La rue principale donnait à la ville une ambiance ‘western’
C’est un arrivage de bois norvégien qui lui donne cet air ‘far west’. Longtemps au coeur de l’activité, la rue Lafayette prend sa ‘place’ vers 1990, avant que le Grand Hotel lui ramène une vie nouvelle...
Le Gouverneur Froger, qui arrive à Diégo-Suarez en mars 1887 décide de regrouper tous les services civils de la nouvelle colonie à Antsirane. La ville basse ne suffisant plus à accueillir les nombreux immigrants, il faut envisager de construire sur le plateau jusqu’alors réservé aux militaires. Une ville au tracé régulier se développe rapidement autour de l’axe principal que constitue la rue Colbert : c’est là que vont s’élever les bâtiments principaux : la résidence du gouverneur qui- sans grilless’ouvre largement sur la rue ; le tribunal ; le Grand-Marché, d’abord construit en bois et qui sera plus tard remplacé par le bâtiment que nous connaissons et qui abrite actuellement l’Alliance Française. Des concessions urbaines sont alors accordées aux habitants sous réserve de les habiter « dans un délai de trois mois » (arrêté du 16-11-1887). Les maisons, construites grâce à un énorme chargement de bois venu de …Norvège, vont alors se multiplier rapidement, donnant à la rue Colbert l’allure d’une ville de western. On pouvait encore, il y a quelques mois, voir deux de ces maisons en face du magasin Shakir ! La construction du pont Froger (au niveau du croisement de la rue Colbert et de l’Avenue de France) va permettre de prolonger la rue jusqu’à ce qui était alors la sortie de la ville.Si l’éclairage public est installé dès 1887, la chaussée est encore en terre et se transforme en torrent de boue aux premières pluies. Cependant dès 1892, le voyageur De Kergovatz remarque « de belles maisons en pierre ou en bois ayant leurs vérandas supportées par d’élégantes colonnes » : l’architecture particulière de la rue Colbert était née ! Mais c’est avec la décision de faire de Diégo-Suarez le Point d’Appui de la Flotte de l’Océan Indien que, sous l’impulsion du colonel Joffre, la ville en général et la rue Colbert en particulier vont prendre un nouveau départ : la chaussée et les trottoirs sont pavés, des magasins nouveaux se construisent. De superbes immeubles s’élèvent : celui du Comptoir National d’Escompte au coin de la rue Flacourt, qui connaîtra 3 aménagements architecturaux successifs (le dernier, que nous connaissons et qui a abrité la BMOI, étant le moins réussi !), celui de la pharmacie Giuliani à côté du grand marché, celui où s’est installé le magasin Sidef La rue Colbert a connu ensuite bien des changements: l’éclairage des premières années a été remplacé de façon plus moderne mais pas toujours plus heureuse esthétiquement : dans les années 50 de superbes lampadaires ouvragés lui donnaient grande allure, puis ils furent remplacés par d’horribles poteaux en béton à l’époque où le béton était roi. Des arbres furent plantés puis arrachés… Certains bâtiments disparurent dans le grand incendie du 9 août 1925. D’autres furent détruits et d’autres construits…On peut encore admirer le bâtiment du Nouvel Hôtel et son frère jumeau au coin de la rue Castelneau ; ainsi que celui qui abrite l’Office du tourisme. Vers 1930, c’est la magnifique maison des Cassam Chenaî qui devient le fleuron de l’architecture de la rue Colbert.
Puis, dans les années 1990, il semble que la rue Colbert ait perdu son statut de rue principale au profit de la rue Lafayette : quasiment déserte, elle n’abritait plus que quelques magasins : les dernières échoppes avaient disparu du grand marché qui abritait quelques rares matches de volley-ball…Le bâtiment semblait lui-même destiné à disparaître puis, L’Alliance Française s’y installa; Le Grand Hôtel se construisit..
On connaît la suite: certains affirment qu’il y a près de cent restaurants dans la rue, tandis que d’autres rayent à présent de leur liste, ceux que la crise emporte...
