On serait tenté de dire que l’islam a été présent à Diego Suarez avant même que Diego Suarez existe. En effet, il existe à Madagascar une longue tradition de navigation musulmane dans l’Océan Indien et les fouilles de la Montagne des français attestent de la présence, sans doute épisodique, de marins venus de l’Arabie, des côtes de l’Afrique (et notamment de Zanzibar), ou de celles de l’Inde.
Et plus précisément, des comptoirs musulmans établis sur les côtes africaines (Malindi, Mombasa,..) Les fouilles de la Montagne des français ont permis de découvrir des céramiques de facture islamique datées du VIIème siècle mais dont certains pensent qu’elles seraient plus anciennes. On a également trouvé des tessons de verre venant du Proche - Orient. Tous ces indices attestent l’existence d’un commerce maritime ancien avec des navigateurs très vraisemblablement islamisés, sans qu’il soit possible d’en tirer une conclusion sur l’influence de l’Islam sur les éventuelles populations locales de l’époque.
Plus tard, le grand navigateur arabe Ibn Magid, qui rédige vers 1462 sa Hawiya riche de données nautiques, donne des renseignements sur le Cap d’Ambre (Ras al-milh : le cap du sel) qu’il situe « sur la Grande Ourse à onze doigts de hauteur» et que les pilotes « connaissent aussi bien Arabes que Persans ». Ibn Magid indique également un « Port-Bani Isma’il » (Port des fils d’isma’il) c’est à dire Port des Arabes qui indique évidemment une installation d’islamisés. Ce « port » est sans doute le « port des Antalotches » signalé en 1823 par Leguevel de Lacombe à l’entrée sud de la baie, près de l’actuel village de Ramena. Enfin, dès 1885, la création et le développement du Territoire de Diego Suarez ont entraîné un énorme besoin de main d’œuvre qui a amené dans le Nord un afflux de migrants dont beaucoup étaient islamisés
Les Antalaotra et Anjoaty
Nous venons de voir que Leguevel de Lacombe, parlait, au début du XIXème siècle du port des Antalotches du côté de Ramena.
Qui étaient ces «Antalotches» ou «Antalaotra»?
Appelés parfois Arabes, Silamo, Antalaotse ou Talaotra, ce sont avant tout ceux qui pratiquent l’Islam. D’où venaient-ils ? Sans doute de la côte d’Afrique. Hubert Deschamp les décrit comme « un mélange d’Arabes, de Malgaches et d’Africains parlant un dialecte souahili parsemé de mots malgaches, et ayant adopté la religion, les vêtements et les usages arabes ». Gabriel Rantoandro nuance : « les Souahilis descendants de Shiraziens avaient sans doute fourni le plus gros contingent; en nombre moins important sont venus des Arabes déjà fixés le long des côtes d’Afrique; la communauté de religion a tout naturellement facilité le rapprochement entre ces deux éléments ». D’origines diverses, abondamment métissés, les Antalaotra se distinguent donc par leur religion. Les Antalaotra « gens de la mer » sont, pour la plupart des commerçants islamisés, venus souvent de Zanzibar ou de Mayotte et parlant un dialecte swahili. Faisant du commerce dans le Nord de Madagascar, ils fournissent les populations en biens de toutes sortes : armes, produits manufacturés, et parfois... esclaves.
