Peu de gens connaissent encore le fort d’Ambohimarina, construit par les troupes de Radama 1er dans la première partie du XIXème siècle, et qui se trouve pourtant à peu de distance de la ville..
Un peu d’histoire…
En 1823, le roi Radama 1er envahit le Nord de Madagascar. Le plus puissant souverain de la région, le roi Antankarana Tsialana, pris dans des conflits de souveraineté, est obligé de se soumettre.
Pour assurer leur mainmise sur la région, les Merina créent un poste près de Vohemar, puis, en 1828 ils construisent le fort d’Ambohimarina, au sommet de la Montagne des Français, sur le promontoire qui fait face au Mont Reynaud. Ce fort deviendra le siège du gouvernement d’Antomboko
L’accès au trône de Tsimiaro, qui succède à Tsialana, va ouvrir une période d’affrontements incessants entre les forces merina d’Antomboko et les Antankarana. Ces conflits conduiront Tsimiaro à chercher des alliances étrangères, notamment auprès des Français.
Description d’Ambohimarina
Laissons parler le Dr Guinet qui y fit plusieurs séjours en entre 1853 et 1860 :
«Le fort hova est établi sur une montagne parallèle au morne carré qui sert de point de repère aux navires qui suivent la côte ; il est très élevé, et repose dans une espèce de marne blanche qui fatigue les yeux.
Il est composé d'une triple enceinte comme tous les forts hovas; mais le réduit et placé sous le sommet de la montagne dont on a rendu l'escalade très difficile pour les assiégeants.
Ce fort, défendu naturellement, est néanmoins le plus difficile à gravir de tous ceux que j'ai vus. Il est protégé presque tout autour par des murailles naturelles à pic, et, sauf la crête de la montagne qui présente un chemin plat, on ne peut y arriver que par des rampes très difficiles à franchir.
Du fort, on distingue le port Rigny au nord ; il n'est séparé de la baie d’Ambodivahibe que par une langue de terre d'un demi-mille à sa base. L'échancrure qu'il fait dans les terres forme avec la baie d’Ambodivahibe une presqu'île dans la façade qui regarde la mer au large, à environ 4 milles sur cinq de profondeur.
Du plateau du Fort on voit les montagnes qui forment le côté nord de la baie de Diego-Suarez. Il faut encore 4 heures à un courrier pour se rendre du Fort à la baie des Français à Diego –Suarez.»
(Rapport Guinet du 15 juillet 1853)
« Le fort d’Antomboukou, appelé par les hovas Vohimare, est situé sur une montagne de la chaîne d’Antsingy (montagne des français). Il est placé à environ 6 milles du rivage, et à 1500 m environ à l'ouest du morne carré dont il est séparé par une seule vallée ; son attitude, que j'ai mesuré à l'aide d'un baromètre ... m'a donné 450 m au-dessus du niveau de la mer.
Le mot Antsingy veut dire escarpé ; c'est positivement à cause des difficultés et des escarpements dont cette chaîne de montagnes était hérissée que les hovas l'ont choisi pour y bâtir leur fort. Il est établi sur un piton morneux élevé lui-même sur le sommet de la montagne qui sert de base ; sur la façade ouest du mamelon, au-dessous du fort, se trouve une espèce d'esplanade qui a valu à la montagne le nom de Vohimare (montagne plate). C'est sur cette esplanade qu’est établi le village sakalava.
On n’arrive au sommet de la montagne qu'avec des difficultés et beaucoup de fatigue ; il faut, pour y parvenir, suivre la crête des contreforts de la montagne qui servent de route à l'est nord-ouest ; et si on veut se diriger par le Nord , il faut se résigner à passer dans des défilés très dangereux.»
(Rapport Guinet du 23 mars 1864)
«Ce poste d’Ambohimarina […]est un camp hova, perché comme un nid d’aigle au sommet d’une falaise, où l’on ne peut avoir accès que par des échelles, faciles à retirer à l’occasion.» (C.Vray – Mes campagnes, par une femme ).
