Construit en 1910, l’Hôtel des Mines est le symbole de la réussite d’Alphonse Mortages. Il devint rapidement le plus bel hôtel de Madagascar
La fabuleuse découverte de l’or d’Andavakoera par Alphonse Mortages, en 1907, se produit à un moment où les perspectives économiques de Diego Suarez sont plutôt moroses après la fin des travaux du Point d’Appui de la flotte. Mais la fièvre de l’or qui s’empare de la province du Nord permettra-t-elle le rebond attendu ? Beaucoup l’espèrent et, en 1911 « La dépêche coloniale illustrée » titrera « L’or, moteur du développement »
L’or du Nord
Nous ne reviendrons pas sur l’histoire d’Alphonse Mortages, que les lecteurs de la Tribune connaissent bien (n° 11 à 114 de La Tribune de Diego). C’est en 1907 que commence vraiment l’exploitation de l’or découvert dans la région d’Ambakirano. Au départ, l’or est extrait avec des moyens rudimentaires : pioches, pelles, batées…. Mais, dès 1907, Mortages et son associé Grignon peuvent fêter la demi-tonne d’or. Résultats mirifiques qui vont enflammer l’imagination de tous les habitants de la région et des aventuriers venus de partout ! Les années qui suivent ne démentent pas les espérances des prospecteurs : d’après l’ingénieur Bordeaux, le premier à avoir visité les placers de Mortages, la production totale fut en 1908 de 962 kg et de 1282 kg en 1909. Soit environ 3 tonnes d’or pour les premières années d’exploitation ! Inutile de dire que ces résultats donnèrent des idées. D’autant plus que Mortages, homme chaleureux et exubérant n’avait pas caché sa bonne fortune, éblouissant la population en descendant la rue Colbert avec ses sacs d’or étalés avec complaisance ! Aussi, dans la population de Diégo, européens et indigènes furent pris par la fièvre de l’or. Le Signal de Madagascar signalant l’arrivée des ingénieurs des Mines envoyés par les sociétés aurifères créées en France parle « d’une véritable effervescence à Diego Suarez ». Le directeur des salines de Diégo, M. Plion, avait même donné lecture, dans une soirée artistique, d’ une œuvre de son cru intitulée : La fièvre de l’or !
Quelles furent donc les conséquences de cette ruée vers l’or pour la Province de Diego Suarez ?
Les afflux de population
Les européens, tous métiers confondus, devinrent souvent prospecteurs et se firent attribuer des concessions, qu’ils revendirent parfois à des Sociétés spécialisées (c’est le cas de la société des Mines d’or de la Loky qui a repris les concessions de trois habitants de Diego Suarez : Lepeigneux, colon à la Montagne d’Ambre, Josse, commerçant à Antsirane et Montagne, négociant à Anamakia) Quant aux « indigènes », ils affluèrent en grand nombre sur les placers : on compta jusqu’à 10.000 Antaimoro employés à Andavakoera.
Nous l’avons vu : avec la fin des travaux du Point d’Appui, Diego Suarez avait connu une véritable dépression économique : les milliers d’ouvriers embauchés par l’armée pour construire les routes, les quais, les fortifications, se trouvèrent alors sans emploi. Beaucoup repartirent d’où ils étaient venus : à La Réunion, à Maurice, en France ou dans les autres régions de Madagascar. La découverte des gisements d’Andavakoera fut un véritable appel d’air. La population européenne de Diégo qui culminait à 1868 individus en 1906 (militaires non compris) en comptait 2457 en 1911. Pour la seule ville d’Antsirane on comptait une vingtaine de prospecteurs ! Quant au nombre des « indigènes » il était passé de 22.720 à 47.962 ! L’afflux de population et le renouvellement des centres d’intérêt économiques entraînèrent de profonds changements.
La réorganisation administrative
La région où avait été trouvé l’or appartenait à ce que l’on appelait le « secteur antankarana », qui depuis 1905 était rattaché à la province de Nosy-be. Mais cette dernière n’avait pas les moyens d’assurer la logistique qu’impliquaient les nouvelles découvertes. De plus, Mortages était foncièrement attaché à Antsirane et comptait bien en faire le centre administratif de ses activités. La découverte des mines d’or eut pour effet de rendre à la province de Diego Suarez cette partie du Nord de Madagadascar qui n’était pourtant pas très proche d’Antsirane. Ce rattachement fut arrêté le 9 juin 1910.
