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Catégorie : Histoire
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La « Route des placers », actuelle RN6, vue au niveau de Mahagaga
La « Route des placers », actuelle RN6, vue au niveau de Mahagaga

Quand les français s’installent à Diego Suarez, en 1885, le nouveau territoire n’est pratiquement accessible que par la mer. Pendant plus d’un siècle, l’économie de Diego Suarez souffrira du manque de routes susceptibles de la mettre en contact avec le reste de l’île. De nombreux projets sont élaborés, peu seront mis en oeuvre...

La ruée vers l'or : la route des placers

Il faut dire qu'avant que ces projets soient exécutés, il s'était produit un coup de tonnerre dans Diego Suarez: la découverte par Alphonse Mortages, modeste hôtelier, d'un fabuleux gisement d'or près d'Ambakirano, à Andavakoera.
Si Gallieni avait espéré que la route de pénétration à travers la forêt d'Ambre pouvait faire « affluer à Antsirane une partie du commerce intérieur de la Grande Ile », les perspectives ouvertes par les champs d'or d'Andavakoera étaient plus mirifiques.
Aussi, comme on peut le lire dans le texte consacré aux routes de Madagascar par le Congrès d'Afrique orientale : « La découverte des placers Antankara a donné à la région septentrionale de l'île un développement subit et a imposé immédiatement la création d'une voie de communication dans cette région ».
Dans un premier temps, pour atteindre une région que Mortages lui-même décrit ainsi, dans ses Mémoires « aucune route ni piste ne sillonnait cette région depuis Diego Suarez; ce n'étaient que des sentiers malgaches praticables en saison sèche, mais très difficiles à parcourir en saison des pluies, aucun pont ni passerelle n'existant sur les torrents ni sur les rivières ».
Pour parer au plus pressé et en l'absence de routes dignes de ce nom, les prospecteurs utilisèrent d'abord les boutres venant de Nossi-Be qui déposaient le matériel dans l'estuaire de l'Antoa. Mortages, et son associé Grignon, à partir de là, établirent une piste de terre pour ravitailler leurs installations.
Cet estuaire de la petite rivière de l'Antoa, creusé par les marées, avait une profondeur qui pouvait atteindre 10m.
Cependant, les choses changèrent quand, après une forte crue, l'énorme Mahavavy, changeant de lit, envahit celui de l'Anjiabe, affluent de l'Antoa, comblant l'estuaire de cette dernière de ses énormes alluvions. Par ailleurs, la route établie par Mortages et Grignon était une route de fortune: simple piste débroussaillée, elle franchissait les cours d'eau sur des ponts branlants et d'une hauteur insuffisante à l'époque des hautes eaux. Dans ces conditions le prix du transport de matériel à partir de Nossi-Be devenait considérable. On envisagea alors de relier les placers à Diego Suarez où le mouvement maritime avec la France était plus important. Fin 1909, le tracé définitif de la route, aboutissant à Ambakirano, fut arrêté. Dès 1911, 50 km étaient déjà réalisés, à partir d'Antsirana et l'achèvement de la voie était envisagée pour la fin de l'année. Cette route, que l'on appela tout naturellement « route des placers » permettait, outre le désenclavement des zones de prospection, de desservir des villages éloignés et de favoriser le mouvement économique de cette partie du nord de Madagascar. C'est, à peu de choses près, la route que nous empruntons encore pour nous rendre à Ambilobe.

