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Catégorie : Histoire
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Cascade sur la Rivière des Caïmans
Cascade sur la Rivière des Caïmans

2ème partie : A la conquête de l'Eldorado - La montagne d'Ambre fut longtemps inaccessible... ce qui contribua, aux yeux des colonisateurs à la parer de tous les mirages.

D'abord, elle possédait ce qui manquait à, Antsirane, la nouvelle ville en train de se construire. Elle était le lieu qui redonnerait la santé aux Européens accablés par la chaleur des tropiques et épuisés par le paludisme; elle permettrait de nourrir la ville nouvelle en lui fournissant tous les légumes que les nouveaux arrivants avaient laissés dans la mère-patrie ; elle apporterait l'eau qui manquait tant ; elle enrichirait de ses bois exotiques, de ses pierres précieuses les défricheurs et les prospecteurs, elle se couvrirait de cultures tropicales impossibles à développer dans les terrains desséchés de la plaine de Diego Suarez. Enfin, elle permettrait, par la nouvelle route qui devait la traverser de désenclaver la ville d'Antsirane. Qu'est-il advenu de tous ces rêves ? Plus de cent ans après les premières incursions dans la montagne d'Ambre, il semble que l'on ait dû renoncer à la plupart des promesses de cet Eldorado.

Une station sanitaire

Dès le débarquement des marins de la Dordogne qui venaient prendre possession du Territoire de Diego Suarez où la Reine leur avait donné le droit de « faire des installations à leur convenance », le médecin du bord, le Dr Bonain, envisage les avantages que peuvent présenter les hauteurs de la montagne d'Ambre : « Je termine en parlant d'un sujet important, capital même, en ces contrées plus ou moins habitées par la malaria : de l'établissement d'un sanitarium (sic) à Diego Suarez.... Une des conditions essentielles d'un sanitarium, c'est l'altitude et tous les lieux ne la possèdent pas... Le hasard a merveilleusement servi Diego Suarez en plaçant tout à proximité les monts d'Ambre, d'une hauteur de quinze cents à dix huit cents mètres ».
Et le médecin-major Bonain va jusqu'à imaginer que le futur sanatorium aura vocation à soigner tous les colons des îles environnantes : « C'est peut-être là le sanitarium futur du nord de Madagascar ; il aura toujours, sur des points situés plus à l'intérieur de l'île, l'avantage de l'atmosphère marine et de la proximité d'un établissement important. Que sera enfin pour les colons de la côte N.O de Mayotte et de Nossy -Be le voyage au sanitarium de Diego Suarez, lorsqu'un chemin de fer aura relié, comme cela est, je crois, décidé, cette baie au canal de Mozambique ».
La ligne de chemin de fer ne fut jamais construite, le sanatorium, oui.
Un premier sanatorium, composé de trois petites pièces fut d'abord construit au pied du mont Antsalakoatra. Dès 1896, il fut remplacé par un bâtiment plus important « comportant sept pièces séparées par des cloisons en planches et munies de mobilier, vaisselle et de tous ustensiles permettant d'y séjourner ». Ce sanatorium était destiné aux fonctionnaires et agents du Service local. Son règlement témoignait déjà d'un beau souci écologique si l'on en juge par l' article 7 : « Il est interdit de couper des bois et d'enlever des fougères, orchidées ou autres plantes tant dans l'enceinte du Sanatorium que dans la forêt contiguë » et par l'article 8 : « le jet des eaux grasses et déchets dans la rivière est interdit ». Il faut dire que la tentation était grande : voici la description qu'en donne Brunet : « admirablement situé à 1000 ou 1200m d'altitude, au milieu d'une forêt de beaux arbres, près d'un cours d'eau, climat enchanteur et réparateur qui guérit en quelques jours les fièvres les plus rebelles ».

