L'histoire de Vohemar est liée à ce que l'on appelle « les échelles », c'est à dire les comptoirs commerciaux établis dans les ports qui servaient d'escales aux bateaux arabes de l'Océan Indien
Les premiers habitants de Vohemar
Bien que les estimations sur la naissance de Vohemar diffèrent selon les historiens, il semble que l’on puisse dater l’établissement de la ville vers les XIIème ou XIIIème siècle. Par qui aurait-elle été fondée ? Certains (Beaujard) parlent de migrations austronesiennes, d’autres d’une ville musulmane « issue des Maures de Malindi » (Vernier et Millot). Si la population actuelle se réclame des Anjoaty, ces islamisés dont nous avons souvent parlé, une lointaine tradition parle d’une civilisation « Rasikajy » qui aurait totalement disparu ne nous laissant que des sépultures qui ont été largement étudiées mais qui gardent encore des secrets non élucidés.
Que signifie ce nom de «Rasikajy»?
Si certains expliquent le nom par « Ra-Sheik-Hadjy » (les hommes du Sheik, c’est à dire de Mahomet) d’autres voient dans la première particule le mot « ra’s » signifiant « cap » (rasi en swahili). Rappelons que le navigateur Ibn Mâjid» appelle le cap d’Ambre « ra’s-al-milh », c’est à dire cap du sel. Les Rasikajy seraient donc, selon J.C.Hebert, ceux qui habitent le Rasi-Hadji, le cap des descendants de Mahomet, donc des musulmans. Ceux-ci se seraient installés sur un « cap » aujourd’hui disparu. En effet, la tradition orale parle d’une « baie spacieuse à l’embouchure de la rivière de Vohemar mais, dans une furieuse tempête, la pointe avait été submergée » (Claude Allibert).
Une ville cosmopolite
Le portugais Diogo de Couto, évoquant l’exploration de Lobo de Sousa en 1557 écrit : « Les Maures de la côte de Malindi qui viennent d’ancienne date à Madagascar, y ont fondé deux villes, où vivent encore leurs descendants sous l’autorité de Cheiks ; l’une est dans une île située au milieu d’une baie nommée Manzalage dont nous allons parler tout à l’heure, et l’autre sur la côte Nord-Est dans une autre baie nommée Bimaro » (Vohemar). En fait, il semble que le port, escale de navigateurs de toutes origines, ait eu très tôt une population cosmopolite. Grandidier, dans son Ethnographie de Madagascar résume ainsi ce métissage : « les premiers comptoirs permanents qui ont été établis [...] semblent l’avoir été par des arabes venus de Malindi, arabes sunnites [...] Mais les navires qui y venaient annuellement de l’Arabie, de l’Afrique et de l’Inde, y ont amené des musulmans de races diverses et des banyans de Cambaye, qui, voyageant sans leurs femmes, ont donné naissance à Madagascar...à des métis de toutes les couleurs et de tous les types ».
Si la longue présence musulmane à Vohemar ne fait aucun doute, il n’en est pas de même d’une éventuelle présence chinoise, avancée par certains en raison d’une grande ressemblance entre les fragments de poteries découverts à Vohemar et certaines poteries chinoises. Il n’est pas impossible que ces céramiques aient été occasionnellement déposées par des navigateurs chinois mais il est plus probable qu’elles aient été apportées par les commerçants arabes.
Enfin, à partir du XVIème siècle les cartes marines portugaises témoigneront du passage des navires portugais à Vohemar. Nous savons notamment que certains bateaux de la flotte de Tristan de Cunha, ayant pour mission d’explorer la côte est de Madagascar en 1514, commercèrent avec les habitants de Vohemar.
Certains évoquent même une présence arménienne à Vohemar.
Le nom de la ville
Dès le XVème siècle, le navigateur Ibn Mâjid mentionne un Bimaruh qui désigne sans doute l’actuel Vohemar. En 1514 les portugais évoquent « un port du nom de Bemaro ». En 1526 Vohemar est appelé « Reis Bimar », nom à l’origine, sans doute, de Bimaruh et B(o)maro. Ces deux noms, dérivant du nom du sultan Bimar, seront transformés en « Vohemar » dès le XVIIème siècle. Flacourt, le gouverneur de Fort-Dauphin écrit ainsi : « Mais j’ai appris qu’il y a une Province, ou bien tout ce trait de terre et de côte de mer qui s’appelle Vohemaro, et dans la carte par les Portugais Boamaro, où il y a des blancs dès longtemps : là le riz se cultive comme à Ghallemboulou ».
Mayeur, au XVIIème siècle parle de « Heharang » (Iharana) ou Tsierangbazaha, ce qui signifie « le port des blancs ». Plus tard, en 1867, Guinet déclare : « Vohemar, appelé par les indigènes Vohimarina ou Hiara, prend son premier nom d’une montagne plate au fond de la baie et son deuxième nom du grand banc de corail qui forme la baie à l’est ». Bimaruh, Bemaro, Vohemar, parfois Vohimarina, Iharana, et même peut-être Ben’Ismaël d’après la carte d’Ibn Mâjid : l’examen des cartes anciennes témoigne à l’emplacement de Vohemar d’une ancienne présence d’un port connu et fréquenté par les navigateurs de nationalités diverses.
Vohemar riche comptoir commercial
Photos de miroirs et autres petits objets en porcelaine prises par Vernier entre 1941 et 1946 à l’Académie malgache à Tsimbazaza. Ces objets proviennent des fouilles réalisées à Vohemar quelques années plus tôt.
