Par Alphonse Mortages, 1924
Cet article, paru dans la Gazette du Nord du 25 juillet 1924 a été écrit par Alphonse Mortages, le célèbre bâtisseur de l'Hôtel des Mines, personnalité mythique et chaleureuse du Diego Suarez d'il y a 100 ans dont nous raconterons la vie aventureuse -digne d'un roman ou d'un film- dans un article à venir. ■ S.Reutt
Aux note fournies par Monsieur l'Administrateur Adjoint Mérignant, sur les sites pittoresques, excursions, chasses, pêches, etc. de la région nord de l'île, Province de Diego Suarez, il y a lieu de signaler en premier lieu, comme la fait succinctement remarquer Monsieur Claude Administrateur du District d'Ambilobé, l'a région d'Ambondrofé, région formée de calcaires et où prend naissance ce que l'on a appelé « La muraille de l'ANKAR ».
C'est certainement la curiosité naturelle la plus remarquable de Madagascar. Tout le contrefort de la Montagne d'Ambre dans la région d'Ambondrofé ainsi que le mur de l'Ankar renferment des grottes très intéressantes, fort jolies et qu'on ne se lasse d'admirer. Elles sont très peu connues encore et quelques privilégiés ont pu visiter les plus faciles à explorer. La grotte la plus visitée à ce jour, est celle qui se trouve entre Antsambalay et Ambatorano, très peu distante de ces deux villages. Cette grotte est immense et peu être parcourue en filanjanna. Jadis avant la conquête elle servait de refuge aux Antakaras, lorsque ces derniers fuyaient devant les razzias faites par le Gouvernement Hova. Des barricades en pierre y ont été érigées dans l'intérieur, dans le but de s'y défendre ; ces barricades sont assez éloignées les unes des autres, permettant à ceux qui occupaient la grotte de retarder l'avance des assaillants. Je l'ai visité pour la première fois au mois d'Octobre 1912, ce mois étant le plus propice pour les excursions, la saison sèche battant son plein. La caravane se composait de plusieurs personnes européennes. Nous fûmes conduits par les hommes de l'ex-roi Tsialana qui connaissent admirablement ces lieux, et qui débarrassèrent avant notre arrivée les abords de la grotte, de tous les arbustes et de ce désagréable poil à gratter qui pousse admirablement dans cette région. Nous visitâmes la grotte de huit heures du matin à midi et demi. L'entrée est assez difficile et il nous fallait ramper pour y accéder. Après un parcours dont je ne puis indiquer la longueur, la caravane vint buter contre une muraille à gauche. A notre droite un immense vide, dont nous ne pûmes apprécier la profondeur, ni l'immensité, s'ouvrait à nos pieds ; une voûte immense s'élevait au dessus de cet abîme et malgré l'éclairage de torches faites en latanier sec, et l'éclairage au magnésium, nous ne pûmes distinguer que des stalactites énormes ayant la forme de pieuvres suspendues aux voûtes, sans pouvoir estimer l'immensité du gouffre. Nous restâmes quelques instant pour contempler ce troublant et saisissant spectacle ! Après cet arrêt nous passâmes sous la muraille par une ouverture très basse, toujours en rampant. Il doit y avoir d'autres issues plus spacieuses, puisque les Antakaras y faisaient leurs troupeaux !
De l'autre côté de l'ouverture, nous pûmes utiliser de nouveau nos filanjanas et, après un assez long parcours, nous sortîmes à ciel ouvert pour éviter une barricade très dure à grimper, pour redescendre à nouveau et s'enfoncer dans la grotte une dernière fois. Après un nouveau trajet, on arrive enfin à l'extrémité Ouest. Là, on sort de la caverne par une fissure en forme de triangle de la grandeur d'une vaste fenêtre. Un immense cirque à ciel ouvert 's'ouvre à nos pieds et, c'est dans ce cirque que le bétail était conduit pour échapper aux razzias. L'accès de cette immense cuvette est très difficultueux par suite des forts peuplements de bambous, d'arbustes, de lianes de la flore madécasse et aussi des éboulements calcaires qui se sont produits à cet endroit. Une jolie petite rivière à l'eau limpide et claire coule au milieu du cirque. La muraille, à la sortie de la grotte pour accéder au cirque, forme une falaise à pic. Il doit être impossible d'atteindre le sommet du mur de l'Ankar à n'importe quel point où on voudrait tenter l'ascension, par suite de l'érosion de la formation calcaire. Par suite des pluies il s'est formé dans ce calcaire des aiguilles tellement fine et acérées que la marche y est impraticable. Après la visite du cirque, la caravane revint sur ses pas, sortit de la grotte et se réconforta par un excellent déjeuner servi sous une immense marquise naturelle, qui mettait tout le monde hors d'atteinte des rayons du soleil.
