L'intérêt de la France pour la baie de Diego Suarez vient de loin... Déjà, en 1832, le comte de Rigny, ministre de la Marine, envisageant d'installer à Madagascar un « établissement maritime » chargea le contre-amiral Cuvillier, gouverneur de Bourbon de faire explorer la baie de Diego. Cette exploration fut exécutée en 1833 par la corvette La Nièvre, par le commandant
Cependant, en raison des dépenses considérables qu'il aurait occasionnées, le projet fut abandonné « quelque utile qu'il dût être pour la France de posséder un port dans une mer où nous en manquions absolument ». L'occasion de réaliser ce rêve fut fournie par la guerre franco-hova de 1884-1885.
1884 : Détruire les postes merina
Les revendications françaises qui s'appuyaient sur des «droits anciens« consécutifs à de précédents traités débouchèrent sur la guerre de 1883. Le 17 mars 1883, le Ministre de la Marine envoie les instructions suivantes au contre-amiral Pierre, commandant en chef de la division navale des Indes, à bord de la Flore : « Vous ferez disparaître les postes établis par les Hovas sur les parties de la côte placées sous notre protectorat ou notre souveraineté [...] vous aurez à faire évacuer les postes qui pourraient exister également dans cette dernière région (Nord-est), notamment celui d'Antsingy -baie de Diego Suarez ». Il s'agit, bien sûr du fameux fort d'Ambohimarina, dans la montagne des français, (dont nous avons parlé longuement dans le n° 25 du 6 avril 2011 de la Tribune de Diego) et où les merina étaient installés depuis 1828. Dès mars 1884, à la Chambre des députés française, certains demandèrent l'occupation de « certains point de la côte, notamment la baie de Diego-Suarez qui nous assurerait de bons ports ». Le 18 janvier 1885 le Contre-Amiral Miot, commandant la flotte de l'Ocean Indien écrivait au Ministre de la Marine : « Je vais maintenant m'occuper de Diego Suarez. Les reconnaissances vont incessamment commencer relativement à Antombouc. Les Hovas sont là 7 à 800 dans une position naturelle des plus montagneuse ».
1885 : L'occupation de la rade
Le 15 février 1885 Miot écrit : « Je n’ai pas jugé nécessaire d’envoyer des troupes à Diego Suarez pour le moment. Tout cela à besoin d’étude, de prudence, et de préparations afin de ne pas s’embarrasser de conquêtes inutiles ; le peu de monde dont je dispose m’oblige à beaucoup de mesure. Néanmoins la rade est occupée. J’y enverrai en temps et lieu les baraques et les 40 ou 50 hommes que j’y destine. Nous pourrions y établir peu à peu un dépôt de charbon. Il y a là des emplacements très convenables à cet usage ». Le 17 février 1885: le transport la Creuse, venant de Tamatave mouille dans la baie et en prend possession au nom de la France. A cette occasion, le journal Le monde illustré évoque cet évènement en ce termes : « Le 15(?) février dernier, le pavillon français était officiellement hissé sur l'îlot Clarence, qui commande l'entrée de la baie de Diégo. Les Hovas, chassés des villages de la côte, se réfugiaient dans les montagnes où ils occupent depuis lors le fort d'Ambohemarina, véritable nid d'aigle, situé à une hauteur de 350m, sur une montagne rocheuse presqu'inaccessible ». Si cette information, ainsi que celles qui suivent dans cet article, comporte certaines erreurs, elle témoigne de l'intérêt que les lecteurs français portaient à cet évènement, qui sera relaté dans de nombreux récits. Voici la description que donne Humbert dans son ouvrage Madagascar : « Le village d'Antsirane, habité par quelques familles sakalaves, est immédiatement mis en état de défense; des reconnaissances rayonnent dans l'intérieur, dans le but d'assurer le ravitaillement en viande fraîche et de se renseigner sur la situation des Hovas dans la région. Ceux-ci occupent à Ambohemarina, à quelque kilomètres de Diego-Suarez, un rova perché comme un nid d'aigle au sommet d'une montagne; les pentes ont été escarpées, seuls des escaliers étroits taillés dans le roc, permettent l'accès à l'ouvrage ».
