Diego Suarez a soif !
Éternel problème, le manque d'eau est et fut- depuis les origines de la ville- le souci permanent de la population et des administrateurs de Diego. Un des premiers problèmes de l'installation française à Diego fut de fournir de l' eau à la ville en train de naître.
Fournir de l'eau à la ville
Au début de l'occupation l'alimentation en eau fut assurée par deux sources: l'une, aménagée par le service de l'artillerie dès 1886 et destinée aux militaires se situait sur le coteau dominant la plage d'Antsirane. Un grand réservoir y recueillait l'eau des sources environnantes tandis que le trop plein s'écoulait dans un lavoir public placé sur le quai.
L'autre - que l'on nommait « la fontaine malgache », ou « fontaine du tamarinier » était captée dans le ravin au-dessous de l'ancien quartier indigène, (la place Kabary). Cette fontaine était à la disposition de la population civile. Le débit de ces deux sources était en moyenne de 40m3 par jour.
Très rapidement, en raison de l'accroissement de la population et de périodes de sécheresse, l'alimentation en eau devint insuffisante et il fallut la compléter par un service de ravitaillement en eau assuré par les militaires : l'eau, puisée à une source de Cap Diégo fut alors apportée par chalands à l'aide d'un boutre-citerne.Elle était ensuite livrée en ville dans des futs installés sur les wagons Decauville à traction animale.
Dans son livre « Mes campagnes » C.Vray, femme d'un officier, décrit avec beaucoup de verve comment on lui apporte, deux fois par jour, matin et soir, sur une brouette « un petit tonneau d'eau qui doit servir à (la) consommation.
Quelquefois, entre les deux voyages, l'eau vient à manquer; il faut se résigner et attendre la seconde distribution: souvent celle-ci est oubliée; c'est alors que, de désespoir, on dépêche à la caserne quelqu'un pour réclamer ce qui nous est dû.
Le matin, c'est moi qui assiste à la distribution; ce serait une liqueur des plus rares que je ne le ferais pas avec plus de vigilance. D'abord l'eau de la cuisine, puis celle de la maison, de la salle à manger; des jarres immenses, en terre rouge ornées de dessins indiens, de toutes les formes et de toutes les grandeurs, sont destinées à recevoir le précieux liquide; je sais ce que doit contenir le tonneau et à combien de récipients j'ai droit.
Quelquefois, il en manque un ou deux; alors on se lamente, on se désole; le noir, d'un air navré, est obligé d'avouer qu'il en a un peu perdu en route ou qu'il a un peu trop roulé son baril avant de le charger.
Les gens qui habitent le pays, sont forcés d'avoir un bœuf porteur qu'on charge de deux petits barils... aussi ont-ils de l'eau à discrétion et invitent-ils leurs amis à prendre une douche comme on invite à dîner en ville.
Les années où les pluies ont été abondantes, on peut s'approvisionner aux deux fontaines malgaches; mais, dans les années de sécheresse, on va quelquefois très loin, jusqu'à la rivière des caïmans, quand on n'est pas obligé d'apporter l'eau du cap Diégo au moyen de chalands ».
Dès cette époque le manque d'eau était le sujet principal des conversations et des préoccupations des habitants : « des routes et de l'eau! » s'exclamait le voyageur Kergovatz, en 1892, en évoquant les revendications des Antsiranais.
Les nouvelles adductions d'eau
La situation devenant de jour en jour plus critique, de nombreuses études furent faites. En 1896-97 un premier captage fut effectué dans l'Analandriana, affluent de la rivière des Caïmans et dans une source voisine. L'eau fut amenée à Antsirane dans une conduite en fonte de 225mm de diamètre et de 10 km de long. Pour la recueillir, on construisit un réservoir (le Château d'eau situé entre l'avenue Lally-Tollendal et l'avenue François de Mahy) de 1700 m3 (1.700.000litres!) situé à ce qui était alors le point le plus élevé de la ville,à 30m d'altitude, près de la Place de l'Octroi ( notre actuelle Place Foch).
De ce réservoir partaient deux conduites desservant la ville d'Antsirane d'une part, les établissements militaires d'autre part.
