Dès l'occupation de Diego Suarez et avant même de commencer les constructions militaires, les français se sont préoccupés des installations de santé dans un pays qui avait mauvaise réputation à ce sujet, notamment en ce qui concernait les risques de malaria, comme l'on nommait alors le paludisme.
Les établissements de soins
Les premières infrastructures
Pourtant, Diego Suarez , en dehors de son intérêt stratégique était considéré comme une zone jouissant d'une salubrité plus grande que le reste du pays en raison du vent qui y soufflait et qui était supposé chasser les miasmes.
Malgré cela, le Dr Bonain, médecin à bord du navire « La Dordogne » où étaient cantonnées les premières troupes d'occupation, envisagea dès 1886, l'installation d'un « sanitarium » (sic) dans la montagne d'Ambre. Il voyait même assez loin puisqu'il envisageait que cet établissement pourrait soigner des malades en provenance des îles avoisinantes: « Que sera enfin pour les colons de la côte N.O, de Mayotte et de Nossy-Be le voyage au sanitarium de Diego Suarez, lorsqu'un chemin de fer aura relié, comme cela est, je crois, décidé, cette baie au canal de Mozambique ».
La voie ferrée ne se fit pas, le sanatorium, oui mais ce premier bâtiment garda des proportions extrêmement modestes et se contenta d'accueillir militaires et fonctionnaires en convalescence.
Cependant, très rapidement, les autorités militaires, installées à Cap Diego, construisirent une « Ambulance » (sorte de dispensaire militaire) qui se transforma rapidement en hôpital. En 1888 la Revue de Géographie décrivait à ses lecteurs cet établissement en termes lyriques: « C'est sur cette pente (opposée à la falaise tombant sur la mer), au milieu d'arbres d'essences diverses et dont quelques-uns atteignent des dimensions colossales, qu'on a bâti l'hôpital militaire.
Cet établissement, rafraîchi pendant les grandes chaleurs par l'ombrage des arbres et par la brise d'ouest à laquelle il est exposé, est abrité, dans la saison fraîche, des forts vents de l'est qui viennent se briser contre les murailles du Cap; formé d'ailleurs de baraques en fer et briques, spacieuses, bien aérées et isolées les unes des autres, il rassemble les meilleures conditions hygiéniques ».
A lire cette description, on en rêverait comme résidence de vacances!
Cet établissement ne tarda pas à montrer son utilité car, malgré la salubrité dont se réjouissait le Dr Bonain, les militaires supportèrent mal le climat. Dès 1886, le Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris relatait qu'il régnait « depuis le 1er février une période de grande mortalité: 57 décès sur 2200 individus, population totale d'Antsirane et de Diego Suarez » .
La question sanitaire étant devenue une question brûlante, on construisit dans la Baie du Courrier un lazaret protégé par un poste militaire (notons que le terrain en question était situé en dehors du terrain concédé aux français par le Traité de 1885!)
Les civils qui commençaient à peupler la ville d'Antsirane et qui devenaient chaque jour plus nombreux ne disposaient eux que d'un dispensaire chichement installé dans une baraque en bois et équipé de façon sommaire. Les cas graves devaient être traités à Cap Diego ce qui impliquait un transport par terre ou par mer dans des conditions souvent inconfortables.
Dès 1889 un projet de construction d'un hôpital militaire à Antsirane avait été mis à l'étude. Mais une dépêche de 1891 avait ordonné d'arrêter le projet sous prétexte qu'« il ne saurait être question d'édifier un hôpital à Antsirane tant que la conduite d'eau ne serait pas établie ».
L'insuffisance des infrastructures, régulièrement dénoncée dans les rapports aussi bien civils que militaires, devint criante quand Diego Suarez fut déclaré « Point d'Appui de la Flotte de l'Océan Indien » et que des milliers de militaires rejoignirent leur poste.
Aussi, dès le mois de mars 1900, le nombre de lits de l'ambulance fut porté à 160, et un mois plus tard, devenue hôpital, la structure de Cap Diego offrait 200 lits.
Par ailleurs, 4 nouvelles infirmeries de garnison furent créées:
à Sakaramy le 1er juin(60 lits)
à Ankorika le 1er juillet( 70 lits)
au camp d'Ambre le 1er août (150 lits)
au Cap Diego le 1er décembre (40 lits)
Malgré ces aménagements, l'Annuaire du Gouvernement de 1900 devait constater « L'ancienne ambulance de Cap Diego, transformée en hôpital, ne peut encore satisfaire à tous les besoins ».
