Lorsque les français occupent la baie de Diego Suarez, à la suite du Traité franco-malgache de 1885, le petit village d’Antsirane ne possède aucune église. Le premier prêtre à exercer son ministère sera l’aumônier du navire La Dordogne sur lequel se trouvent les premières troupes d’occupation. Mais, malade il sera rapidement remplacé par le Père Berthieu que les catholiques de Diego connaissent bien puisqu’il a été canonisé il y a peu (le 21 octobre 2012) par le Pape Benoît XVI, devenant ainsi le premier saint de Madagascar.
Le Père Berthieu débarque à Antsirane le 7 mai 1886. Dans la petite ville en train de se construire de bric et de broc, il va d’abord loger dans un magasin où il célèbrera sa première messe le 15 mai 1886. Il quittera la ville dès le 2 juin pour être remplacé par l’ancien aumônier des troupes d’Amboanio (près de Vohemar), le Père Cros. Avant son départ, le Père Berthieu avait eu le temps de trouver un emplacement, sur les pentes du Plateau, pour y construire une petite chapelle en bois. Affecté à Ambositra puis à Tananarive, le Père Berthieu trouvera le martyre et la mort lors de l’insurrection des Menalamba en 1896. Son remplaçant, le Père Cros, ne restera que trois mois à Antsirane, bientôt remplacé par l’aumônier de l’hôpital militaire de Cap Diego, M.Pannetier.
Les rapports de l’Eglise et de l’Etat
A l’époque, la nomination des prêtres dépend dans le Territoire de Diego Suarez du Sous-secrétaire d’Etat aux colonies qui décide des affectations sur proposition du supérieur des Pères du Saint-Esprit. En juin 1887, c’est l’abbé Paul Méar, jeune prêtre breton de 26 ans, qui est proposé pour servir à Diego Suarez. Dès son arrivée, en septembre 1887, le jeune abbé s’inquiète de sa charge de travail. En effet, la population de la petite ville d’Antsirane s’est accrue et il s’en plaint dans une lettre: « Entre malgaches, colons et militaires, on compte au moins 3000 âmes. Jugez si un seul prêtre peut assurer le service religieux pour tout ce monde...» Dans les premiers temps le Père Méar partage sa tâche avec l’abbé Pannetier qui exerce son ministère à Cap Diego, mais lors du départ de ce dernier, le Père Méar, découragé va donner sa démission : « un pauvre petit vicaire breton est bien vite à bout de forces. Il n’a personne pour lui venir en aide ».
Les premières églises
L’abbé Méar a une charge d’autant plus lourde que le Gouverneur Froger, en poste depuis le 8 mars 1887, s’inquiète des mœurs dissolues de la ville d’Antsirane et compte sur le clergé catholique pour inculquer des leçons de morale à tous ces nouveaux habitants qui « ont pris la triste habitude de ne compter pour vivre que sur le gain de leurs femmes et leurs filles » (lettre du 26 avril 1887). Froger encourage donc l’Abbé Méar à construire une église, en organisant une loterie pour réunir des fonds. C’est un travail de plus pour l’abbé Méar : « l’église est en construction, il faut que je surveille les travaux ». Méar souhaitait également construire une chapelle à Anamakia pour ne pas laisser le champ libre aux Anglicans qui « y ont déjà un temple et une école ». En fait, l’église d’Antsirane, située à l’emplacement de l’ancienne poste, au coin de la rue Joffre, commencera à abriter les offices avant même d’être terminée. La démission inattendue du Père Méar va entraîner la nomination du chanoine Murat le 26 août 1890.