Infirmerie et casernes du Camp d’Ambre
Infirmerie et casernes du Camp d’Ambre

Avec la mise en place du Point d'Appui de la Flotte, plusieurs infirmeries furent créées aux abords de la montagne d'Ambre : le 1er juin 1900, une infirmerie de garnison de 60 lits à Sakaramy ; le 1er aout de la même année, celle du Camp d'Ambre avec 150 lits. L'infirmerie de Sakaramy recevait les malades du camp de Sakaramy mais aussi des postes d'Ambohimarina et de la Fontaine Tunisienne. Elle accueillait aussi les « indigènes malades quand ils viennent se présenter à la visite ou toutes les fois qu'il (le Médecin-chef) est appelé auprès d'eux ».
L'infirmerie du Camp d'Ambre, installée à 700m environ, était constituée de 4 grandes baraques Maillard de 40m de long sur 10m de large. Aucun village n'existant dans les environs, l'infirmerie ne soignait pratiquement que les militaires. Petite anecdote : l'arche métallique qui surmontait le portail de l'infirmerie avait été fait par les malades eux-mêmes avec les cercles de tonneaux de vin. Comme il était monumental, cela laisse à penser que les militaires n'utilisaient pas que de la quinine pour soigner leurs fièvres !
Promesse d'air pur et de guérison, la Montagne d'Ambre a également fait rêver ceux qui espéraient pouvoir y trouver le bois nécessaire à la construction de la nouvelle ville d'Antsirane ou qui comptaient faire fortune en exportant ses bois précieux.

Les bois de la montagne d'Ambre : un rêve inaccessible.

Dès 1863, alors qu'il ne l'avait vue que de loin, le Dr Guinet imaginait qu'il était possible de trouver « une immense quantité de bois à exploiter au pied et jusqu'au sommet de la montagne d'Ambre ». Le botaniste Kergovatz, raconte en 1892 : « D'Antongombato on se rend au sanatorium de la montagne d'Ambre, par un sentier à peine frayé, qui m'a du moins permis d'admirer les belles forêts d'ébéniers, de palissandres, de bois de rose, qui n'attendent, pour être exploitées que l'établissement d'une route carrossable ».
Cependant, le manque de routes ne sera pas le seul obstacle à la non-exploitation des bois de la forêt d'Ambre. Louis Brunet, qui constate que « Les arbres sont de haute futaie, très droits et de bonnes essences » admet que, si « l'exploitation en est facile », il faudrait s'y livrer « avec une excessive prudence de crainte d'enlever aux terres cultivables ces abris naturels ». C'est à dire que, malgré son souci de favoriser les colons établis sur les pentes de la montagne, il envisage le danger d'érosion qu'engendrerait la coupe des arbres de la montagne.
Cependant, il trouve excessive la défense absolue qui est faite aux colons d'Anamakia, notamment de couper le bois nécessaire à la construction de leurs maisons ce qui les oblige à se loger dans des paillottes. Et il déplore que l'Administration ait dépensé beaucoup d'argent pour transporter à la montagne d'Ambre les matériaux nécessaires à la construction des bâtiments alors « que sur les lieux, on pouvait trouver tous les bois nécessaires, pièces, planches et bardeaux »
Et, en effet, très tôt, l'Administration interdit de toucher aux arbres de la Montagne d'Ambre. Il est prévu, en effet, des peines importantes pour les contrevenants. L'article 90 du régime forestier, par exemple, prévoit : « La coupe d'arbres sur pied ou l'enlèvement d'arbres déjà abattus, ayant à 1m du sol 2 décimètres de tour et au-dessus, donnera lieu à une amende de 1 à 100 fr par pied.
Il pourra, en outre, en cas de récidive, être prononcé un emprisonnement d'un à trente jours »
.
Ce qui conduira à importer du bois de Norvège pour élever les premières maisons de la ville d'Antsirane, maisons dont nous pouvons —en cherchant bien— découvrir encore quelques rescapées !
Si les bois précieux étaient hors de portée, certains rêvèrent de trouver, dans cette montagne magique, d'autres trésors...

Le mirage des pierres précieuses

Très tôt, dès qu'il fut possible d'y accéder, la Montagne d'Ambre fut le paradis des géologues, fascinés par sa chaîne de volcans éteints, mais relativement récents. On étudia donc de près les roches émises par les éruptions. Et, en marge de l'intérêt scientifique, on espéra des découvertes minéralogiques intéressantes. D'autant plus que dans les scories et les bombes projetées par ce volcans, les légionnaires du lieutenant Landais avaient trouvé des corindons, famille dont font partie les saphirs et les rubis. Sans doute s'agissait -il de ces pierres presque noires que l'on trouve encore sur les flancs du cratère du lac Mahery. En tous cas, aucune découverte de pierre précieuse ne fut révélée... et il fallut attendre près de cent ans pour que les flancs de la montagne d'Ambre livrent leur précieuse provision de saphirs !

