A l’heure où l’on ne se fait plus beaucoup d’illusions sur l’intérêt militaire du Point d’Appui de Diego Suarez, la population antsiranaise fonde tous ses espoirs sur la réalisation du bassin de radoub qui relancerait la vie économique du port et de la ville. Quant aux plus rêveurs ou aux plus aventuriers, ils sont repris par la fièvre de l’or…
Le bassin de radoub : un serpent de mer ?
L’Annuaire du gouvernement de Madagascar de 1905 note, dans son édition de 1905 : « Il est permis d’espérer que la construction d’un wharf, d’un bassin de radoub et de routes projetées depuis longtemps donneront au commerce, légèrement stationnaire depuis 1903, un nouvel et brillant essor ». Cet espoir est partagé par tous ceux qui s’intéressent au devenir de Diego-Suarez. Le Petit Parisien du 3 février 1905 relate que M. Brunet, député de Diego « s’étonne des retards apportés à la construction d’un bassin de radoub à Diego Suarez, pour lequel la Chambre a voté 8 millions (environ 32 millions d’euros) et dont les travaux ne sont même pas commencés ». Mais, depuis que les crédits avaient été votés les priorités stratégiques du gouvernement français avaient changé. En effet, le rapprochement entre la France et l’Angleterre avait diminué l’importance stratégique de Diego Suarez. D’après un rapport confidentiel de 1904, le Point d’Appui de Diego Suarez devait venir après ceux de Saïgon et de Dakar. Et le rapport de la Commission du Budget du Ministère de la Marine notait que le Point d’Appui de Diego Suarez était « trop éloigné du grand fleuve commercial (qui, sortant de la mer rouge coule vers les Indes et l’Extrême-Orient) pour que nos bâtiments de guerre puissent y trouver un point de relâche ordinaire, et un lieu de ravitaillement constant ». Alors, allait –on abandonner le projet de bassin de radoub ? A Madagascar, tout le monde s’élevait contre ce renoncement.
D’autant plus que des travaux avaient déjà été effectués.
Les premières installations
Dès 1900, la Marine avait installé un parc à charbon de 2.500 tonnes et un magasin de ravitaillement de 500m au pied du talus ouest du Plateau d’Antsirane. Le Génie avait également construit un autre magasin de 400m2 près du précédent. En 1901, un projet d’ensemble avait été établi et chiffré à 28.500.000 francs (environ 115 millions d’euros) pour les ouvrages maritimes (17.200.000) ; les ateliers et logements (6.600.000) et les routes et voies ferrées (.460.000). Ce projet dépassait donc largement le chiffre de 10 millions établi par la loi de 1901. C’est pourquoi un projet restreint fut établi, qui renvoyait à plus tard les travaux nécessaires à l’édification d’un véritable arsenal militaire. C’est sur la base de ce projet que le Ministère de la Marine ouvrit, le 21 juin 1904, un concours pour l’exécution du bassin de radoub.
Les travaux reprennent
Au vu des dossiers soumis, le marché de la construction du bassin de radoub fut accordé à l’entreprise Fougerolles et Groselier moyennant un forfait de 8.800.000 francs (environ 35 millions d’euros). Le délai d’exécution fut fixé à 38 mois. Les espoirs des antsiranais semblaient donc en voie de se réaliser. Les chantiers débutèrent le 5 mai 1905. En octobre 1905, bureaux, magasins et ateliers étaient terminés. Les installations furent complétées par un kilomètre de voie ferrée Decauville, dotée de trente wagonnets ; une grue à vapeur, des pompes centrifuges etc. Du début de 1906 et jusqu’à fin 1908, on procéda au creusement du bassin et à la construction du caisson, 100m en arrière de l’emplacement qu’il devait occuper. Dès le début du creusement des problèmes se présentèrent : en raison de la dureté de la vase de fond, il fallut changer la drague initialement prévue. Le matériel nécessaire arriva fin 1905. Jusqu’à la côte de moins 10m tout se passa bien et fin 1906 les 3 européens et les 28 malgaches qui formaient l’équipe avaient extrait 205.000m3 au prix de 3270 heures de travail dont le tiers s’était effectué de nuit. Les choses devinrent ensuite plus difficiles, la drague rencontrant d’énormes blocs de basalte. Il fallut faire venir une cloche à plongeur (qui arriva fin 1907) pour permettre le dynamitage des rochers et du terrain compact. Cette cloche était constituée par une caisse métallique de 5m de côté supportée par 2 chalands. Les ouvriers y entraient par une cheminée d’un mètre de diamètre et pouvaient travailler au fond grâce à l’air sous pression envoyé par un compresseur. Le creusement du bassin se continua ainsi jusqu’à la profondeur prévue (moins 15m) jusqu’à août 1908, bien qu’une difficulté imprévue se soit présentée : en effet, la consistance du terrain, au fond du bassin, se révéla insuffisante : il fallut continuer à creuser de manière à atteindre un sol suffisamment résistant sur lequel on plaça 15 blocs de maçonnerie. On comprend l’impatience des antsiranais : si des travaux étaient effectivement en cours, on ne voyait pas beaucoup de réalisations. En tous cas, le fameux bassin de radoub n’était pas près d’être opérationnel : il ne le serait que bien des années plus tard ! Heureusement, à Diego-Suarez, on avait de nouvelles sources de satisfaction…
L’or
Depuis de nombreuses années les immigrants qui arrivaient à Madagascar rêvaient des fabuleuses richesses que l’île devait abriter dans son sol. En 1902, un décret avait autorisé la prospection (sauf pour les fonctionnaires) en allégeant les formalités auxquelles étaient soumis les prospecteurs. Mais hélas, les découvertes ne furent pas au rendez-vous : les nuées de prospecteurs qui avaient tenté leur chance dans le sud et la région de Tamatave avaient dû déchanter. Si bien que, d’après L’Echo des Mines : « Après une période d’optimisme peut-être excessif, on est tombé par réaction dans un pessimisme très exagéré ». Cependant, en 1905, une véritable fièvre de l’or s’empare de la population après quelques découvertes dans la province de Tamatave. Aussi, d’après Gallieni lui-même « depuis plusieurs mois, voyons-nous arriver à Madagascar, de nombreux immigrants étrangers venant de divers côtés mais surtout de la côte d’Afrique et se livrant activement à la recherche de l’or ». Si bien que, voulant mettre un peu d’ordre dans cette frénésie, le gouvernement promulgue le 3 juin 1905, un décret, dit « décret Clementel » qui suspend toutes les attributions de permis de recherche. Cette décision provoque une levée de boucliers. Cependant à Diego Suarez, il y a peu de prospecteurs. D’après les Annuaires du gouvernement, il n’y a pas de mineur en 1905. Mais, en 1906, le nombre s’accroît : on trouve un français, Louis Celly ; un Autrichien ; un Espagnol et douze Italiens !
