Avec le manque d'eau et la cherté du riz, l'éclairage de la ville a, depuis longtemps, été un problème majeur pour les habitants de Diego Suarez.
Dans les premières années de l'occupation française de Diego Suarez, la ville nouvelle d'Antsirane était, comme beaucoup de villes françaises de l'époque, plongée dans le noir à la nuit tombée.
Les habitants, lorsqu'ils sortaient la nuit devaient donc s'organiser pour éclairer leur route dans des rues qui étaient encore - le plus souvent- des chemins boueux ou poussiéreux. .
Dans son récit « Mes campagnes » C.Vray évoque les fins de soirées « mondaines » d'Antsirane: lors de la visite du roi Antankarana Tsialana, qui repart de chez elle à la nuit tombée « on allume leurs lanternes...pour éclairer la route ». Lorsqu'avec son mari, elle est invitée chez le Sultan Saïd Ali, c'est le sultan lui-même qui se chargera de leur fournir la lumière: « A 11h nous prenons tous ensemble le chemin de la maison; nous n'avons pas nos lanternes; aussi le sultan tient-il à nous raccompagner. Sa suite...nous précède, portant chacun un fanal pour éclairer le chemin, qui est mauvais ».
Pourtant, jusqu'en 1887, les habitants d'Antsirane étaient tenus d'allumer un fanal devant leurs portes pour assurer l'éclairage des rues. Mais cette consigne, qui entraînait des frais importants, était rarement appliquée. Aussi, dès le 20 décembre 1887, les autorités locales prirent en charge l'éclairage public, moyennant une « taxe sur l'éclairage » d'un franc par m2 de façade donnant sur la rue.
Cependant, il faut croire que cette taxe fut mal perçue (à tous les sens du terme) puisque, le 17 octobre 1894, lors des premiers bruits de guerre franco-malgaches, le gouverneur Froger dut prendre la décision suivante: « A partir de 10h du soir jusqu'au lever du soleil, nul ne pourra circuler dans la ville sans être muni d'un fanal. Toute contravention à la présente décision sera punie d'une amende de 15 francs et d'un emprisonnement de 2 à 5 jours ».
Apparemment cette menace faisait de l'effet puisque C.Vray s'inquiète, lors d'un retour nocturne « nos lanternes que le vent agite s'éteignent les unes après les autres: on les rallume vite, craignant la contravention ».
Les premiers éclairages publics
Mais, petit à petit, le progrès arrive à Diego Suarez. Dès la fin du siècle, la maison Laudié, qui fait commerce d'épicerie et de boulangerie, importe de Marseille des lampes à acétylène qui sont installées dans les établissements publics de la ville.
Jusqu'en 1915, le choix du type d'éclairage de la ville ne sera pas tranché: si certaines rues sont éclairées au pétrole, celui-ci ne fait pas l'unanimité car on trouve qu'il ne donne pas « une lumière bien éclatante ». Une alternative aux lampes à pétrole ou à acétylène, sera l'utilisation des lampes au Lusol, qui seront utilisées à Diego Suarez avant même leur introduction à Tananarive.
Mais qu'est-ce que le Lusol?
Utilisé dans ses lampes par un ingénieur français, M. Denayrouze, le lusol est un benzol dérivé du goudron de houille, obtenu à un prix très intéressant. Mais écoutons plutôt ce qu'en dit le « Petit Courrier » :
« Grâce à sa savante et robuste construction, cette lampe est à l'abri de tout accident, elle peut être renversée complètement sans aucun danger...
L'intensité de la lumière est énorme, d'un blanc fixe très agréable....
le prix de revient de cet éclairage est inférieur à tous ceux connus...la dépense horaire , pour une lampe éclairant de 110 bougies sera environ 50% meilleur marché que l'éclairage au pétrole ».Et l'auteur de l'article de préciser que « ce prix comprend la casse probable des manchons, la moyenne des manchons cassés à Diego Suarez pour l'éclairage de la ville est seulement de un par mois et par lampe ».
Vive les lampes au Lusol et vive Diego Suarez qui a été la première ville de Madagascar à les utiliser!
Mais les lampes au Lusol n'ont pas totalement remplacé les lampes au pétrole. La « cravache antsiranaise » le déplore « La rue du Fort Melville (actuelle rue de la Marne) ne contient que 2 lampes éclairées au Lusol, les autres sont éclairées au pétrole et lorsqu'on se trouve à mi-chemin, on ne voit presque rien ».