Suzanne Reutt (Ass Ambre)
Deux cinémas se disputaient les passants
Dès qu’elle fut percée, la rue Colbert accueillit les principaux commerces de Diégo. Certains « émigrèrent » de la ville basse, comme la Maison Charifou Jeewa, fondée à Diégo en 1881. C’était d’ailleurs Charifou Jeewa qui avait acheté, puis revendu, le bois norvégien qui permit de construire les premières habitations du plateau. Les premières « maisons de commerce » comme on les appelait alors, vendaient d’ailleurs à peu près tous les produits d’importation et il était de bon ton de se faire voir dans ces magasins qui vendaient souvent leurs produits fort cher : cela permettait d’afficher son « standing ».
Vers 1910 on trouvait donc, rue Colbert la maison Chatard qui, avant de déménager rue Flacourt et de se spécialiser dans l’imprimerie, proposait aux clients des « articles de Paris », tout comme la maison Jourdil ou la Maison de Lanux. La maison Cassam Chenaï, alors installée près du pont Froger offrait également toutes sortes d’articles d’importation indienne en plus de sa « Boulangerie Orientale ».
Suliman Amode et Cie vendait dans son beau bâtiment aux arcades orientales des tissus indiens et de la parfumerie.La pharmacie Giuliani, installée près du Grand Marché dans une des plus jolies maisons de la rue fut entièrement détruite lors du grand incendie de 1925 puis reconstruite dans le même style.
L’éternel Laou Pio, l’un des commerces les plus anciens de la rue Colbert, existe toujours, en face de l’Alliance française. En 1925 une chanson le célébrait déjà :
"Laou Pio, Pio, Pio,Laou Pio, Pio, Pio
Quand il tombe une averse
Ça fait marcher le commerce
Tu le sais bien pourquoi
Nous allons tous chez toi
C’est que l’on se mandose ( ?)
D’une tonique dose
Pour chasser le cafard
De Madagascar
Akasaki Ki
Akazaki ki"
Aujourd’hui, Laou Pio est toujours là, Akazaki a disparu et d’autres sont arrivés...
Le comptoir National d’Escompte, à l’ancien emplacement de la BMOI fut la première banque installée à Diégo .Les commerces d’alimentation étaient généralement tenus par des grecs, comme le beau magasin Spyliopoulos, au 25 rue Colbert, ou par des chinois comme Teng –Keng ou Laou Pio installé d’abord près du Grand Marché puis, en face, à l’emplacement que le commerce occupe encore. Puis, les commerces se spécialisèrent davantage. Dans les années 25 on trouvait dans la rue Colbert des cinémas : le Cinéma Colbert, appartenant à M.Pomo, et qui donnait des films d’aventure à épisodes ; le Cinéma et Hôtel du Japon, installé entre la rue Colbert et le Bd Bazeilles (en face de l’actuel Grand Hôtel) et qui appartenait au japonais Akazaki. La maison Ravaoarisoa, « Aux doigts de fée » qui existe toujours en face de l’Hôtel Colbert, vendait déjà des objets d’artisanat venus de Tananarive : dentelles, rabannes etc…On trouvait également un peu de tout au Bazar Bigaraille ou Au Bon goût Bourbonnais, fondé en 1912 et qui proposait des fournitures générales pour modes et coiffeurs près du Comptoir National d’Escompte. Parmi les négociants travaillant dans l’import-export on trouvait la maison Théry installée près de Suliman Amode et Ibrahim Chopra qui avait construit un des plus beaux immeubles de la rue Colbert. De ces commerces du temps passé, il en reste très peu : la maison Laou Pio, Cassam Chenaî, peut-être quelques autres…
Mais l’ambiance de la rue Colbert où l’on allait flâner et s’amuser est certainement restée, au dela des bâtiments qui ont rythmés son histoire. Elle demeure une rue mythique pour marins nostalgiques et voyageurs en quête d’exotisme...
Suzanne Reutt (ass Ambre)
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