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Le Madonna par grosse mer
Le Madonna par grosse mer

1919 : La guerre est finie…Les survivants rentrent du front. Mais, avec eux, débarque un autre danger : la tristement fameuse grippe espagnole qui sera plus meurtrière dans le monde que la première guerre mondiale

La grippe espagnole

La grippe espagnole est responsable d’environ 50 millions de morts (certains parlent de 100 millions !) entre 1918 et 1919. Pourquoi « grippe espagnole » ? Peut-être parce que l’Espagne fut le premier pays à la déclarer publiquement. Il semble que le virus soit parti d’un camp de formation militaire aux Etats-Unis avant de se répandre en Europe à la faveur de la guerre. Les dernières études sur ce virus datent de 2014 : il s’agirait d’un virus de type H1N1, comme celui qui apparut en 2009, mais « 10.000 fois plus virulent » d’après les biologistes. La grippe espagnole apparut en Europe à la fin de la guerre, touchant principalement les jeunes âgés de 25 à 29 ans, c’est-à-dire, souvent, ceux qui étaient mobilisés. A Madagascar, comme à La Réunion ou à Mayotte, dans ces îles situées à des milliers de kilomètres de l’Europe, et isolées par la mer, on se croyait à l’abri de l’épidémie. Ce fut une terrible erreur.

La grippe espagnole à La Réunion.

Au début de 1919, les premiers démobilisés rentrent dans leurs foyers. Pour les ramener, on profite des bateaux qui font la ligne de l’Océan Indien. Le 31 mars 1919, un gros cargo, le Madona arrive à la Pointe des Galets avec 1603 permissionnaires. Le bateau est déchargé par des prisonniers utilisés comme dockers dans cette période où l’on manque de bras. Mais, dès le 3 avril, on constate que certains des dockers sont tombés malades. La crainte s’empare des Réunionnais malgré les démentis officiels : il ne s’agirait que d’une vulgaire grippe saisonnière. Bientôt, ces communiqués rassurants seront démentis par les chiffres : 20 morts à Saint-Denis au 12 avril ; 62 morts au 16 avril ; près de mille morts pendant la semaine de Pâques. L’horreur à La Réunion où plus rien ne fonctionne, où les morts s’accumulent à l’intérieur des foyers, où les médicaments ont disparu et où la plupart des médecins sont morts. Comment le virus est-il entré à La Réunion ? Les avis s’affrontent : certains incriminent le stock de terre qui servait de lest au Madona et qui aurait pu provenir d’un cimetière. D’autres pensent plus vraisemblablement que certains des passagers du Madona étaient déjà contaminés. L’épidémie prendra fin en mai 1919. Les Réunionnais affirment qu’ils ont été sauvés par un mini cyclone qui balaya l’île en emportant les miasmes dans son souffle…

Et la grippe arrive à Diego Suarez…

Le Journal Officiel de Madagascar publie le 19 avril 1919 un « Avis relatif à la grippe » : « Le Gouvernement Général a été informé le 9 avril qu’une épidémie de grippe sévit à La Réunion et que quelques cas ont été constatés à Diégo-Suarez ». En effet, il semblerait que deux gendarmes malades ont été débarqués et sont morts peu après. Le J.O indique les instructions sanitaires qui ont été prises concernant notamment deux bateaux, l’Orénoque et le Hyacinthe qui doivent débarquer à Tamatave et à Diégo-Suarez. Pour le Hyacinthe, notamment, il s’agit d’interdire les relations avec la terre. Le 19 avril, Diégo signale que le Hyacinthe « a mouillé dans le port le 18 avril à 13h10 et relevé ce matin à 8 heures sans toucher terre ». L’administrateur-Maire de Diego Suarez a cependant pris des mesures prophylactiques : il a « licencié les écoles » et donné l’ordre :
« a) - d’interdire toutes les réunions (écoles, églises, cinéma, marchés etc.)
b) - d’inviter les habitants à ne pas aller voir les malades atteints de grippe, à éviter autant que possible de se moucher, de cracher et d’éternuer par terre ;
c) - de recommander l’alitement à la moindre petite poussée fébrile, en attendant le médecin.
d) - En plus, les autorités de Diégo-Suarez ont reçu l’ordre d’établir un cordon sanitaire au moyen des troupes de la garnison. Le cabotage est suspendu.» Ces instructions sont reprises dans une « Affiche » apposée dans toute l’île avec une attention particulière pour les provinces de Vohemar, d’Ambilobe, de Nosy-Be. Cette affiche donne même des conseils sanitaires qui nous font sourire : « En raison de quelques cas de grippe, survenus à La Réunion et à Diégo-Suarez, il est conseillé à la population :
1° De faire des gargarismes, deux ou trois fois par jour, avec un demi-verre d’eau tiède contenant cinq gouttes de teinture d’iode ;
2° D’introduire dans chaque narine deux fois par jour de l’huile mentholée ou goménolée ;
3° De faire brûler ou infuser dans les habitations des feuilles d’eucalyptus.»
Remèdes dérisoires qui n’éviteront pas la propagation du fléau…

