La première « Résidence » : un bateau !
Lorsque, à la suite du traité de 1885, la France obtient le droit d'occuper Diego Suarez et d'y faire des « installations à sa convenance », le village d'Antsiranana, qui n'est constitué que de quelques cases de pêcheurs, ne peut pas loger les troupes. Dans l'attente des installations nécessaires, les premières troupes d'occupation seront logées sur la Dordogne, gros bateau-ponton basé baie de la Nièvre depuis juin 1885. Le capitaine de frégate Caillet, nommé « Commandant particulier » de la nouvelle colonie demeurera sur le navire.
En août 1886, un télégramme adressé au Consul de France à Aden ordonne : « Informez Commandant Caillet qu'il est maintenu nouvel ordre dans commandement Diego Suarez. Instructions nouvelles lui ont été envoyées par Zanzibar : il devra autant que possible occuper tout territoire sud qui s'étend au nord de la crête est et ouest séparation des eaux au nord du Mont d'Ambre sans menacer le fort Ambohimarina et en évitant toute collision - Meurthe partant 6 septembre vous amènera infanterie marine renforts ». Le capitaine de frégate Caillet, en accord avec le Commandant de la division navale de l'Océan Indien, Didelot des Essarts, établit un plan de mise en défense du futur établissement.
Alors que les premières installations militaires s'étaient faites à Cap Diego, Caillet décida de d'installer une partie de la garnison à Antsiranana, où il choisit lui-même de résider. Les travaux commencèrent en avril 1886. Si les premières constructions utilisèrent des matériaux trouvés sur place – notamment ceux récupérés après le naufrage de L'Oise à Tamatave – il fallut attendre que le département de la Marine fasse parvenir par un cargo, le Paris, « seize grandes baraques préfabriquées ainsi que quatre pavillons d'officiers », ainsi qu'une grande quantité de matériaux nécessaires à la construction pour commencer les installations militaires sur le plateau. Le commandant Caillet put, dès lors, s'installer dans un des bâtiments nouvellement construits, vraisemblablement celui du Commandant de la Marine, que l'on peut encore voir près du Cercle-Mess.
L'installation du Gouverneur Froger
En février 1887, Ernest Froger est nommé gouverneur civil de Diego Suarez. Il succèdera au Commandant Caillet à la tête de ce qui devenait l' « Etablissement Français de Diego Suarez ». Le problème du logement des autorités civiles allait donc se poser. Dès son arrivée, Froger décida de faire d'Antsiranana le centre administratif de la colonie et y groupa tous les services civils. On envisagea alors la construction d'un bâtiment qui prit le nom de « Direction de l'Intérieur » situé sur le plateau à la frontière du quartier militaire et du quartier civil, en bas de ce qui deviendrait plus tard la « colonne vertébrale » d'Antsiranana, la rue Colbert. Cependant le cyclone du 5 février 1894 mit à bas le nouvel édifice en construction. Il fallut donc envisager la construction d'un bâtiment plus solide, un « palais » pour le gouverneur. La construction de celui-ci fut en grande partie assurée, comme pour tous les bâtiments publics, par les militaires qui, outre les obligations de défense étaient chargés des travaux de construction. Ceci n'alla pas sans contestations entre civils et militaires, ces derniers « louchant » sur le beau bâtiment qu'ils avaient en partie construit. Le Monde Illustré du 15 août 1896 publie ainsi un article du Délégué de Diego Suarez, Henri Mager, évoquant ces contestations : « En attendant, et tout en parlant de l'évacuation des troupes, les services militaires ne songent pas à abandonner le terrain; ils ont même découvert récemment que certains bâtiments occupés par les services civils devaient revenir aux services militaires qui avaient coopéré à leur construction ; le palais du gouverneur est au nombre des édifices revendiqués par la direction de l'artillerie et le chef de la colonie a dû aller loger ailleurs : on ne lui a même pas laissé la jouissance de la salle des fêtes, annexe du palais, salle récemment construite avec les fonds de la colonie ». Il faut dire qu'à cette époque, et depuis le décret du 28 janvier 1896 l'emploi de Gouverneur avait été supprimé et que le Commandant Supérieur des troupes, le Lieutenant-Colonel Brun se présentait comme Gouverneur par interim, alors que le premier Administrateur-Maire avait déjà pris ses fonctions.
Les choses se clarifièrent par l'attribution officielle, à la Commune, des bâtiments administratifs. Par l'arrêté du 28 août 1897 la Résidence fut officiellement remise à la Commune:
« Art 1 : Les édifices et bâtiments domaniaux dont l'énumération suit, seront remis, par le représentant du domaine de l'Etat, à l'administrateur-maire de Diego Suarez ».
