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Le nouveau quartier d'Antsiranana en 1890
Le nouveau quartier d'Antsiranana en 1890

La rivalité entre autorité civile et autorité militaire n’a pas toujours rendu les choses faciles à Diego Suarez pendant les premières années de la présence française... A partir de 1890, cependant, la légitimité du gouverneur Froger va être renforcée ce qui permettra la réorganisation et le développement des « Etablissements français » de Diego Suarez

Le décret du 1er juillet 1890 confirme l’autorité du gouverneur civil, Froger
La carte de Diego Suarez en 1891
La carte de Diego Suarez en 1891

« Un décret du 4 mai 1888 avait rattaché au territoire de Diego Suarez les îles Nossi-Be et Sainte-Marie de Madagascar. Un décret du 1er juillet 1890 complète l’organisation de ces possessions et les place sous l’autorité d’un gouverneur résidant à Diego Suarez. A Diego Suarez, le gouverneur exerçant les pouvoirs politiques, administratifs et financiers, est assisté d’un conseil consultatif dont la composition sera arrêtée ultérieurement. Le budget local est établi par le gouverneur, avec le concours du comité consultatif, et soumis à l’approbation du sous-secrétaire d’Etat des colonies. Le gouverneur est assisté d’un secrétaire général, qui le remplace en cas de décès ou d’absence. L’administration de Nossi-Be est confiée à un administrateur colonial placé sous l’autorité du gouverneur. L’administrateur est assisté d’un secrétaire-général. Il prépare le budget local soumis à l’approbation du sous-secrétaire d’Etat. L’établissement de Sainte-Marie de Madagascar est placé sous l’autorité directe du gouverneur de Diego Suarez. Le budget local est préparé par l’administrateur de cette dépendance avec le concours d’un comité consultatif dont la composition sera fixée ultérieurement. Il est approuvé par le gouverneur.» (Revue française de l’étranger et des colonies - 1/7/1890)
Investi de ces nouveaux pouvoirs, Froger va pouvoir s’atteler au développement de la petite ville d’Antsirane (qui n’est déjà plus le village qu’ont trouvé les français cinq ans auparavant), et de la région qui l’entoure-et même au-delà du Territoire concédé par le Traité de 1885..
Cependant, la population civile de Diégo qui avait chanté les louanges de Froger commence à trouver son gouverneur assez envahissant, comme en témoigne le député Brunet : « Mais que faire lorsque tous les pouvoirs sont centralisés entre les mains d’un gouverneur, maître absolu de procéder comme il l’entend, en toutes choses, et ayant même le droit de légiférer en matière d’impôts? Fatalement, et si bien intentionné que puisse être le haut fonctionnaire armé de ce droit redoutable, des erreurs peuvent être commises, qui dégénèrent en abus ».
Mais la ville se développe..

Quand Diego Suarez a des problèmes d’immigration...