Dans le Nord-Est de Madagascar, les Anjoaty, considérés comme les descendants des Antalaotra seraient, d’après l’historien Pierre Verin, « une dizaine de milliers entre le Cap d’Ambre et la région d’Ampanobe ». Ils jouissent dans la population malgache d’un prestige particulier en raison des talents occultes qu’on leur prête. C’est ainsi que Nosy Lonjo, le Pain de Sucre, considéré comme un lieu de sépulture des ancêtres des Anjoaty est l’objet de cultes particuliers. Une des traditions de Nosy Lonjo veut qu’une Anjoaty venue de la mer se maria avec un jeune homme issu de la terre et qu’ils s’établirent avec leur bétail dans le Babaomby. D’autres traditions, comme le mythe de Darafify, semblent confirmer l’origine ultra-marine des Anjoaty : « Darafify était un Anjoaty (originaire ou dont les parents sont originaires de l’Arabie)fameux par ses dons de prophétie. Il avait quatre frères et une soeur et dont il était l’aîné. Darafify demeura au Bobaomby avec sa soeur Imboty qui ne voulut jamais se marier.Son premier frère demeura à Amboanio, le deuxième à Manambato et le troisième à Bemarivo ou Vohemar. Au bout de quelque temps les trois frères se rendirent au Bobaomby pour revendiquer leur part de troupeaux qui venaient de leurs parents. Darafify s’opposa au partage en disant : Notre sœur n’est pas mariée; il faut lui laisser le troupeau entier pour qu’elle puisse vivre. Les trois frères refusèrent d’accepter cette proposition si juste et si raisonnable. Ne voulant pas assister à ce partage qu’il jugeait inique, il partit vers le sud, emmenant avec lui une vache rouge aux huit pis. Cette vache avait été amenée d’Arabie et était la source de tout le troupeau de Bobaomby. Un mois plus tard, Imboty, son troupeau et ses frères furent engloutis par la mer...» (D’après Dandouau)
Les Antankarana
L’adhésion des Antankarana à l’Islam est plus récente et découle en grande partie des conflits entre ces derniers et les Merina. En effet, dès le début du XIXème siècle les affrontements entre les troupes du roi Radama Ier et les Antankarana se multiplièrent. Le roi Antankarana, Tsialana Ier s’étant soumis au Roi Radama, les Hovas installèrent une série de forts dans le Nord de Madagascar, notamment, en 1828, à Ambohimarina, dans la Montagne des Français. A la mort de Tsialana, en 1822, son fils Tsimiaro lui succéda et reprit les armes contre les troupes de Radama. Vaincu, il se réfugia dans les grottes de l’Ankarana en 1838 mais un traître ayant montré l’accès des grottes aux troupes merina, il dut aller se réfugier à Nosy Mitsio. La légende veut qu’il ait fait, à ce moment-là, le vœu de se convertir à l’Islam si Dieu lui venait en aide. Il semble cependant que les raisons de cette conversion soient aussi politiques : en effet, désireux de prendre sa revanche contre les Hovas, Tsimiaro demanda de l’aide au Sultan de Zanzibar, qui envoya un navire de guerre. La conversion à l’Islam fut peut-être le prix à payer pour cette aide militaire, qui fut sans lendemain, cette défection obligeant Tsimiaro à se tourner d’abord vers les anglais, puis vers les français. Quoi qu’il en soit, la conversion d’une partie des Antankarana à l’Islam, facilitée sans doute par la promiscuité des Antalaotra, date du milieu du XIXème siècle. Cependant, l’Islam pratiqué par les membres de la royauté antankarana garde la trace des rituels ancestraux : tsangan tsainy (érection du mât) rites de possession (tromba), funérailles royales etc.
Les Indo-Pakistanais
Il semble que les premières implantations d’immigrants indo-pakistanais aient eu lieu à Nosy-Be dans la ville d’Ambanoro, au début du XIXème siècle. Ce mouvement s’est accéléré avec la colonisation et notamment avec le développement de la ville d’Antsirane, nouveau pôle de développement économique. D’ailleurs, aux tout débuts de la présence française à Diego Suarez-Suarez, la petite ville basse d’Antsirane en train de naître a pour seul commerçant un indien, Charifou Jeewa. Cette présence indienne va aller croissant au fil des années :
- 1899 : 14
- 1902 : 21
- 1905 : 49
- 1913 : 163
- 1926 : 156.
Ces indo-pakistanais ont pour points communs leur origine géographique (la province de Bombay, et plus particulièrement le Goudjerate). Cependant, ils se différencient par leur religion : hindouisme et Islam. Si les musulmans sont majoritaires, ils se séparent par leur appartenance aux deux branches majeures de l’Islam, le chiisme et le sunnisme. Parmi les chiites on distingue les Bohra qui sont les plus nombreux et les Khodja.
