La mort du roi Radama II avait signé le glas des espoirs commerciaux portés par la Charte Lambert, dont les intérêts étaient représentés par la Cie de Madagascar. Mais la France n’était pas disposée à renoncer à ce qu’elle estimait être « ses droits » sur Madagascar. La seconde partie du XIXème siècle allait être marquée par d’intenses (et conflictuels) échanges diplomatiques et par deux guerres opposant la France au gouvernement Hova. Dans la première guerre, celle de 1883-1885, Vohemar joua un rôle essentiel
Des « droits » français sur le Nord de Madagascar?
Depuis longtemps, la France revendiquait des droits sur le Nord de Madagascar: d’une part, ceux qui découlaient selon elle du traité franco-antankarana de 1841, signé avec la Reine Tsiomeko et qui plaçait les sakalaves du Nord sous la protection française et, d’autre part les avantages accordés par la Charte Lambert, signée par Radama II. Le contentieux de la charte Lambert avait été réglé par le versement d’une importante indemnité versée par la Reine Rasoherina mais les revendications françaises ne cessèrent pas malgré la signature d’un nouveau traité en 1868 qui reconnaissait l’autorité de la Reine sur toute l’Île. Le problème de la succession du Consul français Laborde fit rebondir les désaccords, envenimés par une série d’incidents dans le Nord. En effet, sur le conseil des Anglais, pression fut faite sur les chefs sakalaves qui avaient signé un traité avec la France, pour qu’ils se soumettent à la Reine. Le Premier Ministre Rainilaiarivony n’ayant donné aucune suite aux protestations françaises, le Contre-Amiral Le Timbre, commandant l’escadre française de l’Océan Indien partit de Tamatave pour faire enlever le pavillon de la Reine qui flottait sur les villages de la Grande-Terre en face de Nosy-Be. Les négociations franco-malgaches ayant échoué la France décida de bombarder quelques ports de la côte Nord-Ouest.
La guerre franco-hova 1883-1885 : les premières opérations
La guerre était inévitable. Le contre-amiral Pierre, nommé commandant en chef de la division navale de la Mer des Indes reçut les instructions suivantes : « Après avoir déclaré nettement aux Hovas que nous sommes résolus à mettre un terme à leurs tentatives pour s’imposer aux populations de la côte Nord-Ouest placées sous notre protectorat, vous ferez disparaître les postes qu’ils ont établis chez ces dernières [...]Si ces actions sont d’abord prévues sur la côte Nord-Ouest, une seconde série d’instructions ordonne à l’Amiral Pierre de "chasser les Hovas des territoires de la côte Nord-est placés sous notre protectorat" puis, après s’être emparé de Majunga d’envoyer un ultimatum à la Reine demandant notamment "la reconnaissance effective des droits de souveraineté que nous possédons sur la côte nord"». Le Premier Ministre ayant répondu négativement à cet ultimatum, l’Amiral Pierre bombarda Tamatave dont il s’empara le 11 juin 1883. Cependant, gravement malade, l’Amiral Pierre s’embarqua pour la France où il mourut, à son arrivée à Marseille le 16 août 1883. Il fut remplacé par l’Amiral Galiber, arrivé à Tamatave le 24 septembre. Les effectifs furent renforcés (l’Amiral Pierre ne disposait que de 800 soldats). On envoya à Madagascar une compagnie de fusiliers marins et 4 compagnies d’infanterie de marine furent dirigés sur La Réunion pour permettre la relève des troupes d’occupation. Par ailleurs La Réunion fut invitée à fournir 2 compagnies de volontaires créoles, tandis que l’on commençait à former des corps de sakalaves pour les utiliser comme auxiliaires. Enfin, l’escadre française fut renforcée.
L’Amiral Pierre avait disposé des bâtiments suivants : 2 croiseurs : la Flore et le Forfait qui devait rapidement être relevé par le Beautemps-Beaupré ; l’éclaireur d’escadre le Vaudreuil ; l’aviso de station le Boursaint ; la canonnière la Pique, avec en appui éventuel le transport-aviso la Nièvre. L’Amiral Galiber vit la division navale se compléter avec la canonnière Capricorne ; le transport-hôpital La Creuse ; le croiseur La Naïade remplaçant la Flore.