Dans L'Afrique pittoresque Charles Ségard nous donne de l'arrivée de la Creuse une des description plus... pittoresque : « La Creuse a ralenti son allure ; l'équipage est au poste de combat, paré à toute éventualité. Bast! personne! Nous franchissons l'entrée, et nous voilà dans la baie [...] A gauche, on distingue quelques cases groupées au bord de l'eau, à l'abri d'un de ces fouillis : des pirogues halées sur la plage et figurant de grands cétacés échoués [...] Pas d'autres vestiges de la présence de l'homme [...] Nous allons plus avant, et l'on signale au fond d'une des baies deux ou trois coutres (sic), taillés sur les gabarits de l'arche de Noé et pareils à ceux qui, faisant le commerce sur la côte nord-ouest, viennent généralement de l'Inde. Enfin nous stoppons ; la Creuse est mouillée ; mais, juste ciel! que nous sommes éloignés de tout ! la plus voisine des terres est au moins à deux milles de notre bateau. [...] Un officier est allé, avec un canot armé, reconnaître les coutres ; ils sont montés par des Indiens et des Antalotes. A l'arrivée de la Creuse, l'un d'eux a substitué diplomatiquement à son pavillon arabe le pavillon français [...] leurs équipages sont en train de charger du riz près d'un imperceptible village, où, le matin encore deux douaniers hovas exerçaient leurs fonctions. Mais notre approche a mis en fuite ces employés, leurs familles et leurs bœufs, qui se replient vers l'intérieur. En effet, les trafiquants disent que par derrière ces premiers plans de montagnes, sur un plateau de calcaire, il existe " un fort redoutable avec plus de quatre cents hommes armés de fusils et de canons ". Au demeurant, d'après les renseignements puisés à la même source, on peut s'égarer de chaque côté de la baie, à sept ou huit kilomètres, sans avoir à redouter la rencontre d'un ennemi ». En fait, les Merina qui s'étaient transportés à Anamakia en avaient été chassés le 14 février 1885 et le 11 mars, ils durent également abandonner Antanamitarana où ils s'étaient repliés.
Ambohimarina
Le 14 mars 1885 le contre-amiral décrit les opérations contre les positions Hova. « Les reconnaissances des positions Hovas qui défendent l’extrémité nord de l’île, se sont opérées avec succès et deux obus, envoyés par le Beautemps-Beaupré, sur le camp ennemi, sont tombés au milieu, à une distance de 7200 mètres. Des hommes ont gravi un morne carré, accessible du mouillage, et sur lequel une pièce de 80 m/m mise en batterie, peut tirer avec succès à 3000 mètres sur le camp. Ce camp que les indigènes nomment Amboémarina, comprend comme la plupart des ouvrages Hovas, une enceinte palissadée et un grand village intérieur. Il occupe, et c’est là sa force, le sommet d’une montagne dont la hauteur n’est pas moindre de 300 mètres. Les versants sud, est et ouest de la montagne présentent des pentes abruptes ; les quelques mauvais sentiers qui conduisent au sommet sont naturellement obstrués et coupés par les Hovas. Au nord ouest, la montagne d’Amboémarina est reliée au massif montagneux qui se prolonge au nord, dans la direction de Diego Suarez, par un contre fort très élevé, mais qui est cependant dominé par les hauteurs du rova Hova. Dans ce voisinage l’accès de ce contrefort est très difficile et pourrait devenir dangereux pour l’assaillant.Al’est, la montagne dont je viens de parler, est dominée par le morne carré dont elle est séparée par une vallée profonde. Du sommet du Mont carré, on peut canonner le camp à la distance de 3000 mètres, mais le transport d'un canon de 80 m/m de campagne présente de grandes difficultés. La distance du camp à la baie est de 7200 mètres, celle de la baie au mont carré de 4100 mètres environ. La garnison de ce camp comprend 800 Hovas et environ 1200 Sakalaves, contraints par la force. Il y a 5 mauvais petits canons et l’armement des