1ère partie : Une ville habitable - Avec l’installation du Point d’Appui de la flotte, Diego Suarez va devenir méconnaissable. Si la mise en défense du territoire n’en est encore qu’à ses débuts, sur le plan de l’urbanisme les choses vont évoluer plus rapidement.
En effet, comme le colonel Joffre le rappelle dans son discours prononcé en juillet 1901 lors de la visite du Général Gallieni, la défense de la ville n’était pas la seule tâche qu’on lui avait assignée : « Notre mission principale consistait à mettre la rade à l’abri de toute attaque. Mais vous nous avez prescrit aussi d’étudier les moyens de rendre la ville d’Antsirane habitable, d’aménager son port et de créer des voies de communication avec l’intérieur de l’île. »
Rendre la ville d’Antsirane « habitable »
Elle ne l’était donc pas ?
En réalité, la plupart des voyageurs débarquant à Diego Suarez restaient surpris devant « la bourgade insignifiante » qu’elle était demeurée, constituée essentiellement de cases légères même si plusieurs bâtiments avaient été construits depuis 1885. Mais les constructions en dur ne concernaient pas beaucoup la population : il s’agissait avant tout de constructions militaires ou de bâtiments administratifs. Quant aux rues, entretenues sommairement, elles se transformaient en bourbiers à la saison des pluies et ne permettaient pas une circulation facile entre la ville basse, construite dans le cirque bordant le rivage, et la ville haute où étaient implantés les quartiers militaires. Si la ville haute commençait à avoir un aspect assez moderne avec des bâtiments nouveaux et sa rue Colbert sur laquelle un pont, établi en 1891, permettait de franchir un ravin, la ville basse, elle, était encore « coupée de ruelles étroites, bordées de constructions misérables et mal entretenues » (Annuaire de 1902)
Dès décembre 1900, un plan d’urbanisation a été établi pour Diego Suarez par le colonel Joffre et approuvé par le Gouverneur Général, Gallieni, qui a débloqué les ressources nécessaires pour sa réalisation. Le premier souci a été de relier la ville basse et le port à la ville haute en train de se développer au-delà des bâtiments militaires qui en occupaient jusqu’alors la plus grande partie. On a aménagé pour cela la rue Richelieu et rendu la rue Colbert praticable. Et, comble du luxe, les militaires ont même commencé à ouvrir des rues pourvues de trottoirs ! Et les civils peuvent enfin envisager de s’offrir des logements convenables. Mais, en fait, les aménagements débutent à peine et Joffre lui-même le constate : « Les résultats de ces efforts sont encore très incomplets. Beaucoup ne sont pas visibles pour tous ; ils le deviendront bientôt » et il explique que les travaux de la ville et du port d’Antsirane viennent seulement d’entrer dans la période d’exécution en raison des études préparatoires qui les ont précédés.
Le plan d’alignement
Ce plan, établi dès 1900, allait « chambouler » l’organisation de la ville en donnant plus d’importance à la ville haute et en lui traçant les contours que nous connaissons. Si l’on en croit le Journal officiel de Madagascar, ce plan était assez ambitieux : « En raison des difficultés que présentait la circulation dans l’ancien Antsirane, avec ses rues étroites, caillouteuses, sans écoulement d’eau, un nouveau plan de la ville a été élaboré, ne comprenant que de larges rues, des promenades et des squares spacieux, et assurant parfaitement l’écoulement des eaux. » On commença donc par assainir la ville basse en supprimant plusieurs ruelles et en élargissant les autres. Puis, on reconsidéra l’organisation du « plateau ». En 1900, la ville haute comprenait le quartier européen et le quartier malgache. Pour le quartier européen, là encore, certaines rues étroites furent supprimées et quelques autres élargies. Quant au quartier malgache, situé à la Pointe du Corail (Place Kabary actuelle) dont on considérait qu’il représentait un danger aussi bien au niveau des incendies qu’au niveau des épidémies en raison de la promiscuité de petites cases en « falafa » le plan d’alignement prévoyait de le déplacer au sud de la ville.
