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La grande rue de Vohemar à la fin du XIXème siècle
La grande rue de Vohemar à la fin du XIXème siècle

Nous avons vu que , dès le XVIIème siècle, la région de Vohemar et ses richesses-réelles ou supposées-ont aiguisé l’intérêt des traitants Français. Dès le début du XIXème siècle cet intérêt prend une tournure plus systématique avec les explorations méthodiques menées par la Compagnie de Madagascar

La Compagnie de Madagascar

Qu’était donc la Compagnie de Madagascar? Laissons parler son Gouverneur, le sénateur De Richemont qui publie en 1867 les Documents sur la Compagnie de Madagascar : « la Compagnie de Madagascar, autorisée par un décret impérial du 2 mai 1863, avait pour objet l’exploitation de la charte octroyée par le roi Radama à M.Lambert ». Cette « charte Lambert » dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes, octroyaient d’immenses privilèges au traitant Lambert qui avait été fait « Duc d’Emyrne » (Imerina). Mais après l’assassinat de Radama, cette charte fut dénoncée par le nouveau gouvernement hova et la Compagnie fut dissoute. Elle avait cependant, pendant 3 ans, envoyé dans l’île de nombreuses missions commerciales. Dans le Nord, plusieurs agents de la Compagnie furent chargés de « battre le terrain » pour découvrir ce qui pouvait intéresser la Compagnie. Les consignes données par le baron de Richemont au chef de la section de Vohemar, l’ingénieur-chef Coignet, ne laissent aucun doute sur les principaux buts de ces explorations :
« Paris, le 16 mars 1863 [...]Vous avez à rechercher toutes les richesses métalliques ou minéralogiques que peut renfermer Madagascar, dans la partie comprise entre Diego Soarez(sic) et la baie d’Antongil.[...] Vous trouverez à Vohemar un Allemand, le docteur Guntz, que M. Lambert a chargé d’aller prendre possession de divers territoires. Cet Allemand aurait fait la découverte de plusieurs gisements métalliques.[...] On assure qu’un Anglais nommé John Leigh Study, a découvert des mines d’or sur le territoire de Vohemar. Il est à présumer qu’il n’aura donné à personne aucun renseignement précis sur cette découverte[...]. A cette occasion, je vous rappelle la prescription absolue ...de maintenir parfaitement secrètes les découvertes importantes que vous pourriez faire.»
Alors ? commerce ou espionnage économique ? Les deux sont liés comme on le verra dans les rapports des agents de la Compagnie opérant dans le Nord. Un des premiers rapports que recevra la Compagnie à propos de Vohemar est celui du Dr Guinet, le 15 juillet 1863. Après avoir décrit le port de Vohemar, Guinet signale que 3 villages coexistent à Vohemar : « le village qui s’aperçoit aussitôt qu’on a doublé la pointe se continue jusque de l’autre côté du banc de sable dont j’ai parlé plus haut; il paraît divisé en trois parties : 1° le village des blancs, à l’est ; 2° celui des sakalaves Betsimisaraks ; 3° celui des hovas, remarquable par un rond de cocotiers très élevés ; c’est le plus ouest. Lors de mon arrivée à Vohemar, l’ancien village des blancs n’était habité que par leurs ex-ménagères et serviteurs. Cet endroit se reconnaît encore par les restes des plantations d’arbres fruitiers qu’y ont faites leurs anciens possesseurs. C’est sur ce point que pourront être établies les maisons de commerce. Nous avons pris possession de tout le village.[...] Cet endroit est très propice pour y établir un grand village, situé devant le port, borné au nord par la mer, au sud et à l’ouest par un marais de palétuviers, et à l’est par une partie boisée où sont les cimetières sakalaves ».
Après avoir décrit les problèmes d’installation (notamment la recherche d’une eau potable), Guinet passe aux « choses sérieuses »: « Aux environs de la montagne de la Table, on rencontre des agates, et, en continuant à suivre la chaîne dont elle fait partie au sud, on est étonné de la quantité de minerai de fer qu’on y rencontre. J’ai pu voir des échantillons de ce minerai contenant au moins 80% de métal. Nous avons cru aussi y trouver du plomb; mais n’ayant aucun moyen d’analyse, il a été impossible de s’en assurer. Les indigènes prétendent que dans le nord de Madagascar il existe des mines d’argent. Je n’ai rien vu qui put me prouver l’existence de ce fait ».
Si, de toute évidence, les agents de la Compagnie ont pour consigne de découvrir des ressources minières, ils ne se désintéressent pas pour autant des possibilités d’exploitation agricole et forestière. Dans son rapport du 23 mars 1864, Guinet rêve sur ce que « l’agriculteur le plus entreprenant trouverait dans ces terrains [...]; le coton, le tabac, le sésame, l’indigo, le bananier, etc., etc., y viennent presque sans culture. Les indigènes habituellement se contentent de sarcler leur riz une seule fois ; les cannes à sucre, plantées sans aucun soin, y viennent presque sans que leurs cultivateurs s’en occupent, et néanmoins atteignent des dimensions considérables : les arbres à fruits, manguiers, cocotiers et autres y sont de la plus grande beauté : en un mot, tout ce qu’on plante dans ces terrains y vient comme par enchantement.»
Pays de cocagne que, cette région de Vohemar, sans parler (mais Guinet en parle !) de la gomme copal que l’on y récolte, de l’écaille de tortue que ramènent les pêcheurs, des pierres précieuses peut-être dissimulées dans ces terrains en friche... Un rêve de commerçant ! Mais avant de pouvoir exploiter ces richesses, il faut vaincre de nombreux obstacles...

