En 1885, lorsque la France s'installe à Diego Suarez, les techniques de communications existantes sont encore embryonnaires : le courrier postal est le seul moyen de communiquer à distance. Encore faut-il qu'il y ait une poste ! Or, à l'arrivée des premiers militaires français, il n'y a encore aucune infrastructure dans le minuscule village d'Antsirane.
Comme toujours, dans l'histoire lointaine de Diego Suarez, c'est l'Armée qui mettra en place les services postaux et qui, pendant longtemps, aura la haute main sur les communications.
Les premières communications
En raison de sa situation excentrée, le Territoire de Diego Suarez a les plus grandes difficultés à communiquer avec les autres villes, et même avec les villages environnants. Aussi, les premières communications locales se feront par l'intermédiaire de messagers. C'est ainsi que le fort de Mahatsinjo, situé au-dessus de l'actuel aéroport d'Arrachart, se vit rapidement doté par le premier Commandant de Diego Suarez, Caillet, de 5 gendarmes à cheval chargés d'assurer la liaison avec le quartier général d'Antsirane. Quant aux communications avec la France, elles dépendront, dans les premiers temps, des rares arrivées de navires. Mais il était évidemment impensable de développer un poste militaire sans moyen de communication avec la métropole. Aussi, très rapidement, l'Administration militaire s'occupe-t-elle de mettre en place un service de courrier postal, d'abord évidemment réservé aux militaires. Il semble que le premier bureau de poste de Diego Suarez (Poste aux armées sans doute) ait été installé dès décembre 1885. Le premier cachet postal que l'on connaisse, en provenance de Diego Suarez date de 1890. Cependant les envois postaux sont rares et difficiles. En effet, en 1887 il n'y a toujours pas de relation maritime directe entre le territoire de Diego Suarez et la France. Il faudra attendre le mois d'août 1888 pour que le nouveau territoire soit directement desservi par les paquebots-poste de la ligne de Marseille à La Réunion et à Maurice. Encore, les envois sont-ils limités: il est en particulier interdit d'accepter des envois de lettres avec valeur déclarée pour Diego Suarez.
Le « Courrier »
Avec la mise en place de plusieurs lignes maritimes (Compagnie Havraise Péninsulaire et Messageries Maritimes) sur Diego Suarez, l'acheminement du courrier va devenir plus régulier. A partir de 1896 la ligne Marseille-La Réunion-Maurice qui part de Marseille tous les 10 et tous les 25 du mois touche Diego Suarez à l'aller, le 3 ou le 4 et au retour, le 13 ou le 14. Ces paquebots-poste (le Djemnah, l'Iraouaddy, le Yang-Tse et l'Oxus pour les Messageries Maritimes) sont indistinctement appelés « le Courrier » et sont impatiemment attendus par la population qui se presse sur les quais à chaque accostage. Sur ces paquebots un agent, représentant de la Poste, était embarqué et c'est lui qui livrait les malles, réceptionnait le courrier et y apposait le cachet du bateau désigné par son numéro.
Par ailleurs Diego Suarez est relié aux ports de la côte Est, et deviendra bientôt tête de ligne du service Madagascar-Comores-Zanzibar. La majorité du courrier expédié est celle des militaires dont les lettres portent le cachet « corps d'armées Diego Suarez ». Mais les civils profitent également du service, leur correspondance étant affranchie à l'aide de timbres-postes coloniaux qui porteront, à partir de 1892 l'indication : « Diego Suarez et Dépendances ». Les habitants de Diego Suarez utilisent d'ailleurs les services de la poste pour des envois de colis qui nous laissent rêveurs : c'est ainsi que, d'après Alphonse Mortages : « Dès que la Compagnie des Messageries Maritimes ouvrit la ligne directe de Marseille à La Réunion, le 12 août 1888, les Indiens de Nosy-Be, qui avaient des représentants dans la Grande Ile, profitèrent pour expédier des colis-valeur de la Grande-Ile vers l'Inde car le courrier direct correspondait à Aden avec les stationnaires de la ligne Aden-Karachi-Bombay. La moyenne de ces colis-valeur étaient d'une vingtaine de caissettes qui, presque toutes, contenaient de la poudre d'or ». Nous imaginons mal, de nos jours, confier à la poste des envois d'or destinés à des contrées lointaines ! D'autres envois étaient encore plus étonnants : Diego Suarez avait ainsi la chance de figurer parmi les rares « pays » admettant des envois d'abeilles vivantes ! Pauvres facteurs !
