Tout le monde – ou presque- a entendu parler de l’exil, à Antsirabe, du sultan du Maroc, Mohammed V. Mais très peu, sans doute, savent que Diego Suarez a eu aussi son Sultan…
« Notre » sultan, Saïd Ali ben Saïd Omar, venait de la Grande Comore.
Il était arrivé à Diego Suarez à la suite d’une manœuvre politique discutable de la France. En effet, alors qu’il était parvenu en 1886, à unifier les 11 sultanats de l’Ile, il dut accepter, sous la pression française que celle-ci devienne Protectorat français.
A la suite de quoi, il fut exilé …à Diego Suarez-Suarez.
Très bel homme, courtois et sociable, Saïd Ali se fit rapidement des amis dans la toute petite communauté qu’était alors Diego Suarez. Mais, laissons la parole à une de ses meilleures amies, C.Vray (un pseudonyme destiné à sauvegarder le devoir de réserve de la femme d’un capitaine de la garnison).
Celle-ci dans son livre « Mes campagnes » primé par l’Académie Française et racontant son séjour à Diego Suarez en 1894, consacre plusieurs passages à son royal ami ainsi qu’à l’épouse de celui-ci.
« Un ami - Août 1894
Il est bon que je vous dise en deux mots l'histoire de ce nouvel ami. Saïd Ali, arabe et de sang royal, sultan de la Grande Comores, vivait paisiblement dans son petit royaume, il y a encore très peu de temps.
À la suite d'un dissentiment avec le résident français, il fut envoyé en disgrâce à Diego Suarez, où il est encore prisonnier avec une maigre suite, une seule femme, et réduit à une vraie misère.
Bien de sa personne, il a grand air comme tous les Arabes, et portait aujourd'hui un grand manteau de drap blanc, soutaché d'or, revers de satin émeraude et grand turban de la même nuance, poignard arabe et sabre persan absolument splendide. Il parle bien français, a du reste voyagé, ayant été à la Mecque et en Turquie ; il est très correct, extrêmement bien élevé, et, comme vous pensez, a trouvé tout de suite des amis parmi les officiers.
Le sultan a donc pris son thé avec nous et nos voisins l'ont invité à passer la soirée chez eux ; nous avons beaucoup insisté pour qu'il amenât avec lui la pauvre petite sultane prisonnière, qui partage aussi son exil ; il a promis, à la condition que nous serions entre nous et que nous ne le dirions pas…»
Suit un délicieux portrait de la petite sultane :
« Eh bien ! En effet, elle est charmante cette petite sultane, tout intimidée et toute sauvage, se blottissant dans nos jupes et se cachant dans les coins ; elle est un peu comme un pauvre petit oiseau qu'on amènerait tout à coup à la grande lumière.
Elle finit par consentir à fumer un peu et à boire du café ; nous tâchons de l'amuser ; on joue du piano, on chante, nous faisons même danser une polka à nos sultans et, tout doucement, cette petite personne, qui tient surtout de la divinité égyptienne, se remet et s'apprivoise.
De temps en temps elle nous tend la main, accompagnée d'un bon petit sourire qui semble dire : « je vous comprends, je vous remercie, mais ne sais comment vous payer de votre peine. »
Elle porte, comme costume : un pantalon de satin violet un peu serré aux jambes, une sorte de blouse sans manche en satin cerise, tombant jusqu'aux genoux, le tout très brodé, très chamarré, avec d'énormes bracelets au pied, d'autres plus petits aux bras, des bagues et de nombreux bijoux.
Ses cheveux très noirs, lisses et fins, sont tressés en une masse de petites nattes, formant des dessins réguliers sur sa tête ; de côté est posée une jolie petite toque de satin brodé. Elle a des pieds d'enfant, minces et délicats, que supportent de petites sandales à talons, en bois très léger, et de jolies mains aux doigts longs et effilés ; légèrement tatouée, de petits dessins rouges aux ongles des pieds et des mains, un peu de noir aux yeux ; elle se drape presque entièrement dans un grand voile d'étoffe foncée, lamée d'or et d'argent, qu'elle consent à enlever devant nous.
Et cette soirée scelle l’amitié entre les familles, pourtant si différentes :
À 11heures, nous prenons tous ensemble le chemin de la maison ; nous n'avons pas nos lanternes ; aussi le sultan tient-il à nous accompagner.…
Sur un signe de son maître, la petite sultane vient près de moi, s'accroche mon bras, me serre bien fort et nous marchons côte à côte.