Les opérations sur la côte Nord-Est
Par une dépêche du 27 septembre l’Amiral Galiber reçut l’ordre de détruire les établissements hovas de la côte nord-est. Le Beautemps-Beaupré et le Boursaint ayant contourné l’Île par le sud « bombardent et incendient Manahar, Vohémar, Antombouc et Marancette (sic) » (Humbert ) entre le 26 octobre et le 16 novembre. Cependant, Galiber ne possédait pas les troupes suffisantes pour se maintenir dans les postes arrachés aux Hovas. Il avait d’ailleurs reçu l’ordre d’éviter toute complication en raison de nouvelles négociations entre l’Etat français et Madagascar, gouverné par une nouvelle reine en la personne de Ranavalona III qui avait succédé à Ranavalona II. L’Amiral Galiber rencontra à Tamatave les émissaires malgaches auxquels il déclara que « par suite de nos conventions de 1840 et 1841 avec les Sakalava, tout le nord de Madagascar, entre le Cap d’Ambre et le 16ème parallèle, était sous notre domination et que le gouvernement merina devait en retirer ses garnisons » (Grandidier).Ce à quoi le négociateur malgache Rainandriamampandry répliqua que c’était « comme si vous me demandiez un de mes bras ». Après l’échec des négociations, Galiber fut remplacé en mai 1884 par l’Amiral Miot.
Le débarquement de Vohemar
A la suite d’un vote français de la Chambre des Députés, en date du 27 mars, vote qui affirmait la résolution de la France de maintenir ses droits sur Madagascar, l’Amiral Miot reçut des instructions réclamant un maximum de fermeté. Cependant, les troupes merina qui occupaient les postes bombardés, s’étaient repliées dans l’intérieur : pour les atteindre, les bombardement de marine ne suffisaient pas. Miot demanda donc des renforts... qu’il n’obtint pas, la France étant engagée dans l’expédition du Tonkin. On lui envoya seulement un bataillon de fusiliers marins revenant d’Extrême-Orient, sous les ordres du capitaine de frégate Laguerre (!). Quant aux volontaires créoles de La Réunion, ils ne s’étaient pas bousculés pour s’engager, si l’on en croit le J.O de la République française du 5 août 1885 : « dans une note sur les effectifs que M. le Ministre de la marine a bien voulu fournir à la commission, nous voyons en effet que la Réunion, qui aurait dû fournir un effectif de 625 hommes, n’en a fourni en réalité que 270 ». Avec les forces dont il disposait, Miot embarqua le 17 novembre sur l’Allier, en direction de Vohemar, une compagnie d’infanterie de marine, une de fusiliers-marins, et dix gendarmes. Ces troupes furent mises sous le commandement du commandant Escande, qui venait de bombarder la ville avec le Beautemps-Baupré. La colonne de débarquement, sous les ordres du capitaine Bergeolle de l’infanterie de marine, s’empara de Vohemar.
La prise de Vohemar
Cette prise de Vohemar, les 20 et 21 novembre 1884, dont tous les journaux de France se firent abondamment l’écho, a donné lieu à de nombreux récits Voici, dans sa sécheresse, le télégramme du 6 décembre 1884, envoyé de Tamatave par l’Amiral Miot au Ministre de la marine : « Nos troupes occupent Vohemar ainsi que le fort Embaniou(sic). Les Hovas ont fui par le sud. Les Antankares ont très bien marché. Tous les chefs de la Province font leur soumission. N’avons ni tués ni blessés. Santé générale : satisfaisante ». Humbert donne un peu plus de précisions : « Le 21 novembre, après une reconnaissance préliminaire des lieux au cours de laquelle on avait infligé à l’ennemi un léger échec, le Beautemps-Beaupré, l’Allier et le Scorff débarquent à Vohemar un petit corps expéditionnaire :
- 100 hommes d’infanterie de marine;
- 240 fusiliers marins;
- 10 gendarmes à cheval;
- 300 porteurs antankaranes.
On enlève le jour même le village de la Douane, situé au fond de la baie, au pied du plateau de la Table. Puis les troupes s’établissent au bord d’un ruisseau d’eau vive dominé par cette hauteur ; en quatre à cinq jours, on transporte sur l’emplacement du bivouac les cases du village de la Douane et on crée ainsi le camp de Beautemps-Beaupré. Une ligne de sentinelles entoure le camp, de plus, un poste d’observation est installé au sommet de la Table, d’où l’on aperçoit, à 14 kilomètres dans le sud, le rova d’Amboanio.
