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Catégorie : Histoire
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Les rues de Diego Suarez : la rue de la Marne
La rue de la Marne est dans le plan de circulation actuel la «jumelle» de la rue Colbert. Si aujourd’hui elle semble délaissée au profit de sa soeur, l’histoire nous montre qu’il n’en a pas toujours été ainsi.

Les noms des rues ont souvent donné lieu à polémique : fallait-il conserver les noms donnés par le colonisateur et qui renvoient à des personnages, à des faits ou à des choses qui ne veulent plus dire grand-chose pour l’Antsiranais d’aujourd’hui ?
Mais, en revanche, fallait-il ôter à ces rues le poids de souvenirs qu’elles retiennent encore pour ceux qui y sont nés ou qui y ont vécu ? Nous ne trancherons pas : contentons-nous avant qu’elles ne risquent de disparaître, et avant que ne disparaissent ceux qui les ont toujours connues- de rappeler leur histoire…au regard de l’Histoire (avec un grand « H ») ou, plus simplement, de la vie quotidienne…
Aujourd’hui, découvrons l’histoire de la rue de la Marne.

La rue de la Marne s’appela, dans un premier temps rue du Fort-Melville.

Les rues de Diego Suarez : la rue de la Marne
Les rues de Diego Suarez : la rue de la Marne
Les rues de Diego Suarez : la rue de la Marne
Les rues de Diego Suarez : la rue de la Marne
Les rues de Diego Suarez : la rue de la Marne

Pourquoi ce nom ? Si un lecteur peut nous l’apprendre, qu’il ait d’ores et déjà nos plus vifs remerciements ! En effet, Lord Melville, dont le nom fut donné à l’Anse Melville par le cartographe Owen avait été Lord de l’Amirauté anglaise. Quant au «Fort Melville» il fut construit au Zoulouland en 1879 et fut le théâtre d’une terrible bataille opposant les anglais aux zoulous. Mais cela ne nous explique pas pourquoi –compte-tenu de l’hostilité qui opposait les français aux anglais dans les années 1900- une des plus grandes rues de Diégo fut nommée de cette façon. De toutes façons, cette rue, prolongée jusqu’à la rue François de Mahy, fut rebaptisée rue de la Marne après la guerre de 14-18.

Ce nouveau nom fut donné en hommage à une des plus célèbres batailles de la Première guerre mondiale restée dans les mémoires à cause des fameux «taxis de la Marne», réquisitionnés par Joffre et Gallieni pour amener aux troupes françaises les renforts qui leur permirent la victoire .

Dans les premières années de la colonisation la rue du Fort-Melville allait de la Place Kabary au ravin Froger.
Ce ravin, dont on voit encore un bout au coin de la rue Villebois-Mareuil coupait autrefois la rue Colbert. Le premier gouverneur civil de Diégo, Froger, le fit franchir par un pont au niveau de l’Avenue de France (La vahinée). Cependant, le ravin resta à ciel ouvert, souvent inondé, au niveau de la rue du Fort-Melville ce qui irritait fort les habitants de la ville comme on peut le voir dans l’article suivant, paru dans le journal «La Cravache» du 22 novembre 1908 :
«Il y a à peine 3 mois, on embellissait cette rue, on la dotait d’une cuvette et on savait qu’avant 3 mois, on devrait procéder aux travaux de la nouvelle canalisation. Malgré cela la cuvette fut faite et terminée. Aujourd’hui on est en train de démolir ce qu’on a édifié dernièrement. Voilà où passe l'argent des contribuables ; car il a fallu payer pour faire cette cuvette qui disparaît sous les coups de pioche pour reparaître, espérons-le, avant la saison des pluies.»

Ce ravin était d'autant plus dangereux que la rue du Fort Melville était fort mal éclairée : voilà ce qu’en dit dans «La cravache» du 29 novembre 1908 : «la rue du Fort Melville ne contient que deux lampes éclairées au lusol, les autres sont éclairées au pétrole et lorsqu'on se trouve à mi-chemin c'est-à-dire au bureau de l'Impartial, on ne voit presque rien. Nous prions M. l'Administrateur de bien vouloir faire remplacer ces lampes. Nous appelons également toute son attention sur le fond du ravin où finit la rue du Fort Melville. L'Administrateur, M. Hesling, a fait construire un petit pont pour le passage des piétons. Là, aucun réverbère n’éclaire les passants et on peut y commettre toutes sortes de crimes sans être reconnu par personne.»

Ce problème du ravin Froger persista, alors même qu’après la Grande Guerre la rue fut rebaptisée «rue de la Marne». La Gazette du Nord du 29 mai 1925 s’en alarmait : «C’est ainsi que nous voyons la rue de la Marne, alias ravin Froger, bordée de tas d’ordures, provenant de l’on ne sait où, ce qui donne à cette rue un aspect très dégoûtant pour ceux qui la fréquentent accidentellement»

Pourtant, ce ravin Froger n’avait pas que des défauts : c’était également un lieu de réjouissances populaires, notamment des combats de boxe . En vers approximatifs, un «poète» de l’époque affirmait :

«Si vous voulez vraiment ne pas vous en faire
Rendez-vous donc au bas-fond Froger
Où des boxeurs seront là pour vous distraire
Et que chacun voudra encourager
De la chanson, les spectateurs, au fou-rire
Apporteront de leurs applaudissements
La nouveauté que l’écho saura vous dire
C’est bien l’endroit des vrais divertissements»

La rue de la Marne était pourtant, dans son ensemble une belle rue : on y trouvait la très belle maison que l’on voit encore sur la droite, après le carrefour de l’Avenue de France. Elle abrita, un temps, les bureaux du journal «L’Impartial» à l’époque où la ville de Diégo disposait de plusieurs journaux locaux.

Il y avait aussi, au-delà de la rue Sadi Carnot, de jolies maisons créoles, en bois, dont on peut voir encore les vestiges.
Le monument le plus important de la rue de la Marne est, bien sûr, la cathédrale.

La cathédrale :
La première église d’Antsirane était une église en bois, érigée près de l’évêché. Cette église fut réduite à l’état de planches éparses par le terrible cyclone de 1894 puis reconstruite de façon provisoire.
L’actuelle cathédrale est l’œuvre de Monseigneur Corbet (dont une rue de Diégo porte le nom). Prêtre de la Congrégation du Saint-Esprit, il arriva à Antsirane en 1899 ; il y reçut un accueil chaleureux.

En vue de la construction d’une cathédrale, il quitta Diego-Suarez le 5 avril 1907, à la recherche de fonds. Grâce à une subvention de la municipalité, avec l’aide des commerçants de la ville et de ses amis alsaciens, il put réaliser son rêve :la première pierre de la cathédrale fut posée et bénie le 21 mars 1909.
Mgr Corbet mourut le 25 juillet 1914. Il fut tout d’abord enterré au cimetière de Tanambao, puis son corps fut transféré à la cathédrale en mai 1925.

La cathédrale mesure 45 m sur 19. La clef de voûte est à 12 m de hauteur, la tour carrée se dresse à près de 30 m.

Les vitraux sont un don des Dames du Sacré-Coeur et le pavé en carreaux de ciment a été offert par Alphonse Mortages, le découvreur des mine d’or d’Andavakoera..
La cathédrale fut inaugurée le 11 avril 1911 et achevée en août de la même année.
A l’heure actuelle, la rue de la Marne, réhabilitée en partie est animée, à l’heure de la sortie des écoles, par les élèves des lycées et collèges du quartier.

■S.Reut - Ass. Ambre