hommes consiste en fusils à pierre. Seulement dans cette superbe situation militaire et sur ce large plateau si difficile à gravir, il existe un immense approvisionnement de riz, des bœufs en quantité et deux sources d’eau excellente. Les Hovas qui y sont établis y sont depuis longtemps ; c’est une colonie formée par eux ; ils y ont fait souche et sont dans des conditions de santé bien supérieures à tous ceux qui habitent les autres parties de la côte. Il y a 3 mois qu’ils n’ont plus aucune communication avec la capitale. Ils sont donc voués à la soumission. Un bombardement méthodique, fait de la baie d’Amboudivahibé, forcerait l’évacuation. Il faudra alors cerner la montagne dans la vallée pour empêcher la fuite des hovas. J’estime nécessaire une colonne de 400 hommes et environ 500 à 600 porteurs ; mais c’est une opération que je ne pourrait tenter que vers le mois de mai. La baie d’Amboudivahibé est largement ouverte aux vents de NE. Il faudra donc attendre que la mousson de S.E soit bien établie pour amener là 2 bâtiments et le personnel nécessaire. Jusque là, et quand même, nous pouvons commencer nos établissements de Diego Suarez.»
Les premières installations:
Miot les décrit ainsi dans son rapport : « Depuis la prise de possession par la Creuse, les Sakalaves rallient peu à peu. Nous possédons là un admirable port, facile à défendre et dont la possession vaut à elle seule tous les sacrifices qu’on peut faire ici. Nous pouvons déjà sans danger, avec sécurité, commencer à y accumuler, si nous le désirons, vivres, charbon, rechanges, ateliers, tout ce qui peut être nécessaire pour ravitailler notre station de la mer des indes. Rien qu’en y envoyant le rebut de nos ports, nous pouvons établir ici un lieu de refuge et de réparations. Le port de la Nièvre, qui s’ouvre au fond de la baie de Diego Suarez, peut facilement, et à l’aise, contenir au moins six cuirassés. Ils y trouveraient un abri sûr et ne pourraient être exposés aux coups venant de l’entée qui est située à 11000 mètres environ dans le N.E. Tout cela est occupé maintenant, nous n’avons qu’a y envoyer ce qu’on voudra. J’y mettrai plus tard quelques soldats et je crois nécessaire d’y établir un capitaine de frégate quand la Dordogne y prendra station.»
Ce capitaine de frégate, c'est le commandant Caillet qui sera le premier « commandant particulier de Diego-Suarez ». Installé sur la Dordogne, il reçoit, en octobre 1885 la visite du Député de La Réunion François de Mahy, ardent partisan de la colonisation de Madagascar, qui nous décrit son escale à Diego en octobre 1885. « J'ai eu le plaisir de retrouver à Diego Suarez un ami, M. le capitaine de frégate Caillet, commandant supérieur du nouvel établissement. [...] Nous avons mis pied à terre au village d'Antombouck ou Antsirane, composé d'une vingtaine de paillotes malgaches, abritant une population très pauvre, de cent vingt ou cent cinquante habitants. A gauche du village, le casernement de nos soldats, très bien conditionné. » Mais des escarmouches opposent encore les soldats français aux troupes merina : c'est ce que constate Fraçois de Mahy dès son arrivée : « Nous avons eu hier une petite alerte. Au moment où nous sortions de table, à bord de la Dordogne, chez M. le commandant Caillet, commandant supérieur de Diego-Suarez, on a entendu quelques coups de fusil à terre. - Vite, branle-bas de combat à bord de la Dordogne, échange de signaux avec la terre. Nous regagnons notre Bisson avec le commandant Poudra. Le commandant Caillet descend avec sa compagnie de débarquement pendant que le Bisson fait aussi branle-bas et braque ses canons en attendant les ordres du commandant supérieur. Nous avons ainsi été tenus en haleine jusqu'à onze heures et demie ». Mais les menaces hova ne semblent pas inquiéter l'Amiral Miot qui écrit : « A Diego