Il ya eu un chemin de fer à Diego Suarez...Et même plusieurs voies ferrées...Oh, pas très grosses, rien à voir avec un TGV ou même un train de banlieue. Les antsiranais le savent bien qui ont vu s'évanouir, au fil des années, à destination de quelconques pays d'Asie gourmands en ferraille, des km de rails, de plaques tournantes...et même de locomotives! (Deuxième partie)
Les voies ferrées militaires
Quand Diego Suarez devient Point d'Appui de la flotte de l'Océan Indien, sous la direction du colonel Joffre, le problème du ravitaillement des postes militaires va se poser.
Dans la direction de la Montagne d'Ambre, un camp militaire est établi à Sakaramy, tandis que les installations du Camp d'Ambre, où avait été installée une infirmerie, sont renforcées.
Dans le courant de 1900, une voie Decauville de 0,60 cm est construite reliant Antsirane à la Fontaine Tunisienne (vers l'actuelle usine de la STAR). D'après la Revue de Madagascar de 1901, ce chemin de fer, à traction animale appartient « partie à l'administration militaire, partie à des particuliers ».
Par ailleurs, les quais sont pourvus d'un chemin de fer qui dessert les divers entrepôts.
A la fin de 1900, la voie de la Fontaine Tunisienne est prolongée jusqu'au camp de Sakaramy. Le tracé, établi par le Capitaine Brunet, épouse dans l'ensemble les courbes du terrain de façon à éviter de gros ouvrages de terrassement . Pour éviter le ravin d'Antanamitara, une courbe de 40m de rayon fut tracée; pour la montée du Point 6 on dut exécuter une tranchée de 6m30 de profondeur sur quelques mètres et construire un pont en biais sur un grand ravin.
Le type de voie adopté fut le type n°10 Decauville avec de rails de 9,5kilos/m comportant 8 traverses par élément de 5m. Cependant, ce type de rail étant en nombre insuffisant on employa également des rails de 7,5kilos/m destinés à être remplacés ultérieurement.
La construction de ce tronçon de voie de 13km fut exécuté par des entrepreneurs civils d'Antsirane sous la direction du capitaine du génie Fénéon. Dans un premier temps, la voie ne comporta aucun ballast ce qui excluait l'usage d'une locomotive.
La voie ferrée partait du port où un tronçon desservait les magasins et les installations militaires; montant la rue Gouraud et le Bd Bazeilles, elle suivait ensuite le Bd Militaire puis le Bd de Sakaramy, passait devant l'emplacement de la future mairie pour se diriger vers l'Octroi et la Fontaine Tunisienne, elle passait ensuite par Antanamitara puis Andranomanitra (vers l'actuelle bifurcation de la route de Joffreville)pour joindre enfin Sakaramy.
L'exploitation quotidienne, assurée par traction animale (mulets ou bœufs) permettait d'acheminer une voiture postale et d'assurer un convoi de ravitaillement qui se prolongeait par la route jusqu'au Camp d'Ambre (situé à l'emplacement actuel du Monastère des sœurs de Joffreville). Cette voie, ouverte au transport des civils, « permet aux habitants d'Antsirane de se rendre à la Montagne d'Ambre et de revenir à Antsirane dans la même journée » .(Quinzaine coloniale 1902)
En 1904, la traction à la vapeur fit son entrée dans la colonie. Trois locomotives remplacèrent la traction animale, du moins en partie.
En 1904, la Quinzaine Coloniale pouvait annoncer: » Le colonel commandant le territoire de Diego Suarez fait connaitre que la voie ferrée qui doit relier Antsirane à la montagne d'Ambre est aujourd'hui complètement terminée jusqu'au Sakaramy, soit 24 kilomètres ..., et que la traction mécanique par locomotive a été substituée à la traction animale sur la première partie du parcours, d'Antsirane à la Fontaine-Tunisienne, soit 10 kilomètres. Les avantages que procure cette voie ferrée sont unanimement reconnus par la population, qui y voit surtout un moyen rapide et facile de transporter à pied d'œuvre des matériaux de construction dans les régions si saines du Sakaramy et du Camp d'Ambre. Il convient de rappeler à ce sujet que, dans une séance du mois de mars dernier, la chambre consultative de commerce de Diego Suarez a émis à l'unanimité l'avis que l'autorité militaire rendrait les plus grands services à la population civile et contribuerait puissamment au développement de la ville, en continuant a, autoriser des cessions de transports aux particuliers par la voie ferrée .
Une correspondance fut bientôt établie entre le Terminus de Sakaramy et le Camp d'Ambre. Le Guide -Annuaire de 1908 nous apprend qu'un service de voitures, qui correspond avec celui des convois Decauville, est établi entre le Sakaramy et le Camp d'Ambre.
Il semble que- défaut d'entretien des voies ou des machines, ou manque de pièces de rechange, ou encore pénurie de charbon- la traction à vapeur eut souvent des ratés : dès 1908, le Guide-Annuaire annonce que l'exploitation se fait par traction animale.
Fonctionnement du Decauville
Le trajet suivi par le « tramway » du Sakaramy était le suivant:
Aller: Antsirane-Fontaine Tunisienne (durée 1h15)- FontaineTunisienne- Sakaramy (durée: 1h40)
Retour: Sakaramy- Fontaine Tunisienne: (45minutes) - Fontaine Tunisienne-Antsirane: (45 minutes)
Pourquoi cette durée de voyage beaucoup plus rapide au retour?