En fait, le fort est beaucoup moins inaccessible qu’il n’y paraît si l’on en croit le témoignage d’un habitant de Diego Suarez, paru dans l’Illustration de 1890 : «On y accède par une route assez facile qui serpente au milieu du massif de la montagne des Français,[…]mais les Hovas admettent que nous ne connaissons pas d’autre route qu’un sentier suspendu au flanc des précipices et aboutissant à un escarpement où il faut se servir d’une échelle. […]C’est par la route de l’échelle que se font les visites officielles. »
La vie à Ambohimarina
- La population :
Elle se compose des gouverneurs (qui sont généralement des officiers de haut rang, appartenant parfois à la famille royale de Tananarive) et de leur famille, des fonctionnaires royaux, des officiers et des militaires . Au-dessous se trouvent les andevo (esclaves) ; Près du fort, comme nous l’a dit le Dr Guinet se trouve le village « sakalava ». Le chiffre des habitants d’Ambohimarina a varié selon les époques mais, à certains moments, il a atteint le chiffre de 2000.
- De quoi vivent-ils ?
Dans une première période, les militaires merina d’Ambohimarina sont plus ou moins délaissés : en effet cette province lointaine n’a ni intérêt économique ni intérêt stratégique. Le Premier Ministre Rainilaiarivony parle d’une « région pierreuse et inculte». Ils disposent de canons et de fusils mais manquent souvent de munitions.
La majeure partie des ressources d’Antomboka provient des douanes : or, les quelques boutres qui font escale dans la baie d’Ambodivahibe ne rapportent pratiquement rien. Les maigres ressources sont confisquées par les officiers de sorte que les fonctionnaires ne sont pas payés. Ils doivent donc tirer leurs revenus de trafics divers et d’exactions vis-à-vis de la population. Quant aux soldats ils n’ont «même pas de quoi se vêtir» (rapport de 1857).
Pour son approvisionnement, le fort dépend de la région avoisinante : or, les attaques des troupes de Tsimiaro qui mettent le feu aux récoltes acculent la garnison à la famine. Guinet raconte qu’en 1854 la garnison d’Amtomboka fut attaquée par les Antankarana et que, de 700 hommes, il n’en est pas resté 80, plus de 600 ayant été tués ou étant morts de faim.
En temps normal, l’essentiel de leurs ressources en vivres est fourni par les cultures avoisinantes et par des centaines de bœufs …quand ceux-ci ne sont pas capturés par leurs assaillants !
Cependant, l’affrontement avec les français à partir de 1883, puis leur installation à Diego Suarez en 1885 font prendre conscience de l’importance de cette région au gouvernement de la Reine.
Commence alors une seconde période où, sur ordre de Tananarive, les officiers sont appelés à apaiser les tensions avec la population locale.
Des officiers de haut rang sont nommés pour diriger le Nord, on demande la suppression des abus de l’administration : exploitation, escroqueries, taxes excessives, charges , usure…
- La vie quotidienne à Ambohimarina
Elle ressemble, en fait, à la vie dans une petite ville des hauts-plateaux. On y trouve un temple, une école, le palais du gouverneur,des maisons en bois à varangue…
Les officiers et leurs femmes s’habillent comme à la cour de Ranavalona : redingote et canne pour les messieurs, robe blanche pour les dames. « L'intérieur du Fort est assez vaste, et de grandes cases y sont bâties. Sous leur varangue, assises par terre, se tenaient les femmes des officiers, toutes proprement et uniformément habillées de robes blanches.» (Gunst)
On parle de sa province lointaine, on se rend visite, on donne des fêtes, des bals, on enterre ses morts de façon traditionnelle. Dans la demeure du commandant, le «lapa» (palais) les invités sont accueillis dans «une salle énorme où 500 personnes pourraient trouver place» (Rapport du Dr Gunst).
Des bals y sont parfois donnés : «Le commandant donna le signal, et, aussitôt, au son des tambours et des violons, plus de 200 couples se mirent à tourner en tous sens mais d’une façon régulière et avec mesure».(Gunst)
On respecte scrupuleusement les fêtes nationales, notamment la Fête du Bain de la Reine qui donnera lieu à un des plus sérieux différends entre merina et français.
La vie est, bien sûr, moins facile pour les militaires, non payés, qui doivent trouver à se nourrir. Elle l’est encore moins pour les «sakalava» du village, soumis à la corvée, aux réquisitions, et qui – en gros – doivent faire vivre la garnison.
Les relations entre Ambohimarina et Diego Suarez
Tout va changer avec l’installation officielle des français à Diego Suarez.