Joseph-François Lambert 1824 - 1873
Joseph-François Lambert 1824 - 1873
Joseph-François Lambert 1824 - 1873

Aventurier français fondateur de la Compagnie financière, industrielle et commerciale de Madagascar, il est nommé Duc d'Emyrne (Imerina) par le roi Radama II avec lequel il a élaboré la « Charte Lambert » avant l'accession au trône de ce dernier, quand il n'était que le Prince Rakoto. Cette « Charte Lambert », signée le 28 juin 1855, attribuait à Lambert le droit exclusif d'exploiter tous les minéraux, les forêts et les terres inoccupées de Madagascar en échange d'une redevance de 10 pour cent à l'ordre de la monarchie Merina. Dans les années qui suivront, les Français utiliseront cette "Charte Lambert" et une lettre du prince Rakoto à Napoléon III demandant la protection française pour justifier la guerre franco-hova et l'annexion de Madagascar en tant que colonie.

Les difficultés d’installation

Si Guinet, et son homologue, le Dr Gunst rappellent les excellentes conditions sanitaires qu’offre le climat de la région, ils insistent sur les problèmes que poserait l’installation d’une maison de commerce à Vohemar.
Le premier obstacle, c’est, bien sûr, le manque de routes : « Un voyage de Vohemar à Antsingy (le fort Hova d’Ambohimarina, à Diego Suarez) et au Cap d’Ambre, par terre, est toujours très pénible et très fatigant sous tous les rapports. Dans la saison des pluies[...] tout voyage est presque impossible ».
Autre obstacle, le manque de main d’œuvre : non seulement la région est peu peuplée (Guinet donne, pour la Province de Vohemar, les chiffres de population suivants : Betsimisaracks : 3 à 400, Sakalaves :5 à 600, Hovas : 100 à 150) mais, de plus, les malgaches « ne veulent pas travailler à gages », c’est à dire contre rémunération.
Enfin, dernier mais principal problème, la région est gouvernée par les Hovas qui voient d’un mauvais œil l’installation des traitants français : « Dans ces contrées lointaines, les Hovas en général imposent leur nationalité ; ce seul titre leur constitue le droit qu’ils s’arrogent de conserver en tout le monopole le plus positif sur toutes les affaires commerciales. Malheur au traitant qui, se fiant dans la foi des traités et des ordres de la Reine, voudrait faire un commerce quelconque sans en passer par où les Hovas voudront le faire passer ; il peut être sûr de voir toutes ses marchandises rester en magasin et les acheteurs indigènes s’éloigner de lui comme s’il avait la peste. Pourquoi ? C’est que le Commandant et son conseil ont défendu à tous de ne rien vendre et de ne rien acheter chez celui qui a été mis à l’index ! et tous savent parfaitement que le contrevenant serait certainement puni ».

Les visées lointaines de la Compagnie de Madagascar

Les Hovas qui gouvernent le Nord de Madagascar ont-ils des raisons de se méfier des explorations des agents de la Compagnie ?
En fait, il semble que les visées de la Compagnie de Madagascar étaient moins innocemment commerciales que ce que le disaient le baron de Richemont et ses agents.

Que l’on en juge...

Guinet, décrivant la route qui mène de Vohemar au fort merina d’Amboanio suggère : « Pour le passage d’une colonne de troupe, je proposerais une petite modification : au lieu de traverser le marais de palétuviers à la sortie du village, il faudrait, avec vingt hommes, dont dix armés de haches, suivre le bord du marais en passant par un sentier qui existe déjà entre la petite forêt qui borde la côte et ledit marais...». Suit une description topographique qui se termine par cette phrase : « Je crois qu’en suivant la crête de ce mamelon, on pourrait pénétrer jusque dans le fort hova sans avoir à redouter les projectiles ».Des propos bien guerriers pour un honnête négociant...
D’autant plus que le rapport de Guinet contient un chapitre « Renseignements militaires » qui ne laisse aucun doute sur les visées de conquête dissimulées sous les explorations commerciales. Dans ce chapitre, Guinet évoque la suprématie des hovas : « La force des Hovas est réellement considérable dans toute la partie nord de Madagascar. En effet, l’effectif des soldats et officiers se monte à 180 hommes, pour la province de Vohemar, répartis comme suit : Maramila (soldats): 80, Manamboniatra (officiers): 100 ». Chiffres qu’il met en balance avec les 480 hommes valides que comprend la population de la province et qu’il pense voir se rallier aux européens en cas d’attaque victorieuse de ceux-ci contre les hovas.