Les Bohra sont des chiites de la secte des Ismaïliens, de la branche des Daoudis. Ce sont les plus anciennement installés dans le Nord.
Les Khodja installés à Madagascar « sont des Duodecimains, c’est à dire qu’ils admettent la légitimité de douze imams descendants d’Ali. Le dernier Imam, l’Imam caché » doit revenir un jour sur terre ». (Raymond Delval). Les Bohra et les Khodja ont construit des mosquées comportant de grandes salles de prière et de réunion. La première mosquée Bohra, à Nosy Be date de 1870 ; à Antsiranana, en 1987, on comptait deux mosquées Bohra et une mosquée Khodja. Les sounis (nom générique porté par les Indiens sunnites) sont installés à Madagascar depuis longtemps (la mosquée de Majunga date de 1870). Ils représentent environ 15% des indiens de Madagascar. A Diego Suarez, la première mosquée sunnite date de 1921, elle est fréquentée par les Comoriens et les Indiens.
Les Comoriens
Les relations entre le Nord de Madagascar et les Comores, plus anciennement islamisés, sont vraisemblablement très anciennes. Elle n’étaient pas toujours amicales. Les expéditions menées, au XVIIème siècle, par les Sakalaves sur les Comores pour aller y chercher des esclaves comportaient des habitants du Nord. Guinet nous raconte que les contingents qui appareillaient étaient recrutés « depuis Tamatave jusqu’au Cap d’Ambre ». « Lorsque la saison du retour était arrivée, les Madécasses (Malgaches) cessaient leurs courses et se rembarquaient dans leurs pirogues, avec le butin et les prisonniers. De ceux-ci, ils faisaient ordinairement des esclaves ; car ils ne tuaient les habitants que lorsqu’ils ne pouvaient faire autrement ». (Froberville-1845)
Lorsque la France s’installe à Diego Suarez, en 1885, et interdit l’esclavage dans le nouveau Territoire, le Gouverneur Froger attire les esclaves des chefs malgaches dans ce territoire qui manque de bras et où ils trouveront la liberté. Il s’agit sans doute des premières arrivées de Comoriens dans le Territoire de Diego Suarez. Ces arrivées se feront beaucoup plus nombreuses avec la colonisation de tout le pays, d’autant plus qu’entre 1908 et 1946 les Comores sont administrativement rattachées à Madagascar. Les besoins de main d’œuvre favorisent l’installation de nombreux comoriens à Diego Suarez où ils occupent souvent de petits emplois (employés de maison, marchands ambulants) mais aussi des emplois de fonctionnaire, notamment dans la police. Les migrants comoriens ont apporté dans le nord l’Islam shâfi’ite à travers trois confréries : toarika shadhili-toarika rifa’i - toarika qadiri, telles qu’elles existent dans les Iles des Comores. D’obédience sunnite les mosquées comoriennes accueillent les indiens sounis.
Les Yemenites
Arrivés dans l’ensemble vers les années 1920, au moment des travaux d’extension du port, ils furent employés au batelage, généralement comme dockers. Logés dans un camp installé à l’emplacement actuel de l’Hôtel Allamanda, ils disposaient d’une mosquée spécifique qui fut détruite au moment de la construction de l’hôtel, les éléments sacrés étant transférés.
Les mosquées
Le grand nombre de mosquées à Diego Suarez et leur ancienneté témoignent de la présence ancienne de l’Islam. Parmi les plus anciennes mosquées, la première, installée dans la ville basse en 1887, fut détruite en 1950 et reconstruite immédiatement rue Justin Bezara ; la mosquée Anafi Jacob, construite en 1905 fut reconstruite en 1961 ; la mosquée Bambao fut construite de 1910 à 1912 ; la mosquée Dromoni, construite en 1918-1920 fut reconstruite en 1947 ; la mosquée Chadouli (1933-34) fut reconstruite en 1965 (renseignements fournis par la Monographie Diana ). Actuellement, Diego Suarez compte 19 mosquées, ce qui traduit le dynamisme de l’Islam dans la région, un Islam modéré dans lequel coexistent les différents courants de la religion.
■Suzanne Reutt