Suivait la description :
« Désignation : Hôtel de l'Administration
Affectation : Bureaux de l'Administrateur ; du service de l'Intérieur ; Bibliothèque ; Musée commercial, logement de l'Administrateur-Maire
Observations : Bâtiment à étage, construction en maçonnerie, couvert en tôle (Antsiranana) ».
Les métamorphoses de la Résidence
Les changements d'appellation
Ce que les Antsiranais appellent toujours « La Résidence » a maintes fois changé de nom dans l'histoire. Nous venons de voir que de « Direction de l'Intérieur » elle était passée à « Hôtel de la résidence ». On l'appella aussi « Hôtel de l'Administrateur » ou « Hôtel de l'Administration » ou « Mairie » avant que le nouveau bâtiment ne soit construit.
Les métamorphoses architecturales
Elles découlèrent souvent d'évènements extérieurs (notamment les cyclones) ou d'impératifs d'utilisation, ou des goûts des « locataires ».
– la Direction de l'Intérieur
Le plan d'ensemble du bâtiment ne changea pas fondamentalement : dès la construction de la première « Direction de l'intérieur » le plan classique des grandes maisons créoles fut adopté: une forme en U et de grandes « varangues » à colonnes entourant le bâtiment.
Cependant, le bâtiment était construit en bois, comme toutes les premières maisons civiles de Diego Suarez. Le bâtiment était aussi plus petit et comportait un nombre plus réduit de colonnes : 6 sur chaque face.
Pour l'emplacement – qui fut conservé – il répondait à plusieurs considérations : il faisait la jonction entre quartier militaire et quartier civil ; il était bien exposé au niveau sanitaire puisque dans une situation ouverte aux vents qui devaient apporter de la fraîcheur et protéger des « fièvres » et enfin...il jouissait d'une sublime vue comme l'ont appréciée certains voyageurs : « Diego Suarez a également un administrateur qui prend le frais quelque part ailleurs que dans sa résidence officielle et qui vient par hasard s'informer de ce qui se passe. Je n'ai pas eu l'honneur de le rencontrer mais ce contre temps ne m'a pas empêché de m'arrêter sur la véranda du premier étage de son habitation pour jeter un coup d'œil sur l'immense baie dont les eaux tranquilles et limpides ressemblent à un lac » (Verschuur, Aux colonies d'Asie).
Tous ces avantages avaient un revers : le bâtiment était particulièrement exposé aux cyclones... Aussi, la Direction de l'Intérieur ne résista-t-elle pas à celui de 1894. Les bâtisseurs de l'époque firent donc comme les petits cochons du conte : ils construisirent en dur !
Le bâtiment actuel
Le bâtiment qui fut terminé en 1897 ressemblait dans l'ensemble à celui que nous connaissons: une construction en dur, sous tôles (qui s'envolèrent pratiquement à chaque cyclone, entraînant parfois la destruction des archives !). Une forme en U sur la façade principale donnant sur la rue Colbert, une façade rectiligne avec vue sur les jardins et, au-delà, sur la mer. Cette exposition en bord de mer, en dehors du danger des cyclones, eut l'inconvénient d'entraîner plusieurs effondrements comme en témoigne ce compte-rendu du Conseil Municipal en date du 9 octobre 1924 : « L'Administration expose que du fait d'un travail d'érosion intense, des glissements de terrain se produisent depuis quelque temps le long de la partie du plateau qui borde le parc de la Résidence et l'anse de la Dordogne. Ces glissements sont particulièrement importants du côté du parc de la résidence, où au cours de la dernière saison des pluies, plusieurs milliers de mètres cubes se sont effondrés à la mer ».
Le nouveau bâtiment, plus grand, comporte 8 colonnes sur la façade principale, 7 sur la façade donnant sur les jardins. Dans un premier temps, les balcons furent bordées de balustrades en bois ; quant aux colonnes, elle n'étaient pas posées sur un piédestal mais avaient un fût cylindrique sur toute leur hauteur. Sans doute après le cyclone de 1905 qui démolit en grande partie la Résidence, le bois des balcons fut remplacé par des balustres qui s'appuyèrent sur des piédestaux construits au pied des colonnes, qui parurent ainsi plus massives. A l'origine, et pendant assez longtemps, la Résidence fut dépourvue de grilles: elle donnait alors directement sur la rue Colbert et sur les jardins des deux places qui lui faisaient face. Quant à la disposition intérieure, il semble qu'il n'ait pas beaucoup changé depuis le plan publié dans l'Annuaire de 1902...
La Résidence connut ensuite certaines transformations : dans les années 2000, le renfoncement entre les deux ailes fut couvert d'une toiture qui enlève sans doute à l'ensemble un peu de sa légèreté mais qui a certainement un avantage par temps de pluie. La décoration intérieure a maintes fois été refaite au gré des préférences de ses occupants mais, dans l'ensemble, la Résidence reste ce qu'elle était il y a 100 ans : le plus beau bâtiment de Diego Suarez !
■ S.Reutt