Oui, vous l'avez deviné: ça descendait! les wagons dévalaient, seulement ralentis par deux freins parfois incapables d'éviter les déraillements. Aussi, alors que la vitesse à l'aller était environ de 11km/h, elle atteignait les 30km/h à la descente! C'est ainsi que, le 16 juin 1913, un déraillement envoya 23 voyageurs dans le ravin!
Le « confort » des voyageurs: Dans son récit, C.Vray évoque l'organisation des wagons de voyageurs: ces derniers sont disposés dos à dos, les uns dans le sens de la marche, les autres tournés vers l'arrière; un toit léger et les rideaux protègent du soleil et, un peu, de la poussière. Mais il s'agit-là de la première classe, du wagon-salon destiné aux hôtes de marque. Les autres sont dans un wagon presque entièrement bâché d'où il doit être difficile de voir le paysage. Quant à la voiture postale, elle ressemble ...à un chariot!
Les prix: Ils sont différents pour les civils et pour l'Armée, propriétaire de la ligne: 7 francs pour les civils et 5 francs pour les militaires si l'on veut aller jusqu'au Camp d'Ambre (le trajet Sakaramy-Camp d'Ambre se faisant en voiture attelée; il n'en coûte que 3 ou 2 francs si l'on s'arrête à Sakaramy
Les horaires: ils varièrent, évidemment, avec les années. En 1911 les voyages ont lieu les lundi- mardi-jeudi et samedi (jour où l'on peut faire l'aller-retour dans la journée). Pendant la guerre de 1914- 1918, l'Armée devant consacrer ses moyens à l'effort de guerre, on restreignit les voyages à un aller-retour par semaine puis on supprima complètement la ligne qui recommença à fonctionner après la guerre. Bien qu'un service automobile ait été mis en place pour relier Antsirane à Joffreville, la ligne Decauville, relevant de l'autorité militaire assura un service quotidien aller-retour.
En fait, la voie Decauville fut, jusqu'à la fin de son exploitation propriété de l'Armée.
En 1904, le Général Gallieni avait été saisi d'un projet, émanant de M.Botier, ingénieur et entrepreneur de travaux-publics à Diego Suarez, tendant à l'installation d'un tramway électrique destiné à relier Antsirane au Camp d'Ambre par une ligne de 40 km.
Gallieni parut intéressé par le projet qui cependant n'aboutit pas.
Plusieurs autres projets furent soumis à l'administration coloniale mais, sans doute pour des raisons financières, aucun ne connut un début d'exécution.
Par contre, des fragments de voie furent installés en plusieurs endroits de la ville aux fins de manutention: au port, bien sûr; sur les salins de la Betahitra, à Cap Diego Suarez. Il y a quelques années, on pouvait encore les voir apparaître entre les pierres ...
Ce qu'il advint de la voie Decauville...
Dès les années 1925, il semble que les voies ferrées aient suscité certaines convoitises.
C'est la Gazette du Nord qui, dans son édition du 25 mars 1925 demande :« Serait-il indiscret de demander à MM.les conseillers municipaux s'ils ne savent pas où se trouvent les 120m de voies Decauville qui manquent aux travaux communaux? » .
Les voies constituèrent également un problème d'urbanisme. En effet, en 1925, quand la commune décida de clôturer le cimetière, il fallut décider ce que l'on ferait des voies qui le traversaient: en effet, la voie appartenait toujours aux autorités militaires qui se montrèrent fort gourmandes: comme nous l'indique ce compte-rendu de délibération du Conseil Municipal du 19 août 1925:
Il est donné connaissance à l'Assemblée d'une lettre de M.Dufour réclamant contre le fait que le cimetière n'est pas clôturé dans sa partie sud...
L'Administrateur-Maire dit que cette question a déjà fait l'objet d'une étude rendue délicate du fait que le cimetière est traversé en cette partie par une voie ferrée appartenant à l'Autorité Militaire laquelle chiffre à 60.000 francs la dépense qu'entraînerait le déplacement de cette voie.
Après discussion, le conseil émet l'avis de ne pas persister dans le projet de déplacement de la voie et qu'il y a lieu d'envisager la construction de deux murs, entre lesquels resterait cette voie telle qu'elle est, pendant la traversée du cimetière. Le cimetière se trouverait de la sorte constitué en deux parcelles.
La voie qui traversait le cimetière était la voie qui desservait la Pyrotechnie et l'Armée demandait, en plus de la somme de 60.000 francs une bande de 40m de part et d'autre de la voie!
A l'inverse, les voies Decauville qui venaient du Bd de Sakaramy furent bien utiles, en 1936, lorsque l'on voulut niveler la nouvelle Place Foch (où se trouve la Mairie): elles permirent de transporter la terre nécessaire aux travaux de mise à niveau.
Et puis...
Et puis, nous connaissons la suite: la fièvre du métal s'empara de Diego Suarez, ces dernières années: ce qui restait des voies et des plaques tournantes fut arraché au sol où il reposait depuis plus de cent ans. Plus grave: un jour l'on vit sortir du Camp Pardes une locomotive quasiment intacte. L'Association AMBRE, alertée, essaya de la sauver avec l'aide des responsables du service de la Culture. Hélas, lorsqu'il fut possible de savoir où elle avait été entreposée, il était trop tard: brisée à coups de masse, elle était prête à partir en container aider à l'effort industriel asiatique.
C'était « La Mignonne » , celle que des visiteurs du monde entier avaient pu admirer à l'Exposition Universelle de 1889!
Elle avait une valeur inestimable, à tous les sens du terme.
Elle aurait été si belle sur un rond-point de notre ville...
■ Suzanne Reutt
Pose d'un élément de voie Decauville
Commentaires
Je suis un passionné d'histoire et j'aimerais bien si vous pouviez montrer encore plus de photos
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