à l'intérieur duquel s'exerce notre activité. C'est précisément en un tel moment que le journal d'informations a un rôle à jouer. Faire connaître la situation véritable de Madagascar, par des informations puisées aux meilleures sources dans l'ensemble du pays, en faire la synthèse, dégager tous les facteurs de confiance, de foi dans l'avenir qui en émanent, chercher à détruire les éléments nuisibles à la collectivité, permettre à toutes les formes de l'opinion publique de se faire entendre, et faciliter ainsi la solution des problèmes qui se posent à tous ; tel doit être le rôle d'un journal d'informations. Tel est celui que s'est tracée la Direction de l'Eclaireur et de tous ceux qui se sont intéressés à sa création.
Journal d'informations malgaches rayonnant dans toute la grande Ile, journal d'études se rattachant à Madagascar, journal de vulgarisation, telles sont les formes diverses que veut revêtir à la fois L'Eclaireur
».
L'Eclaireur tient à peu près ses promesses : c'est à dire qu'on y trouve effectivement des nouvelles du monde et des nouvelles de Madagascar ; une plus grande attention apportée à l'histoire locale (notamment de nombreux articles, sous le titre «A bâtons rompus» traitant des mœurs, de l'histoire et des coutumes des Antankarana) ainsi que des nouvelles locales concernant les différentes villes de l'Ile (même si - bien sûr- les nouvelles de Diego Suarez y tiennent la plus grande place).
Alors que, jusque là, l'immense majorité -pour ne pas dire la totalité- des journaux antsiranais étaient publiés par des français, on va voir paraître à Diego Suarez, en 1927, un journal fondé par un malgache :

L'Opinion

Journal des nationalistes malgaches, L'Opinion paraît pour la première fois le 27 mai 1927. Créé à Diego Suarez par Ralaimongo, ancien instituteur et par le français Paul Dussac, colon à Nosy-Be, L'Opinion affirme sa volonté de défendre «Européens et Indigènes dont les intérêts sont lésés et qui trouveront les colonnes du journal ouvertes à toute juste revendication de leurs droits». Dans L'Aurore malgache journal publié à Tananarive et qui succèdera à L'Opinion Ralaimongo se présente ainsi : «ancien instituteur, ancien combattant [...] N'a cessé de combattre pour améliorer le sort de ses compatriotes par la parole et par l'écrit [...] En 1927 a fondé le journal L'Opinion organe essentiellement indépendant, attelé à aucun parti politique, uniquement préoccupé de pourchasser les actes d'arbitraire et d'injustices officiels et privés [...] et de conquérir pour les Malgaches l'application des lois véritablement françaises» (14 novembre 1930). Quant à Dussac, toujours d'après L'Aurore Malgache, c'est un ancien avocat à qui le droit de plaider a été retiré par l'Administration en 1928. Si, L'Opinion n'est «attelé» à aucun parti politique, il n'en est pas de même de Dussac qui, toujours d'après L'Aurore Malgache (29 juillet 1932) «fut un des premiers à applaudir la révolution russe» et qui avait donné à ses trois concessions de Nosy-Be les noms de «Lenine», «les Soviets» et «les Bolcheviks» ! L'Opinion, pour échapper au décret de 1901 régissant la presse malgache, était rédigé en français. Mais, sans doute dirigé contre L'Opinion, un décret de 1927 réprime les publications susceptibles de porter atteinte au respect de l'autorité française à Madagascar Le journal va donc être la cible de nombreuses mesures d'interdiction qui, s'ajoutant aux problèmes financiers vont entraîner la cessation de la parution en 1934.

A l'heure où, partout dans le monde, la presse écrite a beaucoup de mal à résister à la concurrence d'Internet, il est bon de se rappeler que, pendant longtemps les journaux, jusqu'au fond de la brousse malgache ont été un moyen, parfois tendancieux, parfois insuffisant, de se rattacher à la vie du monde. Ces journaux, lorsqu'ils sont venus jusqu'à nous, sont un moyen irremplaçable de sentir «le pouls» des époques passées... Peut-être Diego Suarez et sa vie quotidienne vivront-ils encore dans les mémoires, dans quelques décennies, grâce au journal La Tribune de Diego et du Nord de Madagascar !  

■ S.Reutt - Ass. Ambre