Le fort de Vohemar

Poursuivant son rôle occulte d’espion, Guinet décrit en détail le fort de Vohemar. « Le fort de Vohemar est de forme carrée, entouré d’une quadruple enceinte, dont trois en pieux et une en haies de raquettes[...]. L’enceinte qui suit les raquettes est formée de pieux espacés les uns des autres d’environ 2 mètres ; ils sont reliés par des traverses à la façon des parcs à bœufs. Cette première enceinte est donc complètement libre et peut avoir de 30 à 40 m de façade. Celle qui suit constitue alors la véritable enceinte ; elle est formée de piquets de 3 m de haut, solidement fichés en terre et reliés entre eux par des traverses logées dans le milieu des bois qui sont tous à se toucher. Il y a trois portes principales, une au nord, l’autre au sud et la troisième à l’est. Les angles et le milieu des faces du carré sont défendus par des constructions également en palissades et établies sur trois côtés ; ceux qui se trouvent près des portes forment une petite saillie extérieurement ; celles des angles sont élevées par un terre-plein jusqu’à la hauteur de l’entourage, de façon à ce que l’artillerie qui y est renfermée domine les murailles. Toutes ces constructions, qui sont au nombre de huit, renferment des canons en fonte pour la plupart hors de service ; dans tout ce que j’ai vu, il n’y a pas plus de cinq pièces en état de faire feu à poudre ; ce sont des pièces de 4 et 8.[...] Tout autour de l’enceinte intérieure dont je viens de parler, règne un chemin de ronde d’environ 8 m de large. C’est à l’ouest - nord-ouest de cette enceinte que se trouve la poudrière qui renferme à peu près 4 à 500 kilogrammes de poudre pour cartouches et gargousses. Entre l’enceinte dont je viens de parler et la dernière , qui est celle où demeure le commandant, il y a encore un petit chemin de ronde ; la largeur totale de cette enceinte peut être d’environ 25 à 30 mètres.»

Radama II, Roi de Madagascar du 16 août 1861 au 12 mai 1863
Radama II, Roi de Madagascar du 16 août 1861 au 12 mai 1863

Après avoir décrit la demeure du commandant où sont renfermées les archives de la province, Guinet évoque les abords du fort : « Le fort est protégé au nord par la rivière de Manambery qui en est éloignée d’environ 3 milles; au sud-ouest par la rivière de fanamba située également à 2 ou 3 milles; au sud-ouest par un ruisseau qui prend naissance dans la vallée, au pied du fort, et va se jeter dans la rivière de Fanamba. Enfin, à l’est, il a les hautes dunes qui bordent le rivage de la mer.»
L’ingénieur-commerçant Guinet se transforme ensuite en stratège pour expliquer comment parvenir rapidement au fort en cas d’attaque, citadelle qui, d’après lui, ne pourrait pas « tenir deux heures à une attaque de troupes européennes » qui pourraient incendier le fort bien que les Hovas aient pratiqué « sous le chemin est, dans la deuxième enceinte, une excavation pour abriter la garnison en cas d’incendie ».
Toutes ces précisions laissent peu de doutes sur les intentions de conquête de la Compagnie de Madagascar...qui ne pourra pas les mettre à exécution. Le roi Radama, protecteur de Lambert, ayant été assassiné, les conditions politiques d’une conquête du Nord de Madagascar se trouvaient réduites à néant. L’Empereur français, Napoléon III « invita la Compagnie à abandonner son œuvre, s’engageant à la faire indemniser par les Malgaches des dépenses qu’elle avait faites. Cette indemnité ayant été payée au mois de janvier 1866, l’Assemblée Générale des actionnaires prononça la dissolution de la Société le 26 mars suivant » (Baron de Richemont).
La Compagnie de Madagascar n’avait existé que pendant 3 ans : elle n’avait pu voir aboutir ses projets commerciaux, et peut-être des projets plus politiques mais, comme De Richemont l’exprimait dans son rapport du 26 mars 1866 « D’autres, peut-être, mieux servis par les circonstances, reprendront après nous l’œuvre que nous sommes contraints d’abandonner, et la trace de nos efforts ne serait perdue ni pour eux, ni pour le pays ». Effectivement, moins de 20 années plus tard, le Nord de Madagascar serait à nouveau un enjeu dans les relations franco-malgaches, et Vohemar jouerait un rôle essentiel dans le conflit qui se préparait.
(à suivre)

■ Suzanne Reutt

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