Bien que moins exposée que Tamatave ou Sainte-Marie, la ville d'Antsiranana eut, dès sa création à subir des catastrophes climatiques qui semblent avoir été plus nombreuses et plus rapprochées que de nos jours. Et qui amenèrent ses habitants à la reconstruire à plusieurs reprises...
Dès 1891, soit 5 ans après l'installation française à Diego Suarez, la Revue Diplomatique signale : « On mande de Diego Suarez qu'une violente tempête a causé, les 21 et 22 janvier, des dégâts considérables dans nos nouveaux établissements de la baie et a interrompu les communications entre Antsiranana et le pont de Mahatsinzo. Les établissements militaires du Cap Diégo sont submergés et en grande partie détruits ». Plusieurs tempêtes amenèrent des dégâts plus ou moins importants dans les années qui suivirent. Cependant, parmi les cyclones qui s'abattirent sur Diego Suarez, trois ont marqué les esprits et le paysage par leur violence destructrice dont la Presse de l'époque, à Madagascar et même en Europe, s'est fait l'écho.
Le cyclone du 5 février 1894
Bref mais violent, ce cyclone mit à bas une grande partie des nouvelles installations de Diego Suarez. Le Petit Parisien du 11 février 1894 fait état, à la Une, du télégramme envoyé de Port-Louis par le gouverneur de Diego Suarez au Sous-secrétaire d'Etat aux colonies : « Un cyclone épouvantable a ravagé, dans la nuit du 5 février, Diego Suarez. Les bâtiments militaires et civils ont été très endommagés : l'hospice, l'école, l'église, le marché ont été entièrement détruits ainsi que les entrepôts. Les habitations sont renversées dans la proportion des deux tiers. La dépêche ne signale pas d'accidents de personnes. On ne peut encore calculer les pertes matérielles qui paraissent considérables ». Par ailleurs, une dépêche envoyée par le croiseur Hugon signale les dégâts causés aux installations maritimes et aux bateaux en rade : « L'Eure s'est échoué, sous Antsiranana, sur un fond de vase [...] Un certain nombre de chalands et des embarcations de la Corrèze, sont échoués ou coulés ».
Mais la relation la plus détaillée est celle fournie par le journal français Le Temps, récit qui sera repris dans de nombreux journaux de l'époque : « Un formidable cyclone s'est abattu sur nous dans la nuit du 4 au 5 du courant (février) renversant tout sur son passage et balayant toutes les œuvres qu'au prix de laborieux efforts et de privations sans nombre nous étions parvenus à édifier [...] L'église, l'hôpital civil, la direction de l'intérieur en construction, les magasins et bureaux des messageries maritimes, de la Compagnie Havraise péninsulaire, la prison, les entrepôts de l'octroi, les ateliers de l'artillerie, les magasins de l'administration coloniale, la maison des sœurs, les écoles, tous les bâtiments du Cap Diégo et les deux tiers des maisons d'Antsiranana ont été renversés et les débris dispersés au loin sur un rayon de plusieurs milliers de mètres. L'estimation des pertes, rien qu'en ce qui concerne la ville, peut s'élever en première estimation à 500.000 francs ».
Le Temps décrit ensuite la progression du phénomène, que rien ne laissait prévoir. Mais, à minuit une énorme pluie s'abattit sur la ville et, à 2h du matin, un vent terrible s'éleva arrachant tout sur son passage et jetant à la côte la plupart de navires à l'ancre. A 5h, dans l'œil du cyclone, une accalmie se produisit mais, à 6h, le vent qui était passé du sud-ouest au nord-ouest, reprit avec plus d'intensité pour ne se calmer que vers 10h. L'article évoque enfin le spectacle de désolation que le cyclone a laissé derrière lui : « Des familles entières, sans vêtements, grelottant sous la pluie battante, regardaient avec des larmes les débris de ce qui avait été leur demeure [...] Partout la consternation et le désespoir, en même temps que la misère, et peut-être la famine à bref délai ». Cette description sut toucher l'opinion publique puisque, à l'appel du député Brunet, l'Assemblée Nationale vota, sous les applaudissements, une subvention destinée à indemniser les victimes.