Aussi, dès le début, se posa la question de l’acheminement du matériel et de l’exportation de l’or.
La route des placers
Dès les premières perspectives d’exploitation aurifère, la Province de Nosy Be avait vu le parti à tirer de cette exploitation. On lit dans le Diego Suarez cette opinion de Locamus, ardent défenseur de la prééminence de Nosy Be sur Diego : « Le centre minier aurifère le plus important de la colonie se trouve dans la Province de Nosy Be. Jusqu’à ce jour, il avait été desservi par Diego Suarez et un nombre considérable de travailleurs avait été affecté à l’établissement d’une route charretière devant relier Antsirane au territoire des placers. » Mais Locamus fait remarquer que la voie la plus courte, pour se rendre sur le centre minier c’était « la voie fluviale du N.O, flottable aux marées hautes jusqu’à quelques kms seulement des placers ». En fait, du matériel destiné aux placers de Mortages et Grignon fut effectivement débarqué à Nosy Be puis transporté par boutres mais, rapidement la route fut préférée pour acheminer le précieux métal vers un centre portuaire qui en permettrait l’exportation. Cette « route des placers » est, comme le bassin de radoub, un serpent de mer : commencée mais jamais finie, elle fut l’objet de réclamations sans nombre des exploitants des champs aurifères et de la population qui voulait y avoir accès. Pourtant des promesses avaient été faites : lors de sa visite à Diégo en 1909, le gouverneur Augagneur indique le montant des sommes allouées : « Le montant des devis présentés pour la route des placers, était arrêté par le service régional à 200.000 francs. Le Gouvernement Général vient de nous accorder CINQ CENT MILLE FRANCS (environ deux millions d’euros actuels) dont 100.000 à prélever sur le budget ordinaire et 400.000 à prélever sur la caisse de réserve de la Colonie. » Fin 1909, l’Administrateur-Maire « a mis la Chambre consultative au courant des progrès des travaux de la route des placers et leur indique les parties qui pourront être, à moins de cas de force majeure, être livrées à la circulation au 31 décembre de cette année ». Mais les travaux ne vont pas vite et Mortages le fait remarquer à Augagneur : « La circulation, même dans les parties considérées comme terminées, y est très difficile en saison sèche, et, prochainement, c’est-à-dire dès les premières grandes pluies, elles seront impraticables. » Deux ans après, en 1911, elle était loin d’être terminée si l’on en croit le Bulletin économique de Madagascar : « La route dite des Placers doit relier Diego Suarez au village d’Ambakirano, situé au centre de la région aurifère de l’Andavakoera. Sa longueur est de 138 km. A la fin de 1910, la plate-forme était construite sur 100km et l’empierrement terminé sur 33 kms. »
L’apport économique
Le commerce retrouva un certain dynamisme. Le commerce de détail, d’abord, du fait de l’augmentation et du meilleur pouvoir d’achat de la population. En effet, en raison de l’insuffisance de la main d’œuvre, les travailleurs des placers étaient beaucoup mieux payés que la population du reste de l’île. Le commerce portuaire qui avait toujours été déséquilibré à Diégo (les importations dépassant de beaucoup les exportations) fut dopé par l’exportation de l’or. L’Annuaire de 1912 indique que près de 4000 kilogrammes d’or ont été extraits des placers Mortages et Grignon depuis 1906. La télégraphie sans fil, qui sera accessible aux particuliers, facilite le désenclavement d’Antsirane « l’un des principaux centres commerciaux de la colonie » (Bulletin économique de Madagascar). L’enrichissement de la ville (par les taxes qu’elle percevait) et de certains particuliers eut des conséquences heureuses sur l’urbanisme.