De l'hôpital de Cap Diego à l'hôpital de la Pointe du Corail
La construction d'un nouvel hôpital fut donc décidée. Le choix de l'emplacement donna lieu à controverses.
En effet, dès 1891, l'Inspecteur Général Bourdiaux en tournée d'inspection à Diego Suarez, exprimait de façon catégorique sa préférence pour un hôpital à Cap Diego « bien isolé en cas d'épidémie » ; Cependant, ce fut la Pointe du Corail à Antsirane qui fut choisie pour l'édification de l'ensemble hospitalier: « La ville d'Antsirane a été choisie de préférence à Orangea et au Cap Diego, parce que c'est là qu'est réunie la garnison la plus importante et qu'habite aussi la population civile presque toute entière...
Le choix de l'emplacement s'est porté sur la Pointe du Corail qui forme une presqu'île, parfaitement ventilée et nullement poussiéreuse, faisant partie de la ville d'Antsirane mais qui, en raison de sa forme, en est pour ainsi dire isolée ». (Annuaire du Gouvernement Général de Madagascar)
La construction de l'hôpital entraîna l'expulsion du quartier indigène qui fut déplacé au sud de la ville, à Tanambao.
Le bâtiment, tel que nous le connaissons encore actuellement fut achevé en 1905: comprenant 8 bâtiments, il était conçu pour dispenser des soins aux militaires mais aussi aux civils.
Le corps médical était formé de médecins militaires issus du « Corps de santé des colonies et pays de protectorat » crée en 1880: il se composait généralement d'un médecin inspecteur de 1ère classe ayant sous ses ordres des médecins et pharmaciens dont les grades étaient ceux de l'armée.
Les infirmiers étaient, au début de l'occupation des auxiliaires pris dans les corps de troupes mais qui ne donnaient pas entière satisfaction. Dès 1897 on forma des infirmiers malgaches (sakalava ou betsimisaraka pour les formations sanitaires de la côte) qui, bien encadrés, montrèrent de remarquables aptitudes.
Parmi les médecins qui exercèrent à l'hôpital de Diego Suarez, on trouve le Dr Georges Girard, chargé du laboratoire de bactériologie de 1917 à 1920 et qui se rendit célèbre en mettant au point avec le Dr Robic un vaccin contre la peste.
L'hôpital de Diego Suarez changea souvent d'appellation: hôpital militaire, hôpital Mixte, hôpital ordinaire, hôpital régional, hôpital Be. Il rendit de grands services à la population mais fut aussi l'objet de bien des critiques: que l'on en juge par ce « poème » paru en 1926 dans la Gazette du Nord:
«
Les charmes de notre Hôpital
....
Tout d'abord: des bruits et des bruits à l'infini;
Bruits de portes, de voix, de talons peu discrets;
Des tables aux couleurs rongées par les poussières;
Des coins que le balai jamais ne vit de près;
Puis, en tout et pour tout: quelques trois infirmières!
De pauvres berceaux nus, sans draps, sans couvertures;
Où vit en liberté la puante punaise;
.....
En outre la baignoire y est chose inconnue
Et certain lieu infect distille des senteurs
Qui disent à quel point maison si mal tenue
Doit peu préoccuper les coupables auteurs;»
Et l'auteur termine par ces lignes:
« Et si je dois laisser ici mes maigres restes
Je demande à la Vierge, aux Saints et au bon Dieu
(Si tant est que j'aie droit à des faveurs célestes)
De ne point rendre l'âme en ce funeste lieu.
Hortensia »
Par ailleurs, un certain nombre de dispensaires furent ouverts, souvent réservés aux indigènes dans le cadre de l'Assistance Médicale Indigène (AMI) qui fonctionna de 1896 à 1950 et qui était destinée à donner des soins gratuits à la population malgache.
Cette assistance médicale avait pour but principal de limiter les épidémies, notamment par la vaccination. En effet, sporadiquement, des cas de variole et de peste, faisaient craindre une catastrophe sanitaire. A Diego Suarez, où était installé un parc vaccinogène, plus de 370.000 malgaches furent vaccinés en 1902 .
Les autorité sanitaires veillèrent aussi à protéger la ville des maladies « importées« par les bateaux desservant le port
Pour cela , en 1899, un lazaret, destiné à la quarantaine des personnes suspectées d'être porteuses de maladies contagieuses, fut créé sur l'îlot de Nosy-Koba. On peut encore en voir les vestiges dans la baie de Diego Suarez.
