Les années qui suivent la fin de la guerre de 1895 sont difficiles pour Diego Suarezet sa région, d’une part en raison des problèmes économiques, d’autre part en raison des troubles qui ont éclaté dans le Nord. Cependant, certaines rumeurs laissent espérer une reprise de l’activité pour le port de Diego Suarez
Des recettes quasi inexistantes
L’arrêté 386 qui érige Diego Suarez en commune a prévu dans son article 26 les dépenses et recettes du budget communal : la liste des dépenses est longue ; elle comprend l’entretien des bâtiments, les traitements des personnels de l’Administration et de la police, tous les frais de gestion et d’état-civil etc. En ce qui concerne les recettes, l’arrêté ayant exclu tous les revenus du port (droits de douanes, taxes diverses etc.), il ne reste, comme recettes, au malheureux Administrateur-Maire que les impôts locaux et les revenus du domaine communal dont nous venons de voir qu’il était en piteux état. On lui octroyait aussi le droit de profiter des « recettes extraordinaires » comme les legs et dons (qui ne devaient pas être nombreux !) et « toutes autres recettes accidentelles ». On peut comprendre l’animosité de la population vis-à-vis de l’Administration qui n’avait d’autre choix pour gérer la ville que d’accabler les citoyens d’impôts ! D’ailleurs, devant les revendications des administrés pressurés, notamment des commerçants, l’Administration centrale acceptera, par un arrêté du 7 décembre 1898 de supprimer l’impôt sur la valeur locative des maisons: « considérant que par suite de la réduction du personnel administratif, du retrait de la garnison, le commerce local subit une crise dont il y a lieu de tenir compte »
Il y avait cependant, à Diégo-Suarez, des privilégiés. L’Armée, d’abord, très réduite, et qui vivait dans des logements trop grands pour elle et plus confortables que ceux de la population civile. Les fonctionnaires ensuite, classe détestée des colons parce qu’ils bénéficiaient d’avantages que la population trouvait exorbitants, notamment leur droit à congés en métropole. Et que l’on accusait de « se la couler douce »…
Un article au vitriol sur les fonctionnaires de Diego Suarez avait d’ailleurs paru dans le très sérieux Journal des débats du 20 juillet 1897 :
« Le fait même que Diégo nous appartient depuis longtemps y avait acclimaté peu à peu les habitudes des administrations de la métropole, abondamment fournies en fonctionnaires de toutes sortes, et où l’on aime les heures de bureau bien réglées, mais sagement mesurées. Par suite de l’assimilation à notre nouvelle colonie de Madagascar, le Général Gallieni a dû changer ce régime, faire des coupes sombres dans le personnel et, en même temps stimuler l’activité générale que la chaleur du climat avait quelque peu assoupie. Je n’oserais pas dire que le résultat cherché par le résident général ait été complètement atteint. Il reste beaucoup de fonctionnaires à Diégo, mais on les cherche souvent, et les bureaux de certaines administrations respirent un âcre parfum de nécropole. »
Des travaux d’aménagement
A partir de 1898, la situation de Diego Suarez semble s’améliorer, en ce qui concerne les voies de communication notamment. La route d’Anamakia va être élargie et aménagée, notamment par la construction de deux ponts et d’un radier sur la rivière des caïmans et par un pont sur la rivière de la Main. Cette route est particulièrement importante pour les cultivateurs de la plaine d’Anamakia qui pourront ainsi approvisionner Antsirane. Par ailleurs, des travaux d’aménagement sont entrepris sur la route de la montagne d’Ambre. Fin 1898, la route d’Antsirane à Irodo est achevée. Elle est longue de 90km et, grâce à un pont de 90m construit sur la Tsararano elle permet d’accéder à Antsirane en saison des pluies. Une route a également été construite de la baie du Courrier à Andrakaka où l’on a édifié une jetée où les embarcations peuvent accoster quelle que soit la marée.
Au niveau de l’urbanisme, la conduite d’adduction d’eau a été améliorée. On a remplacé les anciens tuyaux de 6 cm de diamètre par des tuyaux de 10 cm, ce qui permettra d’installer de nouvelles fontaines, notamment sur le port. La fourniture d’eau est une source de revenus importante pour la commune qui approvisionne les bateaux de la Compagnie Havraise et des Messageries Maritimes à un prix moindre que celui qu’ils payent sur la côte africaine.
Un redémarrage de l’économie
Le calme revenu semble donner un coup de fouet à l’économie de Diégo qui avait connu son plus bas niveau en 1896.
En ce qui concerne l’agriculture, la récolte de riz de 1898 a été supérieure à celle des années précédentes. A Anamakia, la culture du maïs a été entreprise ainsi que la plantation de café Liberia dont l’administrateur-maire a fait venir des graines de La Réunion. Les cultivateurs, français et malgaches, y plantent également des patates, du manioc, des haricots et des ambrevades, pouvant ainsi subvenir au ravitaillement d’Antsirane.
Les usines d’Antongombato ont recommencé à fonctionner et abattent 80 bœufs par jour. La société franco-antankarane, qui en a repris la gestion, s’est dotée d’un nouveau directeur, dont les lecteurs de la Tribune ont beaucoup entendu parler : M. Froger, l’ancien gouverneur du Territoire de Diego Suarez qui, apparemment, n’a pas pu se réhabituer à la métropole. Revenu avec un nombreux personnel, il n’a pas oublié ses rêves de grandeur et « se propose d’acheter de vastes étendues de terrain et d’y faire de l’élevage, ou de la grande culture tout en exploitant les richesses minières et forestières qui s’y rencontreraient ».
Quant aux deux compagnies salinières, elles ont commencé à exporter, assez modestement il est vrai, en chargeant leur sel – notamment à destination de Calcutta - sur les navires qui livrent le charbon à Diégo et repartent à vide.
Mais, de plus en plus, il est question d’un brillant avenir militaire pour Diego Suarez…
■ Suzanne Reutt