Par ailleurs, si l'on en croit le journaux de l'époque, la Commune n'a pas un grand souci de permettre à ses administrés de jouir d'un éclairage nocturne. Par souci d'économie d'abord : « Il est vrai que l'on fait de riches économies à la Commune: on s'abstient même d'éclairer la nuit (depuis le 31 octobre) et pourtant nous payons toujours ».
Pour des raisons encore moins avouables ensuite: toujours en 1908 les mauvaises langues de journalistes de La Cravache affirment que ce sont les policiers eux-mêmes qui éteignent les becs au Lusol qui les empêchent de dormir!
Mais rien n'arrête le progrès et la Fée Electricité va toucher la ville de sa baguette magique !
Enfin, l'électricité
Depuis le début du siècle, la colonie rêve de l'électricité qui commence à illuminer certains boulevards de Paris. En 1916, la Commune d'Antsirane passe un contrat avec la Société d'Electricité de MM Matte et Laudié pour la fourniture d'électricité à la ville. Celle-ci sera produite par une usine thermique, chauffée au bois.
Il semble que cette Société n'ait jamais donné totalement satisfaction: tarifs élevés, pannes fréquentes, insuffisance de la fourniture.
Aussi, après plusieurs rapports constatant ces défaillances, la Commune décide de faire un nouvel appel d'offres.
Ce sont les Ateliers du Bassin de radoub (Société Plion et Buissière) qui obtiennent le contrat de fourniture d'électricité.
S'en suivit une polémique qui dura plusieurs années et que l'on peut suivre dans le journal « La Gazette du Nord » fondé à cet effet par MM Matte et Laudié, titulaires du contrat dénoncé.
Discussions sur les tarifs, sur les prestations, sur les indemnités réclamées, sur les accusations de favoritisme communal...qui durent rapidement lasser les lecteurs de la Gazette!
Il semble que les deux sociétés aient continué leur rivalité un certain temps puisque l'Annuaire du Gouvernement de 1926 indique les noms de Laudié et Matte d'une part, et des Ateliers du Bassin d'autre part pour la fourniture d'électricité. L'Annuaire indique par ailleurs qu'une usine hydraulique d'éclairage est prévue à Sakaramy pour remplacer l'usine thermique « fournissant actuellement l'éclairage électrique à la ville de Diego Suarez » : contre-attaque de la Société de Laudié et Matte?
Toujours est-il que, fin 1926, c'est le clash: le 21 septembre les murs de la ville se couvrent d'affiches:
« AVIS
M.E.Laudié a l'honneur de prévenir le public qu'il cessera l'éclairage à compter du 1er octobre prochain date d'expiration du contrat provisoire qu'il a passé avec la Commune »
Voilà qui nous rappelle un évènement récent...
Jusqu'à la guerre, de nouveaux contrats seront signés: avec l'entreprise Maurice Allain et fils, puis avec la SEEM (Société d'Electricité et d'Entreprises de Madagascar) mais il semble que la fourniture de l'éclairage ait toujours donné lieu à des récriminations : tarifs jugés excessifs, pannes fréquentes et surtout plaintes et pétitions des habitants des quartiers qui n'avaient pas encore le privilège d'accéder à l'éclairage public: il fallut attendre 1932 pour que le square Joffre soit éclairé devenant ainsi « la promenade la plus agréable de Diego Suarez » ; 1932 aussi pour qu'un budget soit prévu pour l'éclairage du quartier Lafayette. Quant aux malheureux habitants de Tanambao, ils en étaient encore, à ce moment-là, à former pétition sur pétition pour obtenir l'électricité...
Quant aux militaires, qui avaient demandé l'éclairage de leur quartier, il leur fut répondu que la Commune avait bien assez de frais avec l'éclairage « civil » et qu'il leur faudrait donc...se débrouiller!
En 1936 encore, le journal « L'Eclaireur » rapportait que les rues de Diego Suarez n'étaient éclairées, la nuit , que pendant 4h et il attribuait cette carence à l'influence du journal de M.Laudié qui souhaitait empêcher ses rivaux de travailler...
Nous le voyons: le problème de l'éclairage à Diego Suarez n'est pas récent...Cette constatation suffira-t-elle à nous consoler de la situation actuelle?
■ S. Reutt - Ass. Ambre