L’œuvre du chanoine Murat
J.H Murat a 50 ans lorsqu’il est affecté à Diego Suarez. Fils de parents installés à La Réunion depuis le début du XIXème siècle, il a été curé de Saint-Benoît, puis de Saint-Pierre, enfin de Saint-Denis en 1882. Après des dissensions avec l’évêque de La Réunion, il est renvoyé en France. Ayant postulé au poste de l’Abbé Méar, et appuyé par le député de La Réunion François de Mahy, il débarque le 3 novembre 1890 à Antsirane, en tant qu’aumônier de l’hôpital militaire installé alors à Cap Diego. Froger, ami de François de Mahy, lui proposera de rester à Antsirane, le Père Jany, qui occupait la charge depuis le départ de Méar, allant à Cap Diego. Dès sa nomination, Murat va s’appuyer sur les Pères du Saint-Esprit, déjà chargés de Nosy Be et de Mayotte. Il se fait également aider par les Filles de Marie, appartenant à une congrégation réunionnaise, qui tiennent un orphelinat et une école pour les jeunes filles créoles. Dès son arrivée, l’abbé Murat témoignera d’une belle énergie : il va visiter tout le territoire dont il a la charge morale : Antongombato, la Montagne d’Ambre où s’installent de nombreuses familles créoles. Il s’occupe d’installer les sœurs de Marie, à qui le Gouverneur vient d’octroyer un terrain sur le plateau, près de l’emplacement de l’actuelle cathédrale (leur maison sera inaugurée le 23 avril 1894); il s’occupe des malades, des offices et de toutes les charges de son ministère, et ceci dans un territoire dont la population ne cesse de s’accroître (dans une lettre d’avril 1891, Murat parle de 8000 personnes). Sa tâche est rendue d’autant plus difficile par le fait que le Père Murat ne parle pas malgache. En fait, Murat, réunionnais de cœur, s’occupe principalement des créoles qui constituent l’essentiel de la communauté catholique du Nord. Une religieuse dit de lui : «Je crois que ce qui l’a attiré surtout ici, c’est une quantité de braves gens de l’île Bourbon dont la plupart sont ses anciens paroissiens ». Conscient de ses difficultés et soucieux de l’influence des protestants et de la progression de l’Islam chez les chefs malgaches, le Gouverneur Froger va réclamer au ministère des « renforts » pour l’abbé Murat : « Les neuf derniers paquebots, dans un intervalle de quatre mois et demi nous ont amené 1224 personnes dont un millier au moins sont nés dans la religion catholique en France, à La Réunion, à Sainte-Marie. Notre unique prêtre, malgré des efforts aussi imprudents que méritoires ne peut suffire aux devoirs de son ministère ». En fait, il s’agit surtout, dans l’esprit de Froger de renforcer l’influence française dans la petite colonie de Diego Suarez.
Le renforcement de la présence catholique à Diego Suarez
La nomination d’un nouveau prêtre, l’abbé Folignet, va permettre à l’abbé Murat de s’absenter pour faire des démarches, à Paris et à Rome, dans le but d’organiser la région Nord du point de vue ecclésiastique. En effet, Diego Suarez, colonie française dépend du vicariat de Madagascar...qui n’est pas encore colonie française, ce qui ne va pas sans créer de nombreux problèmes d’ordre administratif. L’évêque Cazet écrit au gouverneur Froger : « Le temps me semble venu de donner une organisation normale au service religieux de cette florissante colonie [...] J’espère que vous voudrez bien aider l’abbé Murat dans les démarches qu’il doit faire dans le but de faire séparer la colonie de Diego Suarez de la juridiction du vicariat apostolique de Madagascar ». L’abbé Murat, qui n’a pas beaucoup de succès dans ses démarches obtient cependant l’arrivée d’un troisième prêtre ainsi que celle des catéchistes missionnaires de Marie Immaculée (novembre 1894). Habillées de gris, on les nomme les « sœurs grises » pour les distinguer des « Filles de Marie » portant une robe noire. Assurant essentiellement le catéchisme, elles ouvrent une école à Anamakia.
Les changements après 1895
Le nouveau statut de Madagascar – devenu colonie française – va amener des transformations à Diego Suarez qui se fond dans la nouvelle colonie et dans l’organisation ecclésiastique du Nord. Une nouvelle église remplace la petite construction en bois des débuts, détruite par le cyclone du 5 février 1894. Alors que l’abbé Murat rêvait d’une belle église gothique dont il avait apporté les plans, il devra se contenter d’un bâtiment en bois d’une vingtaine de mètres de long, situé près de l’actuelle cathédrale. Les Filles de Marie, elles, vont s’occuper de l’hôpital civil d’Antsirane et reprendre l’école d’Anamakia. Il est question de donner aux Pères Spiritains le vicariat apostolique du Nord, mais les choses traînent en longueur. Pour l’abbé Murat, les choses ne s’arrangent pas : son traitement et celui de ses confrères est supprimé en 1897, ses deux collaborateurs tombent malades et sont rapatriés, lui-même, épuisé doit être hospitalisé. Il partira pour la France le 21 février 1898. Les sœurs « grises », malades l’auront devancé : elles se sont embarquées le 14 février pour La Réunion. Le 2 octobre 1898, Mgr Corbet était ordonné évêque. Il allait devenir le premier vicaire apostolique de Diego Suarez. Débarqué le 9 janvier 1899 à Antsirane, il fonda de nombreuses missions et décida, en 1909 la construction de la nouvelle cathédrale qui fut achevée en 1912. Dès la cathédrale achevée, Mgr Corbet avait demandé à y être inhumé après sa mort, ce qui lui fut refusé. Il fallut attendre 1925 pour que l’autorisation soit accordée.
Cet article s’appuie largement sur le texte de Bruno Hubsch : Les débuts de la communauté catholique à Antsiranana
■ Suzanne Reutt