Nous savons peu de choses sur la région de Diego Suarez avant l'occupation française de 1885. Les premières données géographiques précises concernent essentiellement la baie et furent établies entre 1820 et 1833 par les repérages des missions hydrographiques anglaises ou françaises (expédition anglaise d’Owen en 1824 et exploration de la Corvette française La Nièvre en 1832). Une description un peu plus détaillée des rares habitants de la contrée nous a été donnée par Leguevel de Lacombe qui, accompagnant les troupes merina, visita les abords de la baie entre 1823 et 1830. Un récit moins connu, dont nous vous présenterons quelques éléments aujourd'hui, est celui du Dr Bernier qui visita la région en 1834
Qui était le Dr Bernier?
Charles-Joseph-Alphonse Bernier, chirurgien de la marine et botaniste, qui avait fait de nombreuses découvertes dans ce dernier domaine et enrichi le Muséum d'Histoire Naturelle de Paris de nombreuses espèces végétales découvertes à Madagascar et à La Réunion, fut chargé par le Gouverneur de Bourbon (La Réunion), en 1834, d'explorer la partie nord de la Grande Ile. Embarqué sur la goélette Le Colibri, le 13 janvier 1834, il débarqua d'abord à Tamatave où il suscita la méfiance des autorités Hovas qui considéraient (peut-être à raison) ses activités scientifiques comme un prétexte à une reconnaissance du Nord à des fins d'installation française. Ayant pu recruter quelques guides, et après une traversée de 4 jours, il arriva devant la baie de Diego Suarez mais les vents interdisant au Colibri de pénétrer dans la baie, la goélette dut se réfugier à Vohemar. Une autre tentative, les 20 et 21 février se solda par un échec et il fallut attendre le 3 mars pour que le bateau puisse pénétrer dans la baie et mouille dans la baie de la Nièvre. Entre temps, le Dr Bernier avait rejoint Diego Suarez par la terre, après 5 jours de marche dans des conditions extrêmement difficiles : on était en pleine saison des pluies et le passage des cours d'eau et des marécages lui avait provoqué une grave furonculose qui lui interdit toute exploration pendant une vingtaine de jours. Une fois remis, il parcourut le Nord, de Diego Suarez jusqu'au Cap d'Ambre par la côte ouest puis redescendit par la côte est et traversa l'isthme pour retrouver le Colibri. Le bateau reprit la mer le 10 avril pour rejoindre Sainte-Marie où il arriva le 18 juin, après une longue escale à Vohemar . Son exploration fut minutieuse: d'après son descendant, qui publia ses notes, il visita chaque village, chaque crique et recueillit 130 échantillons dont il fit don au muséum de Saint-Denis. Ce sont ses notes, peu connues et qui sont une source de renseignements précieux pour l'histoire de Diégo antérieure à la colonisation, que nous vous présentons ici. Nous respecterons la transcription du malgache utilisée par le Dr Bernier, en donnant la version actuelle - quand ce sera possible!
De Lany-Vato à Diego Suarez
Apparemment débarqué en baie de Rigny (à moins qu'il n'ait rejoint cette baie à pied à partir de Vohemar), le Dr Bernier décrit son itinéraire entre ce qu'il nomme la baie de « Ling-Vatou » - vraisemblablement Lany-Vato et la baie de Diego Suarez : « Les montagnes les plus rapprochées de la baie de Ling-Vatou forment une petite chaîne d'environ deux lieues de long à laquelle on a donné le nom d'Ambaratte. [...] A l'extrémité sud de cette chaîne, une montagne escarpée est couronnée par un immense bloc de roches coupé à pic et inaccessible qui, de loin, a la forme d'un tombeau. Ce piton, nommé Caracutova (Ankarakatova : Le Mont Carré), paraît élevé d'environ 800m au-dessus du niveau de la mer et sert de point de reconnaissance pour l'entrée de Ling-Vatou, au sud-ouest de laquelle il est situé.
A une demi-lieue au sud-est de Caracutova, s'élève une montagne isolée en forme de mamelle, nommée Andrao, d'une hauteur d'environ 600m. [...]
Au milieu des blocs calcaires qui couvrent son sommet, existent plusieurs cavernes peu profondes et irrégulières où les naturels ont habitude de déposer leurs morts. On trouve parfois une assez grande quantité d'ossements épars sur le sol de ces excavations. [...]