L’arrivée du courrier à la première poste de Diego Suarez qui était située à l’emplacement de la PFOI
La poste pendant la guerre de 1895
La conquête de Madagascar par les français va entraîner certaines modifications des services postaux. Tout d'abord, les militaires stationnés à Diego Suarez vont bénéficier de la franchise postale accordée aux militaires en temps de guerre (cette franchise ne sera supprimée qu'en novembre 1899). « La correspondance des militaires ou marins stationnés à Diego Suarez doit être traitée comme celle du Corps expéditionnaire de Madagascar. Cette franchise lui est procurée au départ de Diego Suarez par l'apposition soit du timbre « Trésor et Poste aux Armées » dont sont pourvus les bureaux militaires, soit du timbre spécial « Corps expéditionnaire Madagascar » qui est entre les mains des agents embarqués sur les paquebots des lignes de La Réunion et d'Australie » (J.O de Diego Suarez - septembre 1895). Par ailleurs, le personnel militarisé administrant les bureaux de poste est en même temps chargé du service de la Trésorerie aux Armées, d'où l'appellation de « Trésor et Poste » que l'on trouve quelquefois apposée sur les timbres de l'époque. Mais, surtout, le transport du courrier est plus étroitement surveillé, comme l'indique l'arrêté concernant la Police de la Navigation du 6 janvier 1895 : « Art.4 : Les sacs de lettres et les dépêches, sauf ceux adressés aux bâtiments de la Division Navale, ne pourront être ouverts qu'en présence du Commandant de la Place ou de son délégué dûment autorisé.
Art 9: Ils [les capitaines de navire] ne devront se charger d'aucune correspondance en dehors de celles qui leur seraient confiées par le poste ou par les bâtiments de guerre ».
Par ailleurs le chargement des navires est étroitement surveillé, l'Octroi de mer étant tenu de signaler les marchandises « suspectes ou dangereuses qui pourraient s'y trouver » (art.3). De plus, seul le Receveur de la poste, en personne, sera habilité à transporter les dépêches sur les navires en partance.
Dans les années qui suivent la conquête, les services de la poste à Antsirane vont prendre un nouveau développement dû à de nouvelles installations et aux découvertes récentes concernant les communications.
Les bâtiments et les services de la poste
La première poste d'Antsirane, située dans la ville basse à l'emplacement approximatif de PFOI, fait partie des édifices domaniaux remis à la nouvelle Commune de Diego Suarez par l'arrêté n°387 du 13 février 1897. Il s'agit, d'après l'arrêté d'un « bâtiment en bois, couvert en bardeaux ». Cette poste sera plus tard remplacée par la nouvelle poste prévue par Joffre au moment où Diego Suarez était Point d'Appui de l'Océan Indien, entre 1900 et 1905. Cependant, sa construction traînera : l'ancienne poste ne sera démolie qu'en 1908, quant à la nouvelle... D'après le journal de Diego Suarez La cravache antsiranaise : « elle joue à cache-cache »! Mais le journal précise : « 1909 nous réserve également des surprises. Déjà l'on nous annonce... un nouvel Hôtel des Postes ». C'est ce bâtiment que nous pouvons toujours voir, au coin de la rue Joffre, mais — modifié au cours des années — il n'a plus tout à fait la même allure sans les ornements de briques qui paraient ses fenêtres. C'est lui qui a donné son nom à l'Hôtel de la Poste, même si, depuis l'Indépendance les services postaux ont émigré dans le bâtiment installé par le Ministre Lechat situé en face de la Mairie.