Le cyclone de 1905
En 1905, nous l'avons vu, Antsiranana a changé d'aspect. Ce n'est plus un amoncellement de baraques en bois et de cases en falafa : la ville est mieux armée pour résister à un cyclone mais les dégâts sont plus sérieux et plus difficiles à réparer. En fait, le cyclone qui s'abat le 14 décembre 1905 sur Diego Suarez détruit une partie de ce qui a été mis en place dans le cadre du Point d'Appui de l'Océan Indien. Voici le récit que nous en donne Le Temps du 16 janvier 1905 : « Du 14 au 16 décembre, un violent cyclone s'est fait sentir dans le nord de Madagascar et y a causé de très graves dégâts. A Diego Suarez, la ville a été littéralement dévastée par la tourmente. La résidence, à moitié démolie, est inhabitable; les archives sont en grande partie détruites et plusieurs maisons se sont effondrées. La plupart des autres ont eu leurs toitures arrachées. Tous les bâtiments civils et militaires ont gravement souffert; de nombreuses familles sont sans abri. Les pertes sont évaluées à plus d'un million pour le seul quartier d'Antsiranana. Aux environs de Diego Suarez et entre cette ville et Vohemar, les dégâts sont aussi considérables ».
Moins de 7 ans après, à une période où l'on ne l'attend pas, en novembre, un nouveau météore s'abat sur la ville : de celui-ci, le progrès aidant, nous avons beaucoup plus de photos.
Le cyclone du 24 novembre 1912
La plupart des journaux, à Madagascar et en France se feront les échos de la tourmente : le Tamatave (journal d'une ville où l'on s’y connaît en cyclones !) titre : « Un cyclone épouvantable a dévasté Diego Suarez »; le Figaro parle d'une « calamité sans précédent dans l'Océan Indien ». Lisons dans le Tamatave le récit dramatique, presque heure par heure, du déchaînement des éléments sur la pauvre ville d'Antsiranana : « C'est à partir de cinq heures que les ravages se sont produits : le vent soufflait avec une inconcevable furie et la pluie abondante cinglait presque horizontalement les habitations que, dès cinq heures et demie, il avait fallu fermer. L'ouragan devenait de plus en plus violent, arrachant les toitures, faisant voler les tôles - redoutables et sinistres météores qui hachaient tout sur leur passage. Les portes et les fenêtres étaient enfoncées et le vent avec une effrayante impétuosité, s'engouffrant dans les maisons avait vite fait de les disloquer et de projeter à terre, souvent à de grandes distances quand les immeubles étaient en bois, les murailles et cloisons. Les habitants chassés de leurs habitations détruites, se réfugiaient dans les maisons voisines encore debout. D'autres cherchaient un abri sous leurs propres décombres. D'autres couraient affolés, ne trouvant aucun abri sur une étendue dont les maisons avaient été anéanties, enlevées, emportées par l'ouragan à des distances incroyables. La nuit était arrivée. Le cyclone vers sept heures était au paroxysme de la fureur. Les craquements étaient effrayants. Des bruits énormes de ferraille et de masses croulantes indiquaient qu'une lourde maison venait de s'effondrer. Impossible de sortir et de se porter de mutuels secours. Les rues étaient impraticables, la pluie en avait fait des torrents. S'y engager eût été aller au devant d'une mort certaine car les matériaux des habitations détruites sillonnaient l'air et ne laissaient aucune issue. Cette épouvantable situation dura pendant quatre heures. Et en si peu de temps, le terrible ouragan avait tout ravagé, presque tout anéanti ».
Plus sobrement, et avec davantage de précision, le Figaro fait l'inventaire des dégâts : « La ville de Diego Suarez a été particulièrement éprouvée. On évalue les pertes à 20 millions, les trois-quarts des immeubles sont détruits ou décoiffés, le village indigène est anéanti, toutes les embarcations du port, chalands, remorqueurs, canots et même un torpilleur ont coulé. On ignore encore le nombre des victimes indigènes, on compte déjà 3 à 400 disparus [...] Le baromètre est descendu à 724 ». Quant aux Annales Coloniales, elles ajoutent qu'« une partie des quais d'Antsiranana ont été démolis ».
Terrible catastrophe que ce cyclone de novembre 1912, qui jeta à bas une partie de ce qui avait été réalisé au niveau de l'urbanisme dans la première décennie du siècle et qui restera sans doute avec le terrible Kamisy, un des plus violents cyclones du XXème siècle dans le Nord de Madagascar.
Aujourd'hui où nous sommes mieux informés et avertis de l'arrivée d'un cyclone, nous restons incapables – comme des évènements récents à plusieurs endroits du globe l'ont montré récemment – de résister efficacement à ces déchaînements de la nature qui doivent nous remplir d'humilité en face de phénomènes qui nous dépassent.
■ S.Reutt