Si l’on en croit la Revue française des colonies « La colonie est calme. La ville d’Antsirane s’agrandit chaque jour. Des nouvelles constructions s’y élèvent; de nombreux colons s’établissent à la montagne d’Ambre, au-dessous du sanitorium. On attend l’arrivée d’immigrants français qui doivent s’établir à Diego Suarez avec leurs familles.»
Le 12 janvier 1891 a lieu un « envoi de colons » de La Réunion, en direction de Joffreville. Voici les avantages proposés aux émigrants:
- Passage gratuit sur mer
- Demi-tarif sur les voies ferrées jusqu’au port d’embarquement
- Une habitation provisoire
- 2 bœufs de labour et une vache
- 25 hectares de terre
- 3 mois de vivres
Un autre convoi, en provenance de la France doit partir le 12 février.
Mais si le Territoire continue à se peupler, les nouveaux arrivants ne sont pas toujours, si l’on en croit le Père missionnaire Chenay, ceux que souhaite le Gouverneur Froger : « On a eu le tort d’annoncer dans les journaux de France qu’on donnerait gratuitement des terres à tous ceux qui en demanderaient. De pareilles annonces font partir de France une foule de déclassés, qui ne réussissent pas mieux dans un pays neuf que dans notre vieille Europe. Ensuite quand leur paresse et leurs autres vices ne leur ont point procuré une rapide fortune, ils crient qu’on les a trompés et ils donnent une mauvaise réputation à une colonie nouvelle.»
Le bulletin de la Société de géographie de Toulouse donne quelques exemples du manque de «ciblage» des colons arrivant de France: «Un essai malheureux de colonisation a été tenté par la société de colonisation française, laquelle a envoyé en mars dernier quatre familles, formant un total de 28 personnes, les trois-quarts en bas âge, dont celui des chefs varie de 45 à 60 ans. Si encore ces colons étaient des agriculteurs! On trouve un sacristain, un concierge, un chef de musique et un vendeur de journaux, tous Parisiens, ce qui leur donne peu de valeur au point de vue agricole: ces gens-là ont coûté 20.000 francs tant à la métropole qu’à la colonie et n’ont encore rien produit.»
Mais il y a heureusement des exceptions : dans la montagne d’Ambre et dans la plaine d’Anamakia, un certain nombre de cultivateurs, souvent venus de La Réunion, donc plus adaptés au climat, tentent des cultures nouvelles. En ville, des commerçants s’installent (souvent d’ailleurs pour vendre de l’alcool...).
En tous cas Antsirane grandit: des estimations parlent de 5 à 6 000 habitants, d’autres de 7 à 8 000. En 1891, l’Inspecteur Général Espent parle d’un chiffre total d’environ 10 000 individus pour toute la colonie, ce qui, d’après lui, en défalquant l’effectif de la garnison, donne de 3500 à 4000 habitants pour Antsirane. Chiffre «approximatif» de l’avis même deEspent.
Mais il faut loger tout ce monde-là, civils et militaires...

Construire, construire...

Pour les militaires, premiers arrivants, c’est déjà à peu près fait. Si les casernes des disciplinaires et des tirailleurs sakalaves sont encore en partie à Cap Diégo, ainsi que l’hôpital militaire, le gros des troupes de l’artillerie et de la marine est logé à Antsirane. Comme on le voit sur le plan, l’Artillerie est logée dans la ville basse, près de la mer, alors que l’infanterie occupe le plateau. C’est aussi sur le plateau que se trouve la maison du Colonel, commandant militaire de Diego Suarez.
Les premiers casernements ont été importés : «seize grandes baraques préfabriquées ainsi que quatre pavillons d’officiers » mais, dans les années 90, on commence à construire en dur, grâce au four à chaux ouvert à Cap Diégo : « A Diégo, il y a des montagnes de pierres calcaires avec lesquelles on fait de l’excellente chaux; il y a aussi beaucoup d’argile, avec laquelle on fait des briques. Toutes les casernes, l’hôpital militaire, les bureaux de l’administration, le palais du gouverneur et celui du colonel sont bâtis en briques et couverts de tuiles. La pierre de taille ne manque pas non plus ». Les civils sont moins bien lotis mais les choses s’améliorent. Si le Père Chenay parle du «palais « du gouverneur, il ne s’agit pas encore de la Résidence que nous connaissons en bas de la rue Colbert, rue qui n’existe pas encore. En 1890,le gouverneur réside dans un bâtiment qui prend le nom de «Direction de l’Intérieur» et qui est situé à la frontière du quartier militaire et du quartier civil, en bas de ce qui deviendra plus tard la « colonne vertébrale » d’Antsirane, la rue Colbert. (voir le plan). Mais, selon Chenay, « la plupart des habitants sont mal logés dans les maisons en bois, trop petites et couvertes en tôle. Lorsque le soleil de midi darde ses rayons sur cette tôle, il l’échauffe et rend l’atmosphère brûlante comme celle d’un four .» Optimiste, il ajoute: «Peu à peu les habitants abattront ces maisons provisoires; à l’exemple du gouvernement, ils profiteront de cette chaux, de ces briques et de ces tuiles, et ils construiront des demeures fraîches et salubres ».
Il faudra attendre longtemps avant que ces demeures s’élèvent. D’ailleurs, beaucoup de bâtiments publics sont encore construits en bois : c’est le cas de la prison, de l’église et de l’hôpital (sans doute une sorte de dispensaire) que l’on distingue sur le plan de 1891. Ce bois, qui a servi à construire la plupart des maisons de Diego Suarez a une histoire que nous raconte Locamus, qui, à la même époque, crée les usines d’Antongombato. Un Mauricien qui s’était introduit dans les bonnes grâces de Froger, proposa de construire une ville entre Cap Diégo et la baie du Courrier; pour obtenir le bois dont il avait besoin, il s’adressa à une maison de commerce norvégienne qui lui vendit à crédit un chargement de bois. Mais le Mauricien, insolvable, disparut dans la nature... Le bois arriva à Diego Suarez en 1891. L’Indien Charifou Jeewa, tenant boutique dans la ville basse, acheta le bois norvégien ...qui servit à construire le grand marché et une partie de la ville haute d’Ansirane !
En fait, d’après l’Inspecteur Général Espent, la ville d’Antsirane compte à l’époque 815 maisons dont 425 cases malgaches, c’est à dire 390 dont on peut supposer qu’elles étaient en bois ou en briques. Mais Diego Suarez, qui grandit, souffre encore de son isolement: les communications avec le reste de l’île restent difficiles et celles avec la France se développent lentement.