A partir de 1900, le service postal est réorganisé et étendu. Le Bulletin officiel de Madagascar du 8 octobre 1900 précise les localités desservies par le service du courrier : « Il est créé un courrier quotidien entre Antsirane et les points suivants: Fontaine Tunisienne - Sakaramy - Cap Diégo - Andrakaka - Baie du Courrier - Ankorika - Orangea - Anamakia. En outre, un courrier partira tous les deux jours pour les localités ci-après : Ambohimarina - Mahagaga et Besokatra ». Pour acheminer ces courriers quotidiens vers des localités très peu accessibles par les routes — et même par les chemins — tous les moyens étaient bons : si Sakaramy était luxueusement desservi par la voiture postale qui empruntait la voie ferrée Decauville jusqu'à Sakaramy, puis qui continuait sur le Camp d'Ambre par traction animale, la plupart des facteurs devaient emprunter le cheval, le mulet ...ou même le zébu ! Et même la chaloupe pour desservir Cap Diégo ! Mais les bureaux de poste vont se multiplier rapidement : au Camp d'Ambre (Joffreville), d'abord, puis à Ambahivahibe.
Cependant au fil des années, les moyens de communication, à Diego Suarez comme ailleurs, vont se diversifier et se développer.
Les postes optiques
Dès 1896, Le Monde Illustré fait état de postes télégraphiques: « Trois postes télégraphiques ont été élevés : l’un à Orangea, près de la passe, signale les navires qu’il aperçoit en mer ; le second, celui du plateau, a pour mission de recueillir ces signaux et d’informer, dès qu’un navire est signalé, la direction du port, l’administrateur et le colonel ; il a aussi pour mission de signaler, au troisième poste, celui de Cap Diego, l’envoi d’un malade de l’infirmerie militaire du Plateau à l’hôpital du Cap ». Il s’agit bien sûr, comme on a pu le deviner, de signaux sémaphoriques. Lorsque Diego Suarez devient Point d’Appui de la Flotte, à la fin du XIXème siècle, un certain nombre de postes optiques, destinés à annoncer l’arrivée de navires, vont être installés. Utilisant la télégraphie optique, inventée par Claude Chappe en 1792, les postes optiques utilisent des messages constitués de signaux sémaphoriques qui sont lus à la jumelle puis reproduits et transmis de poste en poste. Le réseau de postes optiques d’Orangea comprenait ainsi, comme le signale le Général Gallieni dans son rapport de 1904 :
« 1° le poste optique d’Orangea, qui peut communiquer avec tous les autres (construit en 1903)
2° le poste optique de Windsor Castle qui pourra signaler la présence de navires dans les baies du Courrier et de Liverpool...
3° le poste optique d’Antsirane, qui communique avec tous les autres et recueille leurs observations.
4° le poste de Cap Diego, destiné à mettre en relations le Commandant des troupes de ce secteur avec le Commandant de la défense à Antsirane ou avec Orangea.
5° le poste optique d’Anosiravo qui renseignerait le Commandant de la Défense sur les débarquements ennemis dans la baie d’Ambodivahibe...
6° un poste optique au Cap d’Ambre, communiquant avec le poste optique de Windsor Castle
7° un poste optique au Cap Saint Sebastien ( celui-ci faisant partie de la ligne de télégraphie optique Nosy Be - Diego Suarez)
8° un poste optique à Ambohimarina pour surveiller plus particulièrement la baie de Rigny ».
Ces postes optiques construits à l’usage des militaires seront, à partir de 1903, ouverts aux communications privées.
Mais, simultanément, d’autres moyens de transmission vont désenclaver Diego Suarez.
Le télégraphe
Inventé en 1837 par Samuel Morse, le télégraphe électrique va parvenir à Diego Suarez au début du XXème siècle : « La construction de la ligne télégraphique vers Diego Suarez fait des progrès appréciables » (Revue de Madagascar - 1900).
D’abord destiné aux militaires, le télégraphe va être ouvert aux particuliers, qui pourront expédier des télégrammes, à partir de 1903.
Le téléphone
Comme toujours, c’est l’Armée qui aura la primeur de l’installation du téléphone. Le Bulletin Officiel de Madagascar du 1er février 1905 publie une Instruction relative à l’établissement et au fonctionnement du réseau téléphonique urbain d’Antsirane. Voici les principaux points de cette instruction :
« Chapitre 1er : Partie technique:
- Art I : Le service téléphonique est dirigé par un officier résidant à Antsirane et placé sous les ordres du directeur d’artillerie ». Il est ensuite précisé que le commandant de la Défense se réserve le droit d’autoriser l’installation des postes, notamment chez les particuliers et dans les différents services civils ou militaires et que les militaires sont responsables du service téléphonique.