La progression de la maladie

La maladie va rapidement s’étendre à toute l’île. A partir d’avril, le Journal Officiel publie des Bulletins sanitaires qui glacent le sang.
- Le 25 avril, on n’a pas, à Tananarive, de renseignements sur Diego Suarez. Il faut dire qu’il y a « 25 indisponibles au service de la Poste à la date du 25 avril »
- On aura des informations le 27 avril : « dans la journée du 25 avril l’état-civil européen a enregistré 6 décès dont 1 français métropolitain, 4 français de La Réunion dont 3 militaires, 1 indien.
Indigènes : 19 décès déclarés pour la ville.»
Pour la province, pas de renseignements. On peut évaluer à 90 pour cent la proportion des indigènes et réunionnais atteints ; à 33 pour cent la proportion des européens atteints. Comme le disait La Fontaine à propos de la peste : « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés » ! Le 28 avril on a les chiffres suivants pour Diego Suarez Ville (nouveau nom d’Antsirane) :
Etat-civil européen : 9 décès (4 soldat réunionnais, 3 femmes et un enfant réunionnais, 1 Saint-Marien)
Etat-civil indigène : 15 décès
Dans le canton d’Anamakia : 1 décès le 22 avril, 3 le 23 ; 1 le 24 ; 8 le 25 ; 2 le 26 ; 5 le 27.
Cependant, le Journal Officiel reste optimiste : « Une amélioration sérieuse » semble se dessiner… Et, pour preuve, le J.O indique : « A la prison, sur un effectif de 81, il n’y a aujourd’hui que (!) 44 malades. » On se console comme on peut ! Le J.O du 10 mai donne de nouveaux chiffres :
- Le 30 avril : Etat-civil européen : 12 décès dont 11 portant sur des originaires des colonies.
Etat-civil indigène : 15
3e tirailleur : 5
- Le 1er mai : Etat civil européen : 6 décès d’originaires des colonies (dont quatre par suite de grippe)
Etat-civil indigène : 28
3e tirailleur : 2
- Le 2 mai : Etat civil européen : 8 décès d’originaires des colonies
Etat-civil indigène : 13 décès
- Le 3 mai : Etat civil européen : 7 décès d’originaires des colonies.
Etat-civil indigène : 24 décès.
Le 4 mai : 5 décès chez les réunionnais. Quant aux « indigènes » on compte 6 décès à Diego ; 2 à Anamakia ; quant à Mahagaga on y recense 8 décès sur 3 jours (2,3,4 mai). Les jours suivants, on continue à déclarer de nouvelles victimes de la grippe : toutes populations confondues : le 6 mai : 9 décès, plus 2 à Cap Diego ; 3 à Ankorika ; 2 à Scama ; 1 à Betahitra ; 4 à Anamakia. Le 7mai, 16 décès à Diego-ville ; 3 à Anamakia. Mais, à partir de la seconde semaine de mai, le nombre de décès diminue.

L’épidémie « en décroissance »

Cependant, dès le 10 le J.O signale que, à Diego Suarez « L’épidémie semble en décroissance dans la population indigène ». Même constat dans la population militaire. A Antsirane, 200 indisponibles le 2 mai pour 353 le 26 avril. « Pendant cette même période (26 avril-2mai) on a constaté 76 nouveaux cas et 231 guérisons. Epidémie également en décroissance à Orangea, Ankorika, Camp d’Ambre ; tendance à décroître à Cap Diégo et Sakaramy ». Pour la population militaire, la mortalité a été d’environ 24 pour mille, tant chez les européens et assimilés que chez les indigènes. Il fait dire que les militaires ont plus facilement accès aux soins, dans les hôpitaux et infirmeries militaires, que les civils. Pour la population indigène civile, le J.O constate que « la situation sanitaire semble s’améliorer sensiblement ; les cas nouveaux sont plus rares, mais les complications pulmonaires sont plus sérieuses. » Effectivement, au fil des jours le nombre de victimes ne cesse de décroître. Les villes proches de Diego Suarez ont été moins touchées ; Pour Ambilobe, on ne constate plus aucun cas de grippe au 10 mai ; on déclare même que, pour Vohemar, l’état sanitaire est satisfaisant. On comptera encore un certain nombre de victimes. Mais les choses s’arrangent nettement : le 14 mai, le J.O annonce qu’il n’y a eu aucun cas nouveau de grippe depuis 8 jours. Le 21 mai, aucun décès n’est déclaré. Enfin, le 7 juin 1919 la Province de Diego-Suarez est déclarée « indemne de grippe épidémique ». En conséquence, prévoit l’arrêté : « les mesures édictées par l’arrêté du 30 avril 1919 ne sont plus applicables dans cette circonscription ».
Quelles étaient donc les mesures, prévues par les arrêtés ou décidées par l’Administrateur-Maire afin de lutter contre l’épidémie ?