La prise d’Amboanio
C’est dans ce fort d’Amboanio que se sont repliées les troupes merina. Voici le récit de la prise de ce fort que nous donne le journal XXème siècle. « Mais, l’opération la plus importante est celle qui a été exécutée avec le plus entier succès à Vohémar. On sait que le fort d’Amboanio, situé à 25 kilomètres de Vohémar, avait été occupé par une compagnie de marins fusiliers, une compagnie d’infanterie de marine et les compagnies de débarquement du Beautemps-Beaupré et de l’Allier. L’occupation s’était faite sans difficulté; on n’avait pas aperçu une tête de Hova. Les Antakares, enhardis par notre présence, parvenaient à enlever aux Hovas un troupeau de 500 bœufs qu’ils amenaient à la côte. Néanmoins, quelques jours après l’occupation, un parti de Hovas vint rôder autour du fort d’Amboanio et blessa un de nos hommes. L’amiral Miot, avisé de la présence de l’ennemi, résolut de lui infliger une leçon et de le déloger du fort de Menjaka-Tampo ou Andrianparani, à trente cinq kilomètres d’Amboanio. Il chargea le capitaine de frégate Escande, commandant le Beautemps-Beaupré, commandant supérieur de Vohemar, de diriger l’opération avec trois compagnies d’infanterie de marine, une compagnie de marins-fusiliers et un millier de Sakalaves du roi Tsialana venus de la côte nord-ouest pour reprendre possession des terres dont les Hovas les ont chassés ». La colonne se mit en marche le 5 décembre à une heure du matin. Voici le passage du rapport du commandant Escande qui rend compte de cette opération :
« Je rentre d’Amboanio avec la colonne expéditionnaire. Le fort a été pris, les Hovas ont tiré quelques coups de canon. L’ennemi, surpris par une marche de nuit très rapide et fort bien exécutée, n’a pas incendié le village, très considérable, qui est demeuré intact. Ils ont voulu détruire le fort très considérable, qui est demeuré intact. Leur frayeur était si grande que le temps a manqué. La maison du gouverneur, les cases de Ia garnison ont seules été détruites. J’ai pu sauver, avec peine il est vrai, la palissade. Deux jours de travail remettront en état ce fort, vraiment inexpugnable, quand il sera confié à la garde d’un détachement de Français et de 200 Antakares. J’ai décidé, à moins d’ordre contraire de votre part, amiral, que le fort d’Amboanio resterait occupé ; plusieurs raisons m’ont conduit à le faire. Une des colonnes avait tourné l’ouvrage et était arrivée à 7 ou 800 mètres du fort. Les Hovas, attaqués de tous les côtés, résistèrent avec bravoure, et ce n’est que quand ils se virent cernés de près qu’ils prirent la fuite. Ils laissaient 250 morts sur le terrain et le cadavre du gouverneur, un 12e Honneur ; on s’empara d’un matériel considérable.» L’Amiral Miot, rendant compte au Ministre de la Marine rendit hommage au courage du Gouverneur d’Amboanio: « Le chef hova s’est fait tuer bravement avec son fils Fondja ». Mais les Hovas possédaient encore une place forte à 35 km dans l’intérieur,à Andraparany: une expédition fut donc décidée contre ce fort.
La prise d’Andraprany
Ecoutons le rapport du capitaine Brun, qui, avec le capitaine Escande, commanda l’opération : « Le 5 décembre, époque de la pleine lune, à une heure du matin, la colonne expéditionnaire quittait Amboanio...». Elle comportait, en ordre de marche, la 5ème Compagnie de fusiliers marins ; la 21ème compagnie d’infanterie de marine ; le canon de débarquement du Beautemps-Beaupré et ses servants ; la compagnie de débarquement du Beautemps-Beaupré ; le contingent des auxiliaires antankarana avec le roi Tsialana à leur tête et enfin, les gendarmes. Il fut décidé de scinder la troupe en deux colonnes: une colonne de gauche comprenant 700 Antankarana et 73 fusiliers chargée de couper la retraite à l’ennemi sur la route de Sambava; une colonne de droite qui devait attaquer par le nord. D’après le capitaine Brun « le plateau d’Andraparany constitue une position militaire vraiment redoutable [...] A une heure, on commence l’escalade du plateau ». En fait, la colonne mettra 3 heures à atteindre le sommet après des escarmouches contre les troupes hovas. Arrivée sur le plateau d’où l’on distingue le fort d’Andraparany, la colonne se déploie en tirailleurs : c’est là que le combat va commencer : « Tout à coup, le feu de l’ennemi éclate [...]i l part d’un ravin encaissé. C’est là que les Hovas ont concentré leurs forces. Ils garnissent en grand nombre le bord situé de notre côté ; sur chacun de leurs flancs, deux pièces d’artillerie tirent sans relâche. La position est forte, l’attaquer de front serait une témérité ». Il est donc décidé de la déborder par la gauche pendant que le canon et un peloton d’infanterie mènent le combat de front. A 5 heures les adversaires ne sont plus qu’à 50m les uns des autres, « cette distance est franchie d’un bond au pas gymnastique » par les français et leurs alliés et les Hovas survivants doivent s’enfuir : «La victoire est complète, tous les chefs hovas sont restés sur le champ de bataille et,à côté d’eux, leurs meilleurs soldats ». Plus laconique, l’Amiral Miot envoya, le 11 décembre, le télégramme suivant au Ministre de la Marine : « Nous avons pris, le 6 décembre, le second fort au sud de Vohemar à la suite d’une marche de quinze heures faite par une colonne composée de 300 européens et de 900 Antankares. Nous avons perdu 5 canons ; 200 Hovas ont été tués sur les positions. De notre côté, nous avons eu 4 blessés, dont un grièvement ».
Les français étaient maîtres de Vohemar : qu’allaient-ils en faire ?
(à suivre)
■ Suzanne Reutt