Les relations avec la population locale :
Pour obtenir la fidélité des populations locales , le gouvernement d’Antomboko va changer sa politique en améliorant la vie de ses sujets et en supprimant les abus comme les réquisitions, l’usure, et d’une façon générale les pratiques dont sont victimes les côtiers. Le Premier Minsitre donne ordre «de bien administrer les sakalava et de ne pas les pressurer».
Mais cette politique va s’avérer inopérante en raison de l’attirance de la ville naissante de Diego Suarez.
En effet, les français, à la recherche de main d’œuvre vont tout faire pour attirer les populations.
Payant des salaires aux ouvriers alors que les merina pratiquent la réquisition, accueillant les esclaves évadés, séduisant les populations par les nouveautés que l’on y trouve (maisons, chemin de fer, richesse en comparaison du dénuement d’Ambohimarina), Antsirane n’a pas de mal à attirer les sujets d’Antomboko.
Le face à face Ambohimarina-Diego Suarez
Il est très tôt matérialisé par la construction du fort de Mahatsinjo (que l’on peut voir encore au-dessus de l’actuel aéroport) : construit par les tirailleurs, faisant face au fort d’Ambohimarina, il est une provocation permanente pour la garnison merina.
En effet, le Gouverneur de Diégo, Froger, ne cesse de grignoter des territoires au-delà de la zone qui a été accordée à la France par le traité de 1885. Mahatsinjo, domine ainsi le poste de douane merina d’Antanamitarana qui formait la limite du territoire concédé. Mais l’insuffisance des moyens de la garnison merina la contraint à accepter ce qu’elle ne peut empêcher.
Les incidents sont donc fréquents. Un des plus célèbres se produit lorsque le Gouverneur Froger, invité à la fête de la Reine en 1891 se voit obligé de grimper aux échelles de la falaise alors qu’il sait qu’un bon chemin lui permettrait de se rendre à cheval à Ambohimarina . Considérant qu’il s’agit d’une «insulte à la France» il porte plainte auprès du Résident Général.
Cependant, il semble que les relations entre les merina et les français ne soient pas toujours aussi mauvaises et que des relations sociales se soient établies entre eux : «Ce matin, nous avons donc vu arriver à Diégo, portées en fitacon, les femmes de ces officiers (merina).
Le gouverneur les a pilotées toute la journée, reçues à déjeuner, logées au gouvernement, puis, finalement, conduites au bateau et recommandées chaudement au commandant» (C.Vray )
Cependant, le fort d’Ambohimarina reste pour les français un lieu mystérieux : «Des légendes assez bizarres courent sur cet endroit qu’on prétend en communication avec l’intérieur de l’île par de longs couloirs souterrains qui conduiraient directement à Tananarive…» (C.Vray) ;
La détérioration des relations et la marche à la guerre
A partir de 1886 les relations vont prendre un tour plus agressif.
D’abord en raison de l’attitude expansionniste et de la mauvaise volonté du gouverneur de Diego Suarez, Froger , qui entraîne des incidents diplomatiques et militaires.
En réponse, les merina tentent de multiplier leurs postes de douane, puis, à partir de 1892, leurs postes militaires.
La situation devient alors de plus en plus tendue : le fort d’Ambohimarina est sur le qui-vive et les français renforcent la surveillance dans leurs postes militaires. En 1893 les Merina forment un blocus destiné à intercepter l’approvisionnement de Diego Suarez.
En 1894, la garnison d’Ambohimarina est renforcée. Les Merina installent un camp à Mahagaga et une batterie près du Point 6.
Antsirana se met alors sur pied de guerre, l’usine d’Antongombato est dotée de canons et les colons sont armés ou évacués sur Diego Suarez.
Le 20 décembre 1894 la Colonie de Diego Suarez est déclarée en état de siège.
Dans la nuit du 23 au 24 décembre les merina attaquent le poste de Mahatsinjoarivo mais ils sont repoussés.
Dans la nuit du 11 au 12 avril 1895, 3 compagnies d’infanterie de marine, une section d’artillerie et un bataillon de volontaires de La réunion attaquent le fort d’Ambohimarina qu’ils enlèvent à l’aube.
Les français s’emparent de ce que les merina ont laissé derrière eux : «un butin considérable» selon certains, «peu de choses» selon d’autres…
Deux des drapeaux merina saisis à Ambohimarina furent envoyés au maire de Saint-Denis par les Réunionnais ayant participé à l’attaque.
■S.Reutt - Ass. Ambre