Il semble que l’apogée de la richesse commerciale de Vohemar se place entre le XVème et le XVIIème siècle. D’après Beaujard « Vohemar connaît un épanouissement spectaculaire aux XVe-XVIème siècle, en liaison avec les réseaux d’échange de l’Océan Indien Occidental mais aussi de l’Asie du Sud et du Sud-est ». Quels étaient les échanges commerciaux qui se faisaient dans le port de Vohemar à cette époque ? Nous avons vu que Flacourt parle de la culture du riz qui pouvait être convoité par les navigateurs de l’époque ainsi d’ailleurs que les bœufs, nombreux dans la région et qui feront la fortune de la ville avec l’arrivée des français au XIXème siècle. Mais, en dehors des denrées utiles au ravitaillement des bateaux, la région de Vohemar proposait aux marins des produits plus précieux, comme l’écaille de tortue, l’ambre gris, le copal (résine fossile ressemblant à l’ambre et dont on faisait des bijoux) ou même l’or. Flacourt, en 1661 écrit : « Il y a à Anossi un orfèvre autrement dit Ompanefa Voulamena, nommé Rafare Voulamena, fils d’un nommé Radam, qui m’a dit que ses ancestres sont venus de Vohemaro et qu’en ce lieu il y a bien de l’or que l’on trouve au pays, c’est l’origine des orfèvres du païs d’Anossi, c’est celui qui a instruict tous les autres aux Matatanes ». Cette tradition de l’introduction de l’or à partir de Vohemar est confirmée par la présence de bijoux en or dans les tombes de la nécropole de Vohemar.
La décadence de Vohemar
Cette prospérité de Vohemar semble avoir duré jusqu’au XVIIème, époque où Vohemar aurait décliné. Vernier et Millot donnent à cette décadence deux explications : « la ville musulmane de Vohemar [...] qui fut florissante jusqu’au XVIème siècle a décliné ensuite du fait de la domination portugaise ; elle aurait été brusquement abandonnée au XVIIème à la suite d’un cyclone d’une force dévastatrice exceptionnelle, cyclone dont la mémoire populaire, ainsi que le trajet de certains cours d’eau de la région ont gardé le lointain souvenir ».
Au cours de son exploration du Nord de Madagascar, en 1775, Nicolas Mayeur remarquera la présence de vestiges vieux de 150 à 200 ans, que l’on peut donc dater de 1575 ou 1625.
Un long et riche passé donc pour la ville de Vohemar, passé qui nous est en partie connu par l’exploration des sépultures de Vohemar.
La recherche archéologique à Vohemar
Le site de Vohemar a attiré l’attention des archéologues depuis plus de cent ans. Les recherches ont essentiellement porté sur les sépultures de la nécropole de Vohemar qui contenait des centaines de tombes des anciens habitants de Vohemar, les Rasikajy. (Curieusement, si le site est riche en sépultures, les archéologues n’ont pu trouver aucune trace d’ habitations, celles-ci ayant peut-être disparu dans le terrible cyclone qui aurait emporté la langue de terre de Vohemar.)
Dans la revue Taloha, en 1971, l’historien Pierre Verin récapitule l’historique des fouilles qui ont été conduites sur le site : « Les premières fouilles connues semblent avoir été entreprises par Guillaume Grandidier en 1899. Elles furent fort peu fructueuses. Vers 1904, M.Maurein pratiqua des fouilles avec plus de succès ». En 1941 de nouvelles fouilles furent entreprises par MM. Gaudebout et Vernier qui durent interrompre leurs travaux en raison de la guerre. Ch. Poirier reprit les travaux en 1948, puis ce fut M. Millot qui étudia encore les quelques restes qui se trouvaient sur le site. Ces fouilles ont permis de se faire une idée assez nette des échanges qui se faisaient à Vohemar, et des relations commerciales entretenues par les habitants de la cité.
Les sépultures de Vohemar, que l’on peut situer dans une période comprise entre le XIIIème et le XVIIème siècle indiquent que la zone fut un véritable carrefour de cultures. En effet, les objets trouvés sont d’origine extrêmement diverses : très nombreuses céramiques chinoises bleues de l’époque Ming qui peuvent avoir été apportées par les Chinois, mais aussi, et plus vraisemblablement par les Arabes ; verres provenant de Perse, cuillères en nacre (qui peuvent renvoyer à l’Océanie), perles en verre, en cornaline, quelquefois en métal (cuivre, argent, or) provenant sans doute de l’Inde, vaisselle en céramique dorée fabriquée en Espagne.
Cependant les pratiques funéraires semblent apporter la preuve d’une civilisation originale, mêlant l’Islam à d’autres pratiques : « Si la position des corps renvoie à l’islam, la présence de tout ce matériel associé l’en écarte. D’autres points restent à analyser : la position de cuillères en nacre placées derrière les vertèbres cervicales, sous le menton ou en avant du thorax, le rôle des marmites sens dessus dessous au pied du corps, légèrement surélevées par rapport au corps, la fonction des diverses perles, le rôle du miroir (talismanique?) placé devant la bouche, autant de choses qui, vraisemblablement, constituent un tout dans la pratique funéraire des Rasikajy ».(in Réévaluation du site de Vohemar : ouverture à d’autres hypothèses - Etudes Océan Indien)
Les tombes de Vohemar n’ont sans doute pas encore livré tous leurs secrets. Mais ce que nous en savons permet d’affirmer l’importance du site archéologique de Vohemar témoin d’une brillante civilisation pluriculturelle.
(à suivre)
■ Suzanne Reutt