Le village de Samoebac, situé au pied du Caracutova, est composé de dix à douze cabanes, habitées par des gardiens de bœufs, et le seul qui s'élève au milieu de ces plaines. Des patates, du manioc et quelques pieds de maïs croissent avec vigueur sur un sol sablonneux recouvert d'une couche mince de terreau ».
Bernier évoque ensuite, derrière la première chaîne de montagnes une série de plateaux qui s'élèvent jusqu'au sommet des montagnes « Ambouitch », c'est à dire « Ambohitra » : la montagne d'Ambre. Au passage, Il donne du nom « Ambouitch » l'étymologie suivante : « pour Ane-vouitch » (aux forêts). Il évoque également les trésors botaniques de la Montagne : « de nombreuses variétés de Curcuma, d'Orchis et de composés à fécules succulents ». Continuant son chemin, il découvre « à deux lieues au sud-ouest de Ling-Vatou une plaine d'une grande fertilité où une douzaine de villages se sont établis sur les bords de la rivière « Anguivou » et où vivent 5 à 600 habitants. Ces villages sont essentiellement peuplés d'éleveurs ». Pour rejoindre Diego Suarez, il doit traverser la rivière par un gué nommé « Tétézene-Vatou » (pont de roches). De ce gué à la Baie des Français (« Douvouch-Vasa ») « il n'y a qu'une journée de marche ». Il passe ensuite par la baie d'Ambodivahibe dont il explique le nom : « Amboudi-Vah-Be » (aux grosses lianes).... Et le voilà à Diego Suarez
La baie de Diego Suarez
« Diego Suarez, située par 12°15' de latitude sud et 47°14 de longitude est du méridien de Paris, est la plus vaste de toutes les baies du nord de Madagascar ; ce qui lui a valu, parmi les naturels, le nom de Antombouc, pour Ani-Tombouc (à la baie) ». Notons que d'autres traductions du terme « Antombouc » ont été données — parmi lesquelles je me garderai bien de trancher !
Décrivant les différentes baies qui composent la rade, Bernier énumère les noms malgaches de ces lieux, noms qu'il transcrit, bien sûr à sa façon : au nord la baie « Douvoutch - Varats » (baie du Tonnerre)et la presqu'île « Andra-Caca » environnées par les terres de « Bouba-Ahumbi » ; au sud, la baie « Douvouch-Vasa » (baie des français). La baie « Douvoutch-Varats » est habitée par « quelques pêcheurs [...] pendant l'époque de la pêche de la tortue qui fait leur seule nourriture; car ils ne cultivent rien dans les environs. Cette baie est séparée de la baie « Douvoutch-Vatou-Foutsi » (baie des cailloux blancs) par une langue de terre élevée terminée par la montagne Tête de Georges ». Il nous apprend ici que cette pointe est appelée par les habitants « Ane-Ourita-Be » en raison de l'abondance des poulpes que l'on pêche sur les récifs. Au-delà, se profilent les hauteurs que les anglais ont nommées Windsor-Castle et que les malgaches appellent « Tsi-Hala » en raison de la rareté des arbres. Il évoque également les différents ilots : « Nossi-Couba », l'île de la Coquille, l'île aux tortues « Nossi-Fanu ». Dans celle-ci, bien qu'il n'y ait pas d'eau, des pêcheurs séjournent une partie de l'année. Au niveau de l'île aux tortues, se trouve un petit village d'une dizaine de cases : Tsi-Hala (Antsisiskala ?). L'île aux morts « Nossi-Mavoune », en forme de pain de sucre, présente des excavations « où les naturels déposent leurs morts ».
Le port de la Nièvre, ainsi nommé par les hydrographes embarqués sur la Nièvre est décrit par Bernier : « L'entrée, comprise entre la pointe Cockburn (un nom donné par les anglais, cette fois-ci) et la Tête de Diego (Cap Diego) est large de deux tiers de mille et se nomme « Ambavane-Antombouck », pour « Ani-vavane-tombouck » (à la bouche de la baie) ».