Les relations avec l’extérieur
Les timbres-poste de Diego Suarez en 1890
Les timbres-poste de Diego Suarez en 1890

Le fonctionnement de la poste devient plus régulier : on peut échanger des lettres et des colis avec la métropole. L’affranchissement des lettres devient plus « officiel ». En effet, fin 1890, la franchise postale pour les troupes d’occupation est arrêtée : la colonie manque alors de timbres. Pour résoudre le problème le gouverneur Froger prend la décision, par arrêté du 8 septembre 1890,de fabriquer d’urgence des timbres-postes :
« Sur la proposition du Chef de service de l’Intérieur ; Vu l’urgence
AVONS ARRETE ET ARRETONS :
Article premier ;- Il sera immédiatement pourvu au tirage de figurines de diverses valeurs strictement indispensables pour assurer le service de la poste de Diego Suarez »

Les feuilles se composaient de 56 timbres, 7 rangées de 8 vignettes. Les quantités tirées ne furent pas toutes utilisées car le 10 octobre 1890 arrivèrent les timbres-poste demandés à Paris et tout ce qui restait fut incinéré. (Le Timbre-Poste). Inutile de dire que ces timbres tirés en un petit nombre d’exemplaires firent les beaux-jours des collectionneurs et surtout des faussaires !
Le commerce extérieur, encore peu important commence, à se développer, aidé en cela par l’exemption des droits de douane et de taxes sur les marchandises en transit. « Il se fait chaque année à Diego Suarez d’assez importantes opérations pour l’exportation des bœufs sur pied, destinés à l’Ile Maurice et à La Réunion; ces transports se font sur des navires à vapeur spécialement aménagés à cet effet.» (Les tablettes coloniales)
Des bateaux partent tous les 29 du mois vers la Côte Ouest de Madagascar et tous les 4 du mois vers Tamatave, La Réunion et Maurice. Leur arrivée et leur départ voit toute la population se presser sur le quai pour attendre ce que l’on appelle « Le Courrier »
Dans la liste des produits les plus demandés (et les plus importés) viennent en première place les alccools, mais aussi les faïences et poteries, les tissus...et de façon plus étonnante...les instruments de musique, et surtout les accordéons, importés d’Allemagne. Le commerce est essentiellement tenu par des commerçants indiens musulmans, originaires de Bombay, qui ont une grande réputation d’honnêteté. Quant à la monnaie employée dans les échanges, c’est exclusivement la pièce de 5 francs française en argent appelée piastre : ces piastres sont coupées en morceaux par les malgaches selon les besoins des échanges.
A suivre...

■ S.Reutt

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