L'amélioration des routes au cours de la première moitié du XXème siècle

Malgré ces travaux considérables, l'état des routes et l'ouverture de nouvelles routes restèrent un leitmotiv des revendications antsiranaises.
En 1911, alors que la route des placers était en voie d'achèvement, le Gouverneur Augagneur, en visite à Diego Suarez, assura les habitants que la gestion des voies de communication était l'objet de la sollicitude du Gouvernement Général. Alors que les devis présentés pour la route des placers était de 200.000 francs (évaluation un peu trop optimiste!), le Gouverneur annonça l'octroi de 500.000 francs. La route d'Anamakia fut dotée de 25.000 francs pour son empierrement, celle du Camp d'Ambre jusqu'à la forêt obtint 18.000 francs. Par ailleurs, des crédits furent octroyés pour installer des cantonniers, non seulement pour les routes principales mais aussi pour des chemins d'intérêt local (Mahatsinjo, Cap d'Ambre etc.)
Fin 1912, 70 km étaient empierrés mais la plateforme allait jusqu'au km 113 et le piquetage était fait jusqu'au km 135,740; la route d'Anamakia était empierrée sur 12 km ; la route du Camp d'Ambre se raccordait à la route des placers au km 12 à Antanamitarana et devait être empierrée jusqu'à Sakaramy.
En 1927, l'Annuaire du Gouvernement de Madagascar pouvait ainsi annoncer, au sujet des routes d'intérêt général (terminées ou en cours d'achèvement) :
« Route des Placers, de Diego Suarez à Ambilobe : 137km580 (service d'automobiles bi-hebdomadaire) ; route de Sakaramy à Joffreville: 21km300 ; route de Diego Suarez à Anamakia, en cours de prolongement vers la baie d'Ambararata : 35km ; route de Diego Suarez à Ankorika: 4km800 ».

Et Ramena ? - La route d'Orangea
La « route d’Antsirane à Ankorika », actuelle route de Ramena, pendant sa construction
La « route d’Antsirane à Ankorika », actuelle route de Ramena, pendant sa construction

Pendant longtemps, la route d'Orangea- que nous appelons maintenant la route de Ramena puisque les plages intéressent plus que les forts- appartint aux militaires qui, justement, occupaient ces forts.
Au début du siècle, un début d'industrialisation : les salines de la Betahitra, la briqueterie d'Ankorika, les fours à chaux de la Montagne des français supposent une voie d'accès mais il n'est jamais question de route : en effet, l'essentiel des liaisons avec Orangea se fait par un service de chaloupes comme prévu par le plan de défense « centré sur la Baie ».
Cependant, en 1918, la route d'Orangea sera empierrée sur 12 km. Mais Il faudra attendre les années 1925, pour que - les bains de mer devenant à la mode- on réclame une vraie route pour Orangea;
La Gazette du Nord du 27 février 1927 pose la question : « Quand donc se décidera-t-on à terminer la route de Diego Suarez à Orangea? Cette route existe déjà sur un assez long parcours et son achèvement qui pourrait se faire sans grands frais, donnerait de la valeur à Ankorika et à Orangea.
Pour ce travail, l'autorité militaire prêterait sûrement son concours gracieusement...
Orangea devrait être une station balnéaire très fréquentée ; Son sable fin lui attirerait une nombreuse clientèle que tient à l'écart la traversée constamment mouvementée par barque ou remorqueur »
.
Ceci deviendra réalité grâce à l'Administrateur-Maire d'Avigny qui, dans les années 30, permettra la réfection de la route d'Orangea « faite en accord avec les militaires, rendant accessible la jolie plage de Ramena » (Gazette du Nord du 21 septembre 1935).
Dès 1934, Ramena devenait un objectif touristique comme en témoigne cette publicité d'un tour-opérator avant la lettre : « La seconde [excursion] par la route-piste sur la Baie vous conduit à la passe d'Orangea. Longeant la Côte Est de la rade, elle permet d'admirer la baie de la Betahitra, le « Pain de Sucre », la montagne des Français, Ramena et sa plage. En corniche sur la majeure partie de ses 20 km, elle offre une vue splendide sur l'Ilot des Aigrettes, la chaîne du Windsor.
Durée de l'excursion : 3h, arrêts compris »
. (Gazette du Nord 30 juin 1934)
A la fin des années 30, Diego Suarez possédait donc un éventail de voies capables de briser son enclavement... Enfin, relativement : restait le mythe de la route de Tananarive, celle que l'on réclamait depuis toujours et qui permettrait à Diego Suarez de s'ouvrir véritablement sur Madagascar...
Il fallut attendre de nombreuses décennies... Et encore...
■ S.Reutt