A propos du rocher de Cap Diego, il évoque la légende du lieu : « L'aventure de deux femmes jalouses, dont l'une précipita sa rivale du sommet de ce pic dans les flots, lui a valu le nom d'« Ampanilah », mot qui exprime l'action de pousser avec les mains ».
Aux origines d'Antsirane
Abordant la côte sud du port de la Nièvre, Bernier décrit l'emplacement où se développera bien plus tard la ville qui se nommera successivement, Antsirano francisé en Antsirane, puis Diego Suarez, enfin Antsiranana.
« Toute la côte sud du Port de la Nièvre est bornée par un plateau d'environ cinquante mètres de hauteur, dont la pente vers la mer est toujours rapide ou escarpée. Sur quelques points, il existe de petites plages sablonneuses entre l'escarpement et le rivage. A quelques pas de la pointe Cockburn (Ampuraha), un joli ruisseau qui ne tarit jamais arrose une petite plaine au milieu de laquelle s'élève le village d'Ampanilah, appelé à tort Antonbouc par les officiers de la Nièvre, car le village qui porte ce nom est situé à quatre ou cinq milles plus loin dans le sud-ouest ». Et voilà, avec Ampanilah, le premier nom connu de ce qui deviendra, bien des dizaines d'années plus tard, la ville que nous connaissons !
Le fond de la baie
Poursuivant son exploration de la baie, Bernier dépasse l'Anse des Amis où se trouve maintenant la SECREN, et où se trouve un petit village, et continue jusqu'à la pointe des Chauve-souris traversant une plage vaseuse en raison des 4 rivières qui viennent s'y jeter et transforment la côte en marécages pestilentiels :
- la rivière des Caïmans qu'il nomme « Saha-Vuhei » et qui est peu navigable à cause des vases qui en barrent l'entrée,
- la source aux caméléons « Tsane-Tang »,
- la rivière des Makis « nommée par les naturels Anfani, pour Ane-fani (aux chauves-souris), à cause de la quantité innombrable de chauve-souris que recèlent les mangliers du voisinage ; pendant la saison pluvieuse, elle déborde de toutes parts et couvre toutes les plaines basses, voisines de son embouchure ».
La baie des français
« La baie Douvouch-Vasa, appelée aussi baie Française, est une anse profonde de quatre milles sur deux milles de largeur. Une cascade qui se jette au fond lui a fait donner le nom d'Ankerric, mot qui exprime le bruit produit par une chute d'eau... Près du fond s'élève un ilot en pain de sucre, d'une hauteur d'environ 400 mètres. Irrégulier et caverneux comme toutes les montagnes calcaires des environs, il sert de lieu de sépulture et on le nomme Nossi-Londzou ».
Quant à la Montagne des Français,, il la nomme « Tani-Foutsi »pour la partie qui surplombe la baie, puis, au -delà « Antsingui » ; montagne « désignée par les officiers de la Nièvre sous le nom de montagnes de Mafaly, en raison de la proximité avec le village de ce chef ».
Finissant de contourner la baie, Bernier évoque quelques villages dont le fameux village de Mafaly dont l'éditeur des notes de Bernier dit, en 1886, « Ce village, qui n'existe peut-être plus aujourd'hui, était établi autrefois sur le rivage, au fond de la baie Douvouch-Vasa. Il se composait d'une cinquantaine de cases; on le nommait « Ambani-Hala » (en bas des bois)».
D'après la carte établie par Bernier, ce village devait se trouver à l'emplacement actuel du lotissement « Avenir 21 », au nord-est de la plaine de Betahitra. Un peu plus loin, un autre village de pêcheurs : « Amboudivah-Rout » et enfin, au niveau de la Passe, le village de Massou-Androu...s ans doute l'ancêtre du village de Ramena !
Quittons là l'explorateur Bernier qui, lui, continuera sa route vers le Cap d'Ambre dont il rapporte les terribles légendes : « L'intérieur de cette contrée entièrement inhabitée est, pour les naturels, un pays de fééries auquel se rattache une foule de superstitions. Ils prétendent que tous ceux qui ont osé en parcourir les montagnes en sont revenus fous, et que des ulcères n'ont pas tardé à survenir aux pieds profanes qui avaient foulé cette terre consacrée ».
Avis aux audacieux randonneurs du XXIème siècle !
■ S.Reutt