Les premiers voyageurs étrangers
D'Anfreville de la Salle, à qui nous empruntons le titre de cet article constatait, en 1902 : « Entourée comme elle est d'une mince épaisseur de terres, terminée par le Cap d'Ambre et bornée vers sa base par l'énorme massif du mont d'Ambre, la baie de Diego Suarez est un peu isolée du continent malgache. Elle est postée, en sentinelle perdue, à l'extrémité de notre nouveau domaine ».
Cette situation n'avait pas empêché les troupes merina de s'installer dans le nord mais cette avancée s'était faite progressivement et difficilement, comme en témoigne vers 1830,Leguevel de Lacombe qui accompagnait l'armée. En 1863, Guinet et Gunst, qui explorent le nord pour le compte de la Compagnie de Madagascar, se heurtent aux mêmes difficultés pour rejoindre la baie de Diego Suarez : ayant débarqué, comme les troupes du fort d'Ambohimarina, à Ambodivahibe, il leur faut 4 heures pour se rendre du fort (qui se trouve au-dessus de l'actuel Mahagaga) jusqu'à la baie des Français. Il faut dire que le chemin suit « les crêtes des contreforts« qui «présentent de grandes difficultés en ce sens qu'il faut les gravir à découvert, et que dans plusieurs endroits, on ne peut pas passer plus d'un homme à la fois ».
C'est cette situation que découvrent les marins de la Dordogne qui vont, pour la première fois, occuper le Territoire de Diego Suarez.
Des routes et de l'eau!
C'est le cri en forme de souhait que , d'après M de Kergovatz qui visite Diego Suarez en 1892, poussent tous ceux qui s'intéressent à la nouvelle colonie et à son avenir.
Louis Brunet, chargé de mission sur le développement de Diego Suarez en 1888 remarque : « L'absence de routes est une entrave au commerce avec l'intérieur ».
Locamus, quand il crée la gigantesque usine d'Antongombato, constate : « cette colonie ne possédait ni routes, ni ponts, ni matériel de débarquement ». Même son de cloche chez le médecin Hocquard en 1895 : « Antsirane ne paraît pas très florissante: située à l'extrême pointe de Madagascar...elle est trop éloignée des routes que suivent les convois pour aller des hauts plateaux à la côte ».
Même regret chez Chabaud qui visite Diego Suarez en 1893 : « Ce qui manque le plus à la colonie, ce sont des voies de communication intérieures. Jusqu'ici on n'a construit que deux ou trois tronçons de route allant d'Antsirane à la rivière des Caïmans et à Mahatsinarivo (sic) et de Diego Suarez à la baie du Courrier. Encore ces routes ne sont-elles qu'à l'état d'ébauche ».
C'est cet isolement, gênant pour le ravitaillement et funeste pour le commerce que tenteront de rompre -et jusqu'à aujourd'hui- tous ceux qui auront en charge le développement de Diego Suarez, en essayant de doter la province de routes d'intérêt local, régional ou national.
Les premières voies de dégagement de Diego Suarez
Le nouveau territoire avait deux préoccupations immédiates : nourrir la ville et assurer sa sécurité. Il fallait donc relier Antsirane aux régions agricoles et aux installations militaires disséminées aux limites (indécises...) du territoire.
La route d'Anamakia
La riche plaine d'Anamakia a été le premier foyer d'approvisionnement de la ville d'Antsirane. Cependant, elle est restée longtemps d'un accès difficile. Brunet regrettait, en 1888 qu'« il n'existe pas de route pour conduire d'Anamakia à Antsirane ». Quant à Kergovatz, il constatait, en 1892, soit 7 ans après l'occupation du Territoire : « La plaine d'Anamakia compte de 1500 à 1800 habitants environ; la route qui la relie à Antsirane n'étant pas carrossable, c'est surtout par eau qu'elle communique avec la petite ville ». Les maraîchers embarquent donc leurs produits au fond de la baie pour les vendre au marché d'Antsirane ou aux paquebots de passage. Même chose pour évacuer les conserves de bœuf de la Graineterie Française: chargées sur les wagons de la voie ferrée Decauville de 9km, elles parviennent au débarcadère de la rivière des Maques, où elles pourront être embarquées pour le port de Diego Suarez. Il faudra attendre 1900 pour qu'une voie carrossable relie Anamakia à Antsirane. Une simple chaussée en terre avec quelques ponts à soutènement de pierre.
La route de Mahagaga
Tracée à peu près à la même époque, elle avait environ 3m de large et permettait aux agriculteurs de Mahagaga d'approvisionner Antsirane. Se détachant de la route du Camp d'Ambre (actuellement Joffreville) à la hauteur d'Antanamitara où se trouvait un poste de douane hova, elle permettait les relations avec les merina du fort d'Ambohimarina et, au-delà, avec la riche vallée de Vohemar, qui se trouvait à 4 journées de marche et d'où venait tous les mois le facteur de la Résidence Générale. Un projet -sans lendemain- avait même associé le gouverneur hova d'Ambohimarina à un négociant de Diego Suarez pour organiser des convois en provenance de Vohemar.
