Il y a eu un chemin de fer à Diego Suarez...Et même plusieurs voies ferrées...Oh, pas très grosses, rien à voir avec un TGV ou même un train de banlieue. Les antsiranais le savent bien qui ont vu s'évanouir, au fil des années, à destination de quelconques pays d'Asie gourmands en ferraille, des km de rails, de plaques tournantes...et même de locomotives!
Ces voies n'étaient pas très larges, généralement 60 cm d'écartement; quant aux locomotives, celles qui firent entendre leur teuf-teuf à Diego Suarez étaient du type « la mignonne », c'est dire que ce n'étaient pas des monstres!
Ces chemins de fer à voie étroite, facilement déplaçables sont connus sous le nom générique de Decauville.
Petit historique des chemins de fer Decauville
L'inventeur des chemins de fer qui portent son nom imagina ce moyen de transport en 1875 pour l'évacuation des produits de son exploitation agricole. Il s'agit de rails ne reposant pas sur du ballast et pouvant être installés rapidement par 2 hommes. Rapidement ses productions connurent un succès mondial. La notoriété arriva avec l'Exposition Universelle de 1889: la Société Decauville Aîné y construisit 20 km de voies pour la manutention des exposants, et, surtout, 6 km de voies servant au transport des visiteurs grâce à 10 locomotives. A chacune de ces 10 locomotives fut donné le nom de pays ayant acquis du matériel Decauville: parmi elles, « Madagascar » rappelle la ligne de 26 km de voies de 0,60m, livrée pour organiser le transport du corps d'occupation de Diego Suarez.
Les premières voies ferrées à Diego Suarez
Il semble que la première voie installée dans le tout nouveau Territoire de Diego Suarez soit celle qui desservait le fort de Mahatsinjo et dont nous pouvons suivre le tracé sur une des premières cartes délimitant le territoire (voir carte). C'est sans doute celle qui donna son nom à la locomotive « Madagascar » de l'Exposition de 1889. Partant de la Baie de la Nièvre, elle aboutissait au pied du fort dominant la plaine d'Anamakia.
L'autre voie ferrée sera mise en service, dès 1890 pour desservir l'immense usine de la Graineterie Française à Antongombato. D'après le maître d'oeuvre de l'usine, Paul Locamus, « une voie ferrée de 8 kms avec traction à vapeur fut établie dès le début, utilisant le matériel de la maison Legrand, le plus commode et le moins encombrant de ceux qui sont employés pour les voies portatives ».
Le naturaliste Kergovatz, qui visite Diego Suarez en 1892 empruntera ce moyen de transport pour se rendre à l'usine de la Graineterie Française : « De l'embarcadère de la rivière des Maques, une voie Decauville de 9km remonte la vallée et conduit à l'usine de conserves déjà installée. La Mignonne, une petite locomotive que connaissent bien les Parisiens, pour l'avoir vue en service à l'Exposition de 1889, nous entraîne à toute vapeur, effrayant de ses sifflements d'immenses troupeaux de bœufs, qui galopent dans la plaine entre les contreforts boisés de la montagne enserrant la concession de 4000hectares de pâturages ». (M de Kergovatz: Une semaine à Diego Suarez)
En 1894, dans son livre passionnant Mes campagnes, C.Vray, femme d'un officier de la garnison de Diego Suarez décrit ce voyage avec sa verve habituelle: « Donc, hier matin, visite à cette fabrique qu'on appelle la Graineterie française, du nom de la société qui l'avait fondée.
Prenant passage sur une chaloupe à vapeur de la direction du port, nous arrivons en une heure environ à l'embouchure de la rivière des Maques, petit cours d'eau qui serpente au milieu des palétuviers et qui se jette tout au fond de la rade; nous la remontons pendant une heure et demie, pour arriver enfin en un point appelé Anamakia, où se fait en temps ordinaire tout l'embarquement des marchandises. Un appontement nous permet d'accoster et nous débarquons au milieu de vastes hangars, parcs à charbon et magasins, le tout bien aménagé, bien espacé au milieu de bouquets d'arbres que domine de temps en temps le panache d'un cocotier. C'est de là que part la voie Decauvilie, longue de 10 kilomètres, qui relie l'usine à son débarcadère. Le téléphone est installé dans une des petites cases qui sont là ; je dois avouer, à notre grande honte, que nous avons d'abord beaucoup de peine à nous en servir : chacun essaye sans réussir. Serions-nous devenus tout à fait sauvages ! ? Moi, je ne m'en mêle pas, détestant cet instrument qui m'impressionne toujours et me coupe la parole dès qu'il s'agit de m'en servir. Nous arrivons quand même à un résultat, car, au bout de quelques instants, nous apercevons, se dirigeant de notre côté, le petit wagonnet aménagé pour les voyageurs et tiré par deux énormes mulets , sa machine étant pour l'instant en réparation. Les enfants battent des mains, fous de joie, reconnaissant avec délices le tramway du Jardin d'acclimatation ; nous y prenons place, dos à dos, faisant face à la campagne ; un léger toit et des rideaux nous tiennent à l'abri du soleil. Nous élançant au travers de ces plaines immenses, emmenés à toute vitesse par nos bêtes, pour lesquelles notre wagonnet ne pèse pas lourd, nous longeons presque tout le temps la rivière des Maques, qui forme comme un bouquet de verdure tout le long de ces grandes prairies, et tout cela nous change heureusement de notre plateau de Diego, si nu et si aride. Dans les descentes, on décroche l'attelage, pendant que le wagon descend tout seul, entraîné par son propre poids ; un bon serre-frein est d'ailleurs indispensable pour éviter les accidents que la malveillance ne manque pas de provoquer en plaçant des pierres sur les rails aux tournants et aux approches des ponts. Nous en traversons plusieurs, nous venons même de franchir le dernier que déjà nous apercevons au pied des montagnes les bâtiments de l'usine ».
Quelque années plus tard, en 1901, lors de son voyage à Diego Suarez, le Gouverneur Général Gallieni suivra le même tracé pour se rendre à l'usine: départ en chaloupe à vapeur vers le fond du Port de la Nièvre, remontée de la rivière des Maques sur une distance de 500 m jusqu'au débarcadère d'Anamakia, puis la voie ferrée qui passe devant l'usine, continue un kilomètre de plus pour rejoindre l'abattoir. La voie continue ensuite sur 3 km pour pénétrer dans la forêt d'Antongombato dans laquelle des embranchements s'enfoncent dans les taillis d'où est extrait le bois destiné à la scierie.
Le wagon, où les voyageurs se trouvaient placés dos à dos était en principe tracté par une locomotive de 3 tonnes du type « La Mignonne », ou - en cas de panne ( comme ce fut le cas pour l'excursion de C.Vray), par des mulets.
Il semble que cette locomotive, amputée de certaines de ses pièces, se trouve encore aux Salines où nous espérons qu'un Musée donnera un jour aux Antsiranais et aux touristes la possibilité de découvrir un patrimoine industriel vieux de près de 150 ans.
■ S. Reutt - Ass. Ambre