Suarez, la Creuse fait le meilleur effet. Quelques villages Sakalaves se groupent sous la protection de ses canons, mais leur timidité est encore excessive et les bruits que l’on répand parmi eux de notre prochaine évacuation empêchent ceux de l’intérieur de nous rallier franchement. Ils se prononceraient sans hésitation si les Hovas étaient chassés du fort d’Ambohémarina, situé à 30 kilomètres dans l’intérieur, et dans une situation qui défie tout assaut. D’ailleurs les Hovas d’Ambohémarina ne nous empêchent pas de nous établir à Diego Suarez. Il sont plus préoccupés de leur sécurité que des moyens de nous inquiéter. Un incident est à noter lors d’une reconnaissance en avant dans les plaines du sud : elle revenait avec un convoi de zébus lorsqu’elle essuie deux ou trois coups de feu à 80 mètres de distance de la lisière d’un bois, blessant l’enseigne de vaisseau Crova et le matelot Cormerais. 200 Hovas descendent alors de la montagne pour attaquer la colonne ; le maître voilier de la Creuse Tison, qui avait pris le commandement du détachement déploie ses 40 hommes et quelques feux de salves suffisent à disperser les Hovas qui laissent sur le terrain une douzaine de cadavres ». Cependant de légères fortifications ont été mises en place à Diego : « J’ai fait construire deux petits fortins destinés à protéger le village d’Antsirane, plutôt pour rassurer les réfugies qui viennent jusqu’à nous, que pour nous défendre contre toute agression des Hovas ». Ces deux petits fortins, construits sur les pentes du plateau, en bois, seront rapidement remplacés par des défenses plus solides, à Cap Diego, que Miot évoque dans un courrier. « L’emplacement pour recevoir un casernement est choisi dans les meilleures conditions. Il y a une baignade, de l'ombre, une falaise qui l’abrite des grands vents de sud. Le terrain forme un vaste rectangle de 70 mètres de longueur sur 47 de largeur. Les planchers des cases seront élevés de 0,75 au dessus du sol. L’anse du cap Diégo se prête, à tous points de vue, à la création d’un établissement maritime pouvant contenir des hangars à charbon, des magasins-dépôts et des ateliers de réparation. Avec une jetée de 20 à25 mètres de longueur et un développement de 150 mètres de quai construits en déblai, et au moyen de d’une simple entaille au pied du versant nord de la montagne, on peut faire de l’anse de Diégo, un petit port très bien fermé où des navires calant 5 mètres pourront venir s’amarrer bord à quai, à marée, basse. Ces travaux seront d’une exécution facile et peu coûteuse, attendu qu’on a sous la main tous les matériaux de constructions, blocs pour les enrochements et pour le massif intérieur de la jetée et des quais, moellons de choix, pierres de taille, sable et calcaire pour la chaux et même pour le ciment. La falaise qui borde au nord l’anse de Diégo renferme, par grandes masses, dans sa partie supérieure des argiles éminemment propres à la fabrication des tuiles et de la brique. A 100 mètres du cap existe une source d’eau vive, abondante en toutes saisons, qui jaillit des flancs boisés de la falaise à 12 mètres environ des hautes marées.»
Mais ces installations défensives n'empêchent pas Miot d'envisager une offensive contre les Hovas repliés dans leur forteresse d'Ambohimarina. Cependant, les choses vont changer avec le Traité du 17 décembre 1885 signé avec le Gouvernement de la Reine de Madagascar et qui accorde à la France « le droit d'occuper la baie de Diego-Suarez et d'y faire des installations à sa convenance ». La France gardera le territoire de la baie, étroitement circonscrit dans des limites que les français ne cesseront de franchir tandis que les hovas continueront à gouverner, au nom de la Reine, du haut de la forteresse d'Ambohimarina, dans la Montagne des français, la province d'Antomboko.
■ Suzanne Reutt