Les premières réalisations
En 1901 un crédit de 150 000 francs (environ 58 000 euros) fut alloué pour commencer les travaux les plus urgents prévus par le plan d’alignement. La chaussée de la rue de Richelieu fut refaite entre la ville basse et la rue Colbert. Élargie, dotée de trottoirs et de caniveaux ainsi que de murs de soutènement et de drains, elle permit une communication plus facile entre le port et les nouveaux quartiers administratifs et militaires. La rue Colbert fut refaite entièrement entre la rue de Richelieu et le pont Froger (actuelle partie basse de la rue Colbert) ; au-delà, elle fut empierrée. D’autres rues furent refaites (la rue Flacourt, la rue Kodja). Enfin on réorganisa complètement le réseau d’égouts de la ville basse.
Dans le quartier militaire on refit la plupart des voies et la chaussée du boulevard de Sakaramy d’où partait la voie ferrée conduisant à Sakaramy. Le résultat était déjà spectaculaire si l’on en croit les chiffres donnés par l’Annuaire de Diego Suarez de 1902 rappelant les travaux effectués en 1901 :
- 1030 mètres de chaussée avec empierrement ;
- 650 mètres de chaussée avec empierrement incomplet ou sans empierrement ;
- 850 mètres de trottoirs complets ;
- 1300 mètres de bordures de trottoirs ;
- 2170 mètres de caniveaux ;
- 330 mètres d’égouts.
Aussi, à la fin de l’année, la Revue de Madagascar pouvait-elle affirmer que la ville s’était « merveilleusement développée » et l’article décrit « une ville avec des rues tracées au cordeau, de beaux immeubles, où le confort européen s’allie aux aménagements hygiéniques des habitations tropicales, a remplacé les anciennes huttes malgaches ». Cet enthousiasme doit être tempéré par le problème récurrent de Diego Suarez, le manque d’eau.
Le problème de l’eau
Depuis 1896, date de la construction du château d’eau, l’eau potable était puisée à la fontaine Malgache, située près de l’ancien quartier indigène, dans l’Anse Melville et dans la fontaine qui se trouvait dans la ville basse, près des bâtiments de l’artillerie. Le débit des deux sources étant insuffisant, il fallait transporter de l’eau depuis Cap Diego, au moyen de chalands. En 1896-1897 un captage fut effectué dans un affluent de la rivière des Caïmans, l’Analandriana, et l’eau fut amenée au château d’eau, d’une contenance de 1700 m3, par une conduite en fonte de 10 km de long. De ce réservoir partaient 2 conduites, l’une desservant la ville d’Antsirane, l’autre, les établissements militaires. L’augmentation considérable de la population due à l’installation du Point d’Appui, posa à nouveau le problème de l’alimentation en eau de la ville. Aussi, en 1901, après une saison des pluies peu abondante, des coupures d’eau durent être mises en place. A partir du 9 mai, les conduits de distribution furent coupés pendant six heures, puis on passa à 12 heures en juillet, à 22 heures en octobre et, lors de la première pluie importante, le 14 décembre 1901, les Antsiranais n’avaient plus l’eau qu’une heure par jour, soit 12 litres par habitant !
Les infrastructures urbaines
Le colonel Joffre s’attacha également à doter la ville d’un certain nombre de bâtiments destinés à assurer la sécurité et la santé. Jusqu’à 1901, la prison civile était installée approximativement à l’emplacement de l’ancien établissement d’Auximad. En juillet 1901, l’entrepreneur chinois Chamming’s construisit, pour la somme de 95 000 francs (37 000 euros), la prison civile que nous connaissons, construite sur le plateau d’Antsirane entre la ville européenne et le nouveau quartier malgache (Tanambao). Prévu pour abriter 55 prisonniers, le nouveau bâtiment comprenait « deux prisons pour indigènes (de 18 places chacune), une prison pour Européens (6 places), quatre cellules pour prévenus, quatre cellules de correction et une prison pour femmes (5 places) ». Il va sans dire que les militaires condamnés « bénéficiaient » de la prison militaire ce qui explique la disproportion des places prévues pour les « indigènes » et les européens !