Les routes d'intérêt militaire
La route du Camp d'Ambre
Avant même le développement des fortifications de Diego Suarez par le colonel Joffre, à partir de 1900, le Territoire comportait un certain nombre d'ouvrages de défense et de postes militaires. Le premier fort installé en dehors de la ville fut le fort de Mahatsinjo que l'on peut encore voir au-dessus de l'aérodrome d'Arrachart. Un poste militaire fut établi à la Fontaine Tunisienne (au niveau de l'usine Star) ; deux camps militaires furent également installés, l'un à Sakaramy, l'autre - plus tard-au Camp d'Ambre.
Pour les desservir, on construisit d'abord une voie Decauville jusqu'à la Fontaine Tunisienne, voie qui en 1900, fut prolongée jusqu'à Sakaramy. Pour rejoindre le Camp d'Ambre, une route carrossable fut construite, en 1900, par des Kabyles sous la direction de l'Armée. Suivant l'ancienne piste qui permettait d'atteindre le sanatorium de la Montagne d'Ambre, elle offrait une chaussée de 3m de large et fut empierrée entre le Pic Jeanson et le Camp (situé à l'emplacement qu'occupe actuellement le Monastère) .
En raison du projet de prolonger la voie Decauville jusqu'au Camp (projet qui ne fut pas réalisé !), la route ne fut pas empierrée dans ses autres parties. Les ravins coupant la route furent franchis par de petits points en rondins.
Les autres voies de communication
D'autres voies furent créées ou développées , au fil des années,pour relier Antsirane aux villages avoisinants, voies qu'il était difficile de qualifier de routes mais qui pouvaient être empruntées par les charrettes à bœuf ...ou par des mulets
Au début du XXème siècle, les routes que l'on pouvait emprunter (en principe...) étaient donc, si l'on en croit la Notice sur Madagascar de 1900
- routes carrossables (avec beaucoup de réserves!) :
1° Antsirane à Mangoaka
2° Antsirane à Rodo
3° Antsirane au sanatorium de la Montagne d'Ambre
- routes muletières :
1° Antsirane à Orangea
2° Antsirane à Anivorano par Sakaramy
3° Sakaramy à Ambohimarina
4° Mahatsinjo à Anamakia
5° Baie de Diego Suarez à Baie du Courrier
6° Mangoaka à Befotaka
7° Mangoaka au sanatorium de la Montagne d'Ambre
Mais ces chemins, s'ils permettaient de ravitailler la nouvelle ville, ne permettaient pas de la désenclaver.
Il fallait voir plus loin...et plus grand!
La route vers Vohemar
Dès 1900, on envisage de tracer, à travers la montagne d'Ambre, une route qui joindrait Antsirane à Ambakirano, avec embranchements sur Ambato et sur Vohemar.
Après études préparatoires faites par le capitaine Dumont, de l'artillerie coloniale et les lieutenants Baratier du 3ème d'artillerie et Landais, du bataillon étranger, on envisagea, pour son tracé et sa construction, trois sections principales:
1° du camp d'Ambre à Marotaolana, à travers la forêt d'Ambre
2° de Marotaolana à Ambakirano par Ambondrofe, Marivorano et la rive gauche du Mananjeba
3° d'Ambakirano à Vohemar par Ankazomainty, col d'Ambongo, col d'Ankarivolana et Morafeno.
D'après Gallieni, le premier tronçon, reconnu par le lieutenant Landais, direction générale nord-sud, devait suivre une arête culminant à 1254m d'altitude. Taillé à travers la forêt, il impliquait de gros travaux de déboisement qui furent en grande partie exécutés par la Légion Etrangère. Compte-tenu de l'humidité de la forêt d'Ambre, il était prévu d'empierrer la chaussée.
Le tracé du second tronçon semblait facile jusqu'à Ambondrofe. A partir de là, le terrain, très accidenté, devait nécessiter des travaux considérables .
Le troisième itinéraire, passant par Ankazomainty et Morafeno, fut divisé en 3 tronçons :
- d'Ambakirano à Ankazomainty le tracé devait suivre la configuration du sol
- d'Ankazomainty à Morafeno, le terrain étant plus inégal: le tracé prévu était le suivant: col d'Ambongo, Andampitany, col d'Ankarivolana
- de Morafeno à Vohemar la route devait être facile à construire malgré la nécessité de construire un pont de 70m de long sur le Manambato.
En 1902, les travaux avaient atteint le lac de Belle-Etape, à 25 km environ de l'entrée de la forêt.
Et l'on en resta là, ou presque!
(à suivre...)
■ S.Reutt