Malgré tout, nous avons presque grand air en rentrant ainsi à la case ; ce sultan, prisonnier, dépossédé, trouve moyen de ressembler à un grand seigneur, correct et poli en tout point. Nous faisant de nombreux salams devant notre porte, il met cérémonieusement la main à son front, pour nous saluer à l'arabe. »
Les relations amicales se poursuivront encore quelques mois jusqu’à ce que les bruits de guerre (1895 !) fassent planer les menaces de séparation :
« Visites de sultan
10 octobre
Notre pauvre sultan Saïd Ali a failli être déporté en Calédonie, sans avoir même été entendu : encore un tour qu'on a voulu lui jouer.
Nous lui avons vivement conseillé de ne partir qu'avec un ordre écrit, et comme on n’a pu le lui fournir, il est resté.
De temps en temps, il vient passer un bout de soirée chez nous ou chez des amis, accompagné de la petite Sultane très drapée, très cachée dans ses voiles épais.
Puis, comme des gens corrects, nous nous rendons nos visites.
Le sultan occupe une case dans la ville basse, une vraie maison de prisonnier et de dépossédé ; pourtant, dès l'arrivée, vous sentez que vos hôtes connaissent fort bien les lois de l'hospitalité ; on apporte tout de suite de très bon café offert dans une délicieuse cafetière turque, de la bière et des petits gâteaux ; la sultane, elle, remplit à sa manière ses devoirs de maîtresse de maison, en vous couvrant d'eau de rose et de parfums violents dont vos vêtements seront pour longtemps imprégnés…
De temps en temps, dans l'après-midi, arrive jusqu'à la case, d'un air important et cérémonieux, un grand Anjouanais porteur d'une lettre de la part du sultan ; c'est une de ces lettres étranges, pleine d'originalité et de nobles sentiments, où Allah me comble de ses bénédictions et la sultane de ses gâteaux, pâtisseries terribles à manger, qu'elle a confectionnées de ses doigts mignons avec un soin tout particulier et une grande minutie… C'est cuit dans la graisse, et les odeurs de suif, ainsi que les parfums orientaux, s’y mélangent d'une façon désolante ; mais c'est si gentiment offert que nous ferons sûrement de violents efforts pour y faire honneur. »
Pour finir cette missive, un petit post-scriptum dans lequel il est dit :
« Je prie Allah de toujours protéger un bon et loyal militaire tel que vous ; Je le prie de même d'avoir soin de votre famille et de vous accorder ses grâces ».
Puis, le vent de l’Histoire qui avait réuni de façon si improbable ces amis venus d’horizons différents les dispersa aussi brutalement.
1895…La guerre s’annonce entre la France et Madagascar. Diego Suarez est mis en état de siège ; les canons de Mahatsinjo grondent.
C.Vray, femme de militaire doit partir. Saïd Aly, aussi.
« Tout le monde part du reste ; il n’est pas jusqu’ au pauvre sultan qu’on envoie continuer son séjour à La Réunion.
Toujours correct et affectueux, il nous fait des adieux touchants, et quitte, les larmes aux yeux, ce pays de misère qu’il semble presque avoir apprécié, grâce à la sympathie que chacun lui a témoignée. Il a voulu que tous eussent une part d'adieu et que personne n'ignorât son amitié pour la France, qui, cependant, ne lui a procuré que du désagrément. Le journal de Diego Suarez donnait aujourd'hui l'article suivant :
Aux braves habitants de Diego Suarez, Salut…
En quittant, pour me rendre à La Réunion, cette charmante colonie où j'ai reçu un accueil si bienveillant, je vous prie tous de vouloir bien agréer l'expression de mes meilleurs sentiments et l'hommage de ma profonde reconnaissance. Je prie Allah qu'il vous protège et vous accorde ses grâces.
Votre ami qui n'oubliera jamais vos honorables sympathies.
Sultan Saïd Ali Ben sultan Saïd Omar
Antsirane, 4 décembre 1894. »
Le journal ajoutait cette réponse :
« Nous transmettons à qui de droit l'adieu plein de noblesse du sultan Saïd Ali. En échange de ses vœux empreints de la poésie orientale et d'une reconnaissance toute française, nous lui adressons les nôtres pour qu’il triomphe de ses ennemis et qu'il continue à aimer la France. »
Le sultan quitta donc Diego Suarez pour une autre terre d’exil, La Réunion.
Le 9 avril 1908 les Comores devinrent « Territoire dépendant de Madagascar ».
En 1909, un tribunal français déclara illégale l’abdication forcée de Saïd Ali mais celui-ci ne fut pas pour autant autorisé à remonter sur son trône. Il fut dédommagé par une compensation financière et finit ses jours, en 1916, à Tamatave.
Il ne devait pas avoir élevé sa famille dans la rancune vis-à-vis de la France puisque son fils, Saïd Houssein, s’engagea dans la Légion Etrangère !
■ S. Reutt - Ass. Ambre
Commentaires
Meilleures salutations.
Charif Hachim
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