En ce qui concerne les constructions des services de santé, 1901 vit la fin des travaux d’aménagement du lazaret de Nosy-Koba qui était réservé aux passagers maritimes en quarantaine en période d’épidémie… ce qui arriva justement cette année là avec une épidémie de variole qui bloqua le trafic du port. Pour soigner les malades de Diego Suarez, il n’existait, jusqu’en 1900 que l’hôpital de Cap Diego et un petit hôpital civil à Antsirane. Avec l’afflux de militaires il fallut multiplier le nombre de lits : plusieurs bâtiments furent construits en 1900 à Sakaramy, à Ankorika, au Camp d’Ambre et à Cap Diego. Mais l’hôpital de Cap Diego étant encore insuffisant malgré les agrandissements dont il avait bénéficié en 1900, la construction d’un nouvel hôpital de 300 lits à Antsirane fut décidée. (Il avait été question d’Orangea et de Cap Diego mais la présence d’une population civile de plus en plus importante décida du choix de la pointe du Corail pour le nouvel hôpital.) Ces réalisations exigeaient cependant que l’on trouve les terrains nécessaires dans une ville qui s’était développée anarchiquement, sans plan directeur. Aussi, le 10 septembre 1901, parut un arrêté « fixant les limites de la commune de Diego Suarez et portant affectation des terrains domaniaux compris dans ces limites », arrêté ayant pour but d’éviter les « contestations » et les « difficultés » en « affectant à chaque service les terrains nécessaires à son fonctionnement ».
L’arrêté de septembre 1901
Il précise d’abord, dans son article 1er les nouvelles limites de la commune de Diego Suarez :
«- Au Nord du plateau du Cap Diego par la baie des Cailloux Blancs
- A l’Ouest, par une ligne droite partant de l’embouchure de la rivière qui se jette dans la baie du Sépulcre jusqu’à l’anse d’Antsahazo (en suivant la côte ouest par le Cul de sac Gallois, la rive droite de la rivière des Makis jusqu’au sud d’Anamakia).
- De l’ouest à l’est en suivant la route d’Anamakia jusqu’à la Rivière des Caïmans puis en remontant du sud au nord, en suivant toujours la même route jusqu’à hauteur de l’îlot du Pain de Sucre.
- La limite Est est formée par la baie de Diego Suarez.»
L’article 2 fait la liste des terrains domaniaux affectés aux services militaires. Il serait trop long d’en donner la liste. Globalement, il s’agit des terrains militaires de Cap Diego. Sur le Plateau d’Antsirane : le terrain de la pointe du Corail où est prévu la construction de l’hôpital ; les quartiers militaires, le Polygone ; 40 m de chaque côté de la voie Decauville ; le terrain de la Gendarmerie et les pas géométriques en bord de mer.
« Sont concédés à la commune un certain nombre d’établissements dont l’arrêté nous permet de situer l’emplacement de l’époque :
- Terrain du Marché
- Hôtel de la Résidence
- Poste de police, rue de la Creuse (à côté de la Résidence)
- Ecole communale rue Colbert
- Prison civile rue Flacourt
- Bureau de l’ancienne poste, rue de la République (dans la ville basse)
- L’ancien tribunal, rues de Bretagne et de la Réunion (ville basse)
- L’atelier des travaux, rue Colbert
- Le presbytère
- Le poste de police de l’Octroi (en face de l’actuel cinéma)
- L’Abattoir
- L’hôpital civil (à peu près à l’emplacement du kiosque à musique)
- Le Cimetière d’Antsirane (anse Melville).
- Plus des maisons particulières occupées par des agents communaux et les établissements communaux de Cap Diego et Anamakia.»
Beaucoup de ces emplacements sont encore propriété de la commune : laissons aux lecteurs de la Tribune le soin de les retrouver…ou de trouver par quoi ils ont été remplacés
■ Suzanne Reutt