Une ville rénovée
C’est à cette époque (en 1909) qu’Antsirane fut doté d’un tribunal (celui que nous connaissons) qui fut immédiatement l’objet des critiques des antsiranais. Critique sur son esthétique que la plupart des journaux de l’époque tournent en dérision : « Diégo, il est vrai, a une compensation : son palais de justice de création récente et construit en face de la résidence non sans que l’on ait empiété sur un square, agrément de la ville. C’est un bâtiment de style spécial, ce qui d’ailleurs en fait le charme non moins spécial. On retrouve les mêmes dispositions intérieures à la kasbah, en Alger. » Et l’article termine en comparant le Tribunal à un « Bains-Douche » (Le progrès de Madagascar). Pauvre tribunal à qui l’on reproche son allure « spéciale » mais aussi ses malfaçons : « Depuis que ce bâtiment original est terminé on s’est rendu compte, maintes fois, que lorsqu’il pleuvait, on y était moins à l’abri que dehors » (La cravache antsiranaise). L’article conclut en disant que « le Tribunal ne pouvant siéger dans une douche » il s’est installé dans la Mairie !
Autre amélioration : celle de la rue Colbert par le comblement du ravin Froger. Ce ravin, qui se trouvait au carrefour de la rue Colbert et de l’Avenue de France coupait en deux la rue Colbert. On le franchissait sur un pont en bois mais, en saison des pluies, il inondait tout le quartier. « Ce ravin, qui traverse en partie la ville d’Antsirane, recueille les eaux pluviales et les eaux ménagères de plusieurs quartiers ainsi que les immondices provenant de l’égout des casernes. Toutes ces eaux et matières s’écoulaient mal, à cause des nombreuses sinuosités du ravin. En certains point même, les eaux restaient stagnantes et devenaient un foyer d’infection pour une partie de la ville ». (Bulletin économique de Madagascar juillet 1911). Un premier projet prévoyait de construire un canal à ciel ouvert bordé de banquettes engazonnées mais on décida ensuite de le couvrir pour des raisons d’hygiène.
Autres améliorations : l’agrandissement du château d’eau ; la construction, en 1909, de la poste (que nous voyons encore en face de l’ancien hôtel …de la Poste !) ; la construction, en 1910, du bâtiment des domaines. Des crédits furent également affectés à une nouvelle canalisation d’eau, à l’entretien des rues, à l’éclairage de la ville, à la construction de trottoirs et de caniveaux. Antsirane commençait à ressembler à une vraie ville ! Mais ce qui fit surtout la fierté des Antsiranais, ce fut, en 1910, la construction de l’Hôtel des Mines.
Symbole de la réussite d’Alphonse Mortages, il devint rapidement le plus bel hôtel de Madagascar. Mortages est alors au faîte de sa gloire.
Mortages, roi de Diego Suarez
La Revue de Madagascar donne une idée de sa célébrité : « M.Mortages s’est embarqué le 25 mars à Marseille pour Madagascar. De nombreux malgaches ont accompagné à la gare d’Orsay le sympathique administrateur des mines de l’Andavakoera. » Ses affaires se développent : « Car la Société que MM. Mortages et Grignon voulaient créer pour donner plus d’extension à l’exploitation de leurs terrains aurifères, a été constituée avec un plein succès, M. Mortages devenant administrateur en mission à Madagascar, et M.Grignon administrateur délégué à Paris. » et elles se diversifient : « M.Mortages va se trouver obligé de faire face aux multiples affaires de son usine de manioc de la vallée du Sambirano, où l’on doit traiter annuellement 6000 tonnes de ce produit. » Et, surtout, « il a fait construire à Diego Suarez le magnifique hôtel des Mines dont les colons de cette ville ne sont pas médiocrement fiers. »
Capitaliste adulé (il faut dire que Mortages est un homme gai et généreux), il est considéré comme le bienfaiteur de la ville et est nommé, dès 1909 Président de la Chambre consultative. En 1910 il devient conseiller du commerce extérieur de Madagascar. Il est l’interlocuteur du Gouverneur Général lorsque celui-ci se déplace à Diego Suarez. Période dorée pour Mortages qui, comme la cigale ne saura pas préparer son avenir et finira ruiné mais toujours respecté par les habitants de la ville à laquelle il a tant donné.
Et pour Diégo ?
Il est certain que la découverte de l’or d’Andavakoera a apporté une certaine prospérité à Diego Suarez. Cependant, cette prospérité, fondée sur une seule ressource, n’a pas vraiment suffit à assurer une prospérité durable pour une ville dont le développement reste entravé par le manque de moyens de communication. Et la « fièvre de l’or » au Nord de Madagascar, comme ailleurs, n’a pas eu que des effets bénéfiques !
A suivre
■ Suzanne Reutt