Ambre: le château d'eau d'Antsirane

Dès sa création la ville d'Antsirane a eu soif. L'accès à l'eau était rigoureusement limité et sérieusement règlementé. Or de l'eau il y en avait en abondance dans la Montagne. En effet, la Montagne d'Ambre reçoit des précipitations jusqu'à trois fois plus élevées que celles d'Antsirane.
Aussi, comme l'indique l'Annuaire de 1901 : « Le massif d'Ambre [...] donne naissance à tous les cours d'eau qui arrosent le territoire de Diego Suarez et la partie Nord du cercle de la Grande -Terre ». Les rivières provenant de la montagne d'Ambre arrosent en effet presque tout le nord de Madagascar. Voici la description de ces rivières telle que la présente l'Annuaire : « La rivière des Macques, dont les sources s'enfoncent profondément dans le massif boisé d' Ambre. Le débit est assez régulier. La vallée, très encaissée dans sa partie Sud s'élargit brusquement pour fournir les riches plaines d'Antongombato et d'Anamakia ». Le nom de cette rivière, à laquelle nous avons restitué le nom de « makis » a parfois varié : « Antomboka », d'après Raymond Decary, « rivière des Chauve-souris » d'après Elisée Reclus.
« La rivière de la Main, prend naissance dans les forêts avoisinant le Sakaramy ; le débit de cette rivière est de peu d'importance ». D'après Decary, le nom français provient d'une traduction erronée du malgache : « tana » signifie « caméléon » alors que les cartographes ont compris « tanana » c'est à dire « main ».
La rivière des Caïmans vient du Sakaramy, près du lac Moëri. Sa vallée limite à l'ouest le plateau d'Antsirane. Un de ses affluents de droite, l'Analandriana a été capté et alimente en eau la ville d'Antsirane. Ces trois rivières se jettent dans le cul de sac Gallois.

Versant Est:

La Bessokre, dont les sources sont situées dans la forêt d'Ambre, est une belle rivière d'un débit régulier et assez abondant. La Bessokre se jette dans le fond de la baie de Rigny.
La Tsararena se perd dans la baie d'Amboulbouze ; elle prend naissance dans la forêt d'Ambre. La Tsararena reçoit de nombreux affluents.
Le Rodo prend sa source dans la partie sud de la montagne d'Ambre. C'est une belle rivière qui, près de son embouchure, au bac d'Irodo, a cent mètres de largeur.

Versant Ouest

L'Ambararate, l'Angokely, la Manangara descendent de la montagne d'Ambre et se jettent dans le canal de Mozambique.
Les sources existant à Cap Diego et à Antsirane s'étant révélées rapidement insuffisantes en raison de l'afflux de population, de nombreuses études furent faites sur la possibilité d'amener en ville les eaux de la montagne d'Ambre. Les premiers captages se firent sur l'Analandriana, affluent de la Rivière des Caïmans, puis, en raison de l'insuffisance de l'alimentation en eau, il fut envisagé, en 1901, de capter les eaux de la Rivière des Caïmans. A la même époque, un avant-projet de canal d'irrigation du plateau de Sakaramy fut établi à partir d'un barrage établi sur une des branches du Sakaramy. Mais l'alimentation en eau de Diégo resta toujours le problème des municipalités successives.
Nous avons parlé, dans un article précédent, du problème récurrent de l'alimentation en eau de la ville de Diego Suarez.
La Montagne d'Ambre demeure le château d'eau de Diégo. Maintenant, comme autrefois, la montagne d'Ambre est seule capable d'abreuver Diégo, du moins tant que seront protégées les conditions qui lui permettent d'alimenter ses sources et ses cascades!
La montagne d'Ambre n'a pas assouvi tous les rêves qu'elle avait engendré : dans les premières années de la colonisation, elle n'a pas fourni les bois précieux que certains rêvaient d'exploiter, ni les richesses minérales que l'on pouvait escompter mais elle a été —et elle est toujours— une condition essentielle de l'existence de la ville de Diego Suarez.
A suivre
■ S.Reutt