Cependant, très rapidement, le problème de l'alimentation en eau d'Antsirane se posa à nouveau du fait de l'extension de la ville, notamment à partir de 1900, quand Diégo devint « Point d'Appui de la flotte de l'Océan Indien ».
A son arrivée, le colonel Joffre dut donc prendre quelques mesures d'urgence, parfois tout à fait prosaïques, comme celle d'utiliser les (très) nombreuses barriques du vin consommé par les militaires pour constituer des réserves d'eau, ou d'installer des bambous pour servir de canalisations!
Il dut prendre également des mesures plus sérieuses... D'autant plus que la situation était devenue carrément catastrophique pendant la saison sèche de 1900-1901: les pluies ayant été très rares, les conduits de distribution furent fermés à partir du mois de mai: les coupures d'eau furent d'abord de 6 heures, puis de 12 h en juillet, de 22h en octobre. Au moment de la première pluie, qui intervint le 14 décembre 1901, l'eau n'était plus distribuée que pendant 1 heure par jour, à raison de 12 litres par habitant!
Pour éviter cette situation critique, plusieurs projets furent donc envisagés: une amélioration du captage existant, un nouveau captage dans la rivière des caïmans, enfin, un projet de canal d'irrigation du plateau de Sakaramy, dont une partie du débit pourrait être affectée à l'alimentation d'Antsirane.
Dans ce dernier projet, l'eau partirait d'un barrage établi sur l'une des branches du Sakaramy, au fond d'un ravin de 30 à 40m de profondeur, et devrait parcourir 5km7 en terrain naturel et 8km3 en galeries ou dans le lit des ravins pour aboutir au milieu du plateau du Point 6 où elle serait stockée dans un réservoir. Nous pouvons voir encore ces réservoirs, surnommés « vazaha rano » près du Foyer Brottier, dans le quartier d'Ambalakazaha.
Il fut également question, à un certain moment, d'amener à Antsirane les eaux du lac Mahery de Sakaramy mais cette suggestion fut écartée, le lac risquant de se trouver très rapidement asséché.
Le « ras le bol» de la population
Mais le problème persista, la plupart des sources s'étant asséchées et la population ne cessant d'augmenter. Il suffit de lire la presse antsiranaise au fil des années pour retrouver la question lancinante du manque d'eau. A la fin de chaque saison sèche les journaux de l'époque affichaient régulièrement ce que la Gazette du Nord appelait « le problème de l'heure ».
Sous la pression de la population et sous les critiques de la presse, les différents administrateurs de la ville imaginèrent toutes sortes de solutions et d'expédients, impuissants - pour la plupart- à résoudre le problème.
En 1901, un arrêté réglementa les concessions de prise d'eau et fixa des prix au m3 que les habitants trouvèrent prohibitifs. En 1908, le Château d'eau fut agrandi...mais le remède fut pire que le mal: en effet, les travaux furent défectueux et provoquèrent une véritable inondation que la « Cravache Antsiranaise » du 29 novembre 1908 relate sur le mode satirique:
« Tout le monde sait que le Château d'eau a été agrandi, ce qui était une nécessité, mais ce que tout le monde ne connaît pas, ce sont les effets stupéfiants de l'eau de remplissage du nouveau bassin; ils furent simplement effrayants et provoquèrent une véritable panique parmi les habitants des quartiers avoisinants. Les grandes eaux de Versailles n'étaient rien, paraît-il, à côté de ce panier percé pompeusement appelé "château d'eau".
L'eau s'échappant de tous côtés par d'énormes fissures s'agrandissant à vue d'œil, transforma rapidement les abords du bassin en un immense lac qui, débordant à son tour, se précipita en cascade, coupant la rue François de Mahy et s'engouffra dans la pittoresque rue du Fort Melville (rue de la Marne); l'inondation serait certainement devenue générale s'il avait plu à l'Administration de prolonger cet essai.
Ce fut une fête nautique parfaitement réussie mais qui ne fut pas goûtée de tous....Allons, Messieurs des TP, ne vous amusez plus de nous servir une écumoire en guise de Château d'eau!»