D'après l'arrêté concernant sa mise en place, il comprenait:
Art 2:
« 1°-le débarcadère
2°-une étuve à désinfection
3°-un magasin pour les objets à désinfecter
4°- 3 bâtiments servant de logement aux quarantenaires
5°- un bâtiment servant de magasin du matériel, de la lingerie, de la vaisselle et de logement au gardien
6°-Une cuisine, une citerne et des latrines
7°- un local d'isolement pour les marchandises à désinfecter
8°Un magasin pour les marchandises désinfectées
L'eau était fournie par des citernes alimentées par des rotations de chaloupes.
Le personnel se composait, en temps d'épidémie, du médecin, du gardien , des gardes sanitaires et des gens de service. Quant aux personnes mises en quarantaine, elles devaient régler elles-mêmes les frais de leur séjour dont la durée pouvait varier suivant l'avis des autorités sanitaires.
Tout était prévu dans les moindres détails, y compris la composition de leurs repas...qui pouvaient être gastronomiques en 1ère classe:
« A la 1ère classe, le matin: chocolat ou café au lait, café ou thé. A déjeuner: 2 hors d'œuvre, 2 plats de viande; 2 plats de légumes; 2 desserts; café, cognac. Pain et vin à volonté ».
Bien sûr, en 4ème classe, le menu était plus frugal: « à chaque repas : 400 grammes de riz, 100 grammes de viande, qui peut être remplacée par un poids égal de poisson »
Il était interdit évidemment d'accéder au lazaret sans autorisation.
Un médecin « arraisonneur » était chargé du contrôle sanitaire des bateaux entrant dans le port.
Conditions climatiques, vaccins, quarantaine, surveillance médicale, furent cependant impuissants à protéger Diego Suarez des grandes épidémies
La grippe espagnole
1918-1919: le monde entier est touché par la pandémie de grippe espagnole qui tuera, en peu de temps 50 à 100 millions (dernières estimations) d'individus dans le monde, c'est à dire plus que la 1ère guerre mondiale qui vient de se terminer.
Diego Suarez ne sera pas épargné. Au mois d'avril un navire venant de France, le Madona (rien à voir avec une chanteuse ravageuse...) et transportant des soldats réunionnais part pour La Réunion puis revient à Diego Suarez. Il débarque 2 gendarmes malades qui mourront rapidement. La grippe va s'étendre dans la ville puis gagner la côte Est et enfin s'étendre à toute l'île en faisant près de 90.000 morts.
La peste
Présente à l'état plus ou moins endémique à Madagascar, principalement sur les plateaux, la peste perturba à plusieurs reprises la vie de Diego Suarez, notamment en 1924-1925. Attestée officiellement par un arrêté du 3 juillet, elle semble prendre fin en décembre 24. Mais, fin 1925 de nouveaux cas de peste se déclarent. Il faudra attendre la fin de décembre 1927 pour que Diego Suarez ne soit plus considéré comme contaminé.
Pendant la première période de 1924, on compta à Diego Suarez 53 cas de peste dont 47 mortels. Les mesures prises par la municipalité expliquent sans doute que l'épidémie n'ait pas été plus dévastatrice. Un cordon sanitaire fut établi autour de la ville, l'isolant de l'arrière-pays mais aussi arrêtant tout le commerce . Des campagnes de vaccination systématiques eurent lieu mais le stock de vaccins se révéla insuffisant; beaucoup d'habitations insalubres furent détruites. On tenta d'éradiquer les rats ( ce qui donna lieu à pas mal d'escroqueries, les rats étant payés à la pièce par les autorités!).Toutes ces mesures furent sans doute efficaces mais provoquèrent de récriminations sans nombre aussi bien de la part de la communauté française que de la communauté malgache.
La grippe espagnole n'est plus qu'un horrible souvenir mais nous avons vu apparaître le virus H1N1a, la peste se tapit encore dans certains coins de Madagascar; paludisme, dengue, chikungunya continuent leurs ravages...On ne peut qu'espérer que de meilleures conditions de vie et de santé protégeront Diego Suarez de ces terribles maux du passé.
■ S. Reutt - Ass. Ambre
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Commentaires
La plupart des médecins et pharmaciens militaires qui ont exercé à Diego (jusque dans les années 70) ont été formés à l'ancienne École de Santé Navale de Bordeaux, avant une spécialisation "Tropicale" au Pharo, à Marseille. Ces "Navalais" (qui ont une page associative et historique ici : http://www.asnom.org/oh/fr/0420_ecoles_medecine.php) sont à l'origine de la plupart des écoles de médecine, hopitaux militaires, et autres instituts Pasteurs en afrique francophone et en asie du sud-est.
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