« Art II : La construction et le montage des postes sont faits par le service téléphonique militaire ». Les particuliers y auront accès à certaines conditions : ils pourront correspondre avec tous les services et les particuliers abonnés ; cependant, les télégrammes téléphonés ne pourront dépasser 30 mots et l’autorité militaire se réserve le droit d’en réglementer l’utilisation... D’autre part, si le abonnés peuvent utiliser presque librement le téléphone (sous réserve d’autorisation des militaires), en revanche la clientèle des cafés et autres établissements possédant un abonnement, ne pourra l’utiliser qu’avec certaines restrictions.
« Art III : Le matériel des postes des abonnés est fourni par la direction d’artillerie.
Art IV : L’officier chargé du réseau fait exécuter d’office les réparations aux lignes téléphoniques ». Comme on le voit, le téléphone - quand il fait son entrée à Diego Suarez- est totalement sous la coupe de l’Armée.
Cette sujétion est complétée et détaillée par la partie administrative de l’Instruction.
« Partie Administrative
Art Ier : Demande d’autorisation: Les abonnements sont concédés sur demande adressée au commandant de la défense de Diego Suarez.
Ces abonnements, d’une durée d’un an, donnent droit à une carte personnelle permettant de se présenter dans les postes de la ligne du Camp d’Ambre pour y transmettre des messages téléphonés ». On le voit, on est loin de l’usage - abusif ! - que nous faisons actuellement du téléphone ! Cependant, dès 1902, le service téléphonique comptera 15 abonnés à Antsirane. Plus tard, des postes téléphoniques seront installés dans les principaux villages de la région.
Heurs et malheurs de la Poste
Au fil des années les services postaux vont se développer, échapper à l’autorité militaire et entrer dans le quotidien des particuliers. En même temps qu’ils deviennent un service comme les autres, ils vont se trouver en butte aux réclamations nombreuses de leurs usagers, réclamations dont les journaux de l’époque se font l’écho avec d’autant plus de joie que ces services sont assurés par les fonctionnaires, classe généralement détestée par ceux qui ne le sont pas. C’est ainsi que La cravache antsiranaise consacre plusieurs numéros à l’histoire d’un mandat égaré sous le titre : «Un mandat de 90 fr est en ballade » ; « Un mandat envoyé depuis plusieurs mois par un fils à sa mère gravement malade n’est pas encore parvenu à sa destination. Plainte a été portée à M. le Receveur » (22/11/1908). L’histoire est reprise dans le journal du 29/11/1908 : « Il est vrai que pour fiche de consolation, M. le Receveur des Postes a bien voulu faire savoir à l’intéressée qu’elle pourrait, dans 7 mois, produire ses réclamations et que la somme égarée lui sera remboursée.
Et pendant ces 7 mois, de quoi vivra cette pauvre mère? La poste s’en bat l’œil ».
Plaintes également contre le courrier égaré, contre la manière défectueuse dont fonctionne le téléphone, contre la fermeture du bureau de poste de Sakaramy en mars 1935 « Toute la population civile et militaire de Sakaramy se trouve désormais sans bureau de poste ni poste téléphonique » (L’Eclaireur - 5/3/1935).
Une autre réclamation contre la Poste ne manque pas de sel, comme on peut le lire dans La Gazette du Nord du 1er juin 1935 : l’article signale la différence entre l’heure légale donnée chaque jour par Tananarive au Service des PTT et celle indiquée par l’horloge de la cathédrale « d’où des ennuis continuels car si l’heure de la Poste commande les divers services administratifs, les banques etc., celle de la cathédrale commandera toujours les trois-quart pour ne pas dire la totalité de la population ». Moralité: si les Antsiranais sont en retard, c’est la faute de la poste !
Mais malgré ces inévitables récriminations, la Poste va rendre des services considérables à la population : c’est par un télégramme d’alarme que les populations seront avisées de l’arrivée d’un cyclone (J.O janvier 1914) ; c’est par le télégraphe ou le téléphone qu’ils seront informés des nouvelles du monde ; par le courrier postal qu’ils échangeront ces milliers de cartes et de lettres qui nous donnent l’image de la vie du Diego Suarez d’autrefois.
Actuellement, à l’heure d’Internet et du GSM, tous ces moyens nous semblent dérisoires : n’oublions pas qu’ils ont changé la vie des premiers habitants de Diego Suarez !
■ Suzanne Reutt