Au fil des années les récriminations ne cessèrent de fuser dans la presse: en 1925 la Gazette du Nord de Madagascar intitule un de ses articles « L'eau sèche » en réaction à l'optimisme du Maire qui trouvait que Diégo n'avait pas de problème d'eau. En 1926 la Gazette note qu'« il y a de l'eau quelques heures par jour »; en 1927: « la question de la canalisation d'eau ...nous est une hantise depuis 25 ans ».
De nouveaux travaux
Nous avons maintenant des moyens techniques que nos prédécesseurs ne possédaient pas (pompages profonds, désalinisation de l'eau de mer etc.) mais ils sont extrêmement onéreux. La survie de la ville dépend pourtant de décisions importantes que l'on ne pourra éluder plus longtemps. De l'eau
Entre temps on avait envisagé des forages qui se révélèrent négatifs. La Gazette du Nord, toujours elle, se moque du Maire (surnommé le Consul) et de ses vains efforts, dans un article intitulé « Le puits du consul »: on y raconte comment le Maire a fait creuser un puits à la sortie de la ville sur la route d'Anamakia « Les fouilles se poursuivirent...A 8 mètres, le Consul espérait, à 9 il bavait de joie, à 10 il commençait à avoir des doutes, à 11 il avait des craintes, à 12, il traita l'ingénieur d'idiot, à 13, il eut quelques scrupules et fit arrêter les travaux, malgré les conseils de l'ingénieur qui ne voulait pas abandonner l'espoir de trouver de l'eau et, à défaut du pétrole....à 15m, désespéré et couvert de ridicule, il arracha son dernier cheveu qu'il jeta dans le puits ».
Plus sérieusement, un forage au pied de la Montagne des français, bien que très profond ne donna rien .
Dans les années 30, la situation s'étant encore aggravée, des études furent menées qui aboutirent à la décision d'installer une nouvelle adduction d'eau. Il s'agissait d'amener une conduite entre le barrage de la rivière des caïmans et une station d'épuration établie au bord de la Betahitra sur 7km de longueur. La station d'épuration (qui -à ma connaissance-existe encore) devait comprendre des bassins de décantation, des filtres à sable et un réservoir d'eau filtrée. L'ancienne conduite, entre l'Analandriana et la station d'épuration serait utilisée pour les liaisons suivantes:
a) bassin de décantation de l'Analandriana/barrage des caïmans
b) station d'épuration/château d'eau
c) amélioration de la distribution en ville.
Cette installation était prévue pour un débit journalier de 6000m3 pouvant être portée à 10.000m3.
Cependant, en 1936, la question se posait toujours et le Conseil Municipal rappelait que les études menées en 1929 et 1936, établissant le projet d'amener l'eau de la Besokata aux bassins d'Antanamitara (au km11) étaient chiffrés à 3 millions de francs; pour sa part, la Commune avait effectué à ses frais la partie des travaux depuis le km11 jusqu'à la ville (construction de 7km de canalisations en ciment, triplement de la canalisation en fonte etc.): elle demandait donc à ce que les travaux en amont soient assumés par la marine militaire et le budget métropolitain.
D'autres travaux plus récents furent accomplis ...mais ils appartiennent à l'histoire moderne...
Il semblerait, au vu de la situation actuelle qu'ils ne soient pas suffisants.
Diego Suarez est-elle condamnée à mourir de soif?
A moins que l'on ne préfère en rire comme le faisait le « poète » Boulenbois, en 1924:
I
Par ces temps de canicule
Dans la ville de Diégo
Ma foi déjà l'on calcule
Qui nous fournira de l'eau.
Pendant qu'à la sécheresse,
Le même jeu des échecs;
Clamera cette détresse
De tous nos gosiers plus secs
Refrain
Si nous voulons boire
Sans jamais d'histoire
Il faut qu'on distille
Distille
Distille
Il faut qu'on distille
L'eau de mer aux habitants
............................................
IV
De nos petites misères,
Le comble serait surtout,
Avec de bonnes manières
D'envoyer tout à l'égout.
A moins que tous nos édiles
Pour nous donner ce qu'il faut,
De larmes de crocodile
Comblent le déficit d'eau.
(au refrain)
■ S.Reut - As. Ambre.