La lutte contre l’épidémie à Diego-Suarez

Nous l’avons vu, la première mesure édictée à Diego Suarez fut la mise en quarantaine des bateaux en provenance de La Réunion ou des villes avoisinantes. En quoi consistait la quarantaine ?
Il s’agissait d’abord d’isoler les bateaux : c’est-à-dire que les marchandises pouvaient être débarquées à terre mais devaient être « exposées au soleil quarante huit heures ». Quant aux passagers, malades ou non, ils étaient débarqués au Lazaret pour y subir une quarantaine de trois jours. Même chose pour les dockers ayant participé au déchargement. A Diego Suarez, le Lazaret, construit en 1901 sur l’îlot de Nosy Koba, avait été déplacé au début de la guerre et installé à Cap Diego mais il avait réinstallé sur Nosy-Koba en janvier 1919. Les passagers des bateaux y étaient bien traités, du moins ceux qui voyageaient en 1ere, 2e ou 3e classe et qui avaient droit à des repas variés et abondants, plus le pain à discrétion et un demi-litre de vin par repas ! Pour les voyageurs de 4e classe, ils devaient se contenter de 400 grammes de riz et de 100 grammes de viande ou de poisson à chaque repas. Par ailleurs toutes les communications avec le reste de la Province étaient interdites par l’arrêté du 21 avril, « établissant un cordon sanitaire entre la province de Diégo-Suarez d’une part, la province de Vohemar et le district autonome d’Ambilobe d’autre part. ». La surveillance de ce cordon sanitaire devait être assurée par la garde indigène des chefs de circonscription de Vohemar et d’Ambilobe qui devait veiller à ce que « aucune personne ne puisse franchir le cordon pour en sortir ». Ce qui devait être difficile à faire respecter, d’autant plus que les limites de la province étaient assez indécises ! Dans la ville même, nous l’avons vu, toutes les réunions étaient interdites et un certain nombre de mesures prophylactiques avaient été édictées. Un autre arrêté, en date du 24 avril, prévoyait la désinfection et la destruction des logements insalubres. Une commission des logements insalubres de Diego Suarez avait été nommée à cet effet : elle comprenait des ingénieurs des travaux publics, des membres de la Commission municipale, Ranaivo, le gouverneur indigène, et des médecins dont deux médecins malgaches et le célèbre docteur Girard, qui se fit connaître plus tard pour ses travaux sur la peste, et dont l’hôpital d’Antananarivo porte le nom associé à celui du Dr Robic. Toutes ces mesures n’enrayèrent pas vraiment le déroulement inéluctable de l’épidémie mais permirent cependant une trop grande dispersion de celle-ci dans la région.

Le bilan

Il est difficile d’établir le nombre exact des décès dus à la fièvre espagnole dans la Province de Diego Suarez. Si le nombre des décès européens est à peu près fiable, ce n’est pas le cas pour les décès malgaches qui n’ont peut-être pas été tous signalés. Ces décès furent pourtant sans doute les plus importants en nombre : d’une part parce qu’ils concernaient une population plus pauvre, moins bien alimentée ; d’autre part parce que cette population eut sans doute moins d’accès aux soins quand il s’agissait des habitants des villages environnants. Ce fut également le cas pour les colons réunionnais, majoritairement agriculteurs. Il est certain cependant que Diego Suarez, première touchée par l’épidémie, paya un lourd tribut à la maladie…
■ Suzanne Reutt

Georges Girard (1888-1985)
Georges Girard (1888-1985)

Médecin et biologiste français né à Isigny-sur-mer (Calvados, France) le 04/02/1888.
Georges GIRARD est né à Isigny-sur-mer (Calvados) le 4 février 1888. Il entre à l’École de santé navale de Bordeaux et en sort licencié ès sciences et docteur en médecine en 1913. Il participe à la première guerre mondiale jusqu’en 1917; il est alors relevé et affecté à la base militaire de Diégo Suarez, base de tri pour l’envoi des tirailleurs malgaches en métropole. Peu après, il met en évidence des œufs de Schistosoma mansoni dans les selles de tirailleurs malgaches; cette maladie n’avait pas encore été décrite à Madagascar, et c’est là son premier travail présenté à la Société de pathologie exotique, dont il devient membre titulaire en 1922. À son retour en métropole, il fait un stage à l’Institut Pasteur et l’épidémie de peste qui survient alors dans la Grande île provoque son envoi à Tananarive pour prendre la direction de l’Institut de bactériologie, fondé en 1899 par THIROUX avec l’appui de GALLIENI, et devenu Institut Pasteur. Il va le moderniser et l’agrandir et en restera le directeur jusqu’en 1940. Outre la peste, qui suscite la terreur générale et mobilise son attention et sa technicité, il va étudier la pathologie malgache et en donner un aperçu dans un grand nombre de publications.

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