Pourquoi ce nouvel engouement pour la recherche aurifère dans une région qui n’était pas réputée pour la richesse de son sous-sol ? Il est la conséquence de la prodigieuse découverte que fait un habitant d’Antsirane, Alphonse Mortages en novembre 1905.
Alphonse Mortages
Mortages, garçon de cabine sur un paquebot, avait débarqué à Diego Suarez en 1897. Depuis lors, comme beaucoup de nouveaux arrivants, il avait touché un peu à tout : un peu restaurateur, un peu négociant, il avait gagné quelque d’argent en fournissant les marins de l’escadre russe de Nosy Be mais il avait tout perdu, pendant le voyage de retour, dans le naufrage de son petit voilier. S’étant fait cueilleur de caoutchouc, lors d’une tournée en brousse, il a comme beaucoup d’autres l’idée de trouver de l’or. Il engage donc deux malgaches qui feront les recherches pour lui et, après des semaines décourageantes, c’est, le 2 novembre 1905, près de Betsiaka, la découverte fabuleuse qui fera de Mortages un homme riche avant que sa prodigalité ne le conduise à la ruine. C’est ainsi que la province de Diego-Suarez devient « le pays de l’or » attirant une foule d’aventuriers qui espèrent connaître le destin de l’heureux Mortages1. Mortages devient alors une personnalité en vue d’Antsirane. C’est à ce titre que, lors de la visite du gouverneur Augagneur en 1906, il est le porte-parole des colons et s’adresse à Augagneur dans un long discours par lequel, après avoir déploré le quasi abandon des travaux du Point d’Appui et le manque de routes pour désenclaver Diego Suarez, il aborde le problème de la législation sur l’or et demande l’abrogation de la loi qui régit actuellement les mines et le retour à la législation de 1902. Discours auquel Augagneur répond point par point :
- Il ne dépend pas de lui d’intervenir, en ce qui concerne le Point d’Appui, dans la politique française ;
- Ayant constaté « qu’il avait pu, par expérience, se convaincre combien les routes incomplètes, ébauchées, rendent peu de services […] au lieu de la somme de 200.000 francs à laquelle on s’était arrêté, il avait décidé de consacrer cinq cent mille francs à la construction de la Route des Placers ». La route des Placers, que nous appelons actuellement, la route d’Ambilobe, avait une énorme importance économique puisque c’était par elle que transitait l’or extrait des placers d’Andavakoera.
- Enfin, il promettait de revoir la législation sur l’or qui lui paraissait effectivement injuste dans la mesure où elle taxait de la même manière l’or contenant des « impuretés sans aucune valeur » et l’or pur. L’or devenait donc une composante économique importante de la vie de la province de Diego Suarez et l’on pensait qu’il pourrait développer la vie industrielle de la région pendant les années suivantes. Les premiers permis de recherche furent accordés en juin 1906 mais les prospections ne commencèrent qu’en août. Fin 1906, le « banquet de la demi-tonne d’or » témoigna de l’euphorie qu’avait engendrée les dernières découvertes : « Le 30 novembre dernier, MM.Mortages et Grignon, les heureux propriétaires des mines d’or de l’Andavakoera, avaient convié au Cercle français de Diego Suarez leurs nombreux amis à venir fêter l’arrivée du convoi d’or qui devait marquer le chiffre de la demi-tonne, depuis le commencement de l’exploitation. La production de leurs mines atteignait en effet, le 26 novembre, 520 kilogrammes. […] Au champagne, M.Mortages a levé son verre à la prospérité de Diego Suarez. ». En fait, la découverte de l’or ne changea pas grand-chose à la vie économique de Diego Suarez, du moins dans un premier temps. L’Annuaire de 1908, qui publie les données de 1907, ne cite même pas l’extraction de l’or dans son tableau des industries de la Province. En 1907, comme pour les années précédentes, les sources de revenus sont encore l’agriculture (pratiquée essentiellement par ceux que l’Annuaire appelle « les Bourbonais ») ; la construction ; des industries de taille modeste (Salines, scieries, fabrique de chaux) et surtout le commerce, assuré par une nuée de petits négociants indiens et chinois qui revendent essentiellement les produits d’importation.
Le grand boom du développement de Diego Suarez n’est toujours pas à l’ordre du jour !
■ Suzanne Reutt