Après le déjeuner quelques excursionnistes firent la sieste, mais d'autres plus curieux continuèrent l'exploration. A quelques pas de notre salle à manger, ils découvrirent une grande entrée de la grandeur d'un portail d'église, mais presque complètement murée, par un énorme tas de pierres avec un seul orifice en haut, suffisant cependant pour y passer. Les traitants de caoutchouc de la région, Antaimoros, Antakaras, avaient déjà visité ces lieux, car nous trouvâmes un amas de lianes sèches dont on avait extrait le latex et des bambous fendus en deux qui avaient servis à la recueillir.
Deux d'entre nous pénétrèrent par l'orifice du sommet et munis d'une lampe acétylène suivirent le boyau de cette nouvelle grotte. Après un cours trajet, ils se trouvèrent près de l'abîme dont je parle plus haut et comme il était un peu tard et que nous ne voulions pas être surpris par la nuit, nous repartîmes sans avoir pu nous rendre compte où pouvait conduire cette entrée. La caravane se dirigea sur Ambatorano pour y passer la nuit, et nous fûmes admirablement reçus par l'ex-roi sialana qui nous offrit une hospitalité charmante.
Le lendemain nous visitâmes l'entrée de la muraille de l'Ankar de la rivière Mananjeba. On y entre en filanjana, les porteurs ayant tantôt de l'eau jusqu'à la cheville parfois jusqu'à mi-jambe. Je ne vous conseillerai pas d'y aller tout seul car c'est un fameux repaire de caïmans. Les porteurs de filanjana les effrayaient en poussant des cris et ces reptiles aquatiques fuyaient de toute part faisant même tomber mon équipe bourjanes. Ce n'est pas la légende comme le lecteur pourrait supposer ; il y a plusieurs témoins qui ont vu la chose et cette équipée ne fût pas la moins drôle de cette excursion. Après un parcours de cent mètres environ, sous une voûte au plafond lisse, on arrive à une ouverture à ciel ouvert d'une trentaine de mètres de diamètre. on voit de très beaux stalactites à la falaise du côté est. La rivière se répand dans tout le cirque alimentant son cours, les trou où se réfugient les caïmans, puis s'enfonce dans la falaise ouest pour déboucher à nouveau sous cette falaise et se répandre dans la plaine. Après avoir pris quelques photos nous ressortîmes pour aller visiter le débouché de la rivière à la sortie de montagne.
Ici la falaise est à pic, tranchante, garnie d'arbustes rabougris. A sa sortie la rivière forme un gouffre immense et l'eau sort de la montagne comme une source. La quantité de caïmans à cet endroit est inimaginable et un bon tireur n'a que l'embarras du choix pour tirer sa victime. Avec un peu de patience, il peut tirer à bout portant celle qu'il aura choisie. La rivière déborde du gouffre et on suit son cours jusqu'à la mer à ciel ouvert avec un très léger courant. Tous ces parages sont très giboyeux et les disciples de Saint-Hubert ont le choix entre le sanglier, le canard à bosse, le col vert, la sarcelle, toutes les variétés de gibier d'eau de nos régions, le ramier, le pigeon vert, bleu, etc, etc.. La sortie de la rivière Mananjeba, fût le point terminus de cette première excursion.
Un an après, un employé de la Société des Mines d'Or de l'Andavakoera, Monsieur Herpe, Chef du poste d'Andranofotsy, vint nous signaler qu'il avait découvert une grotte à l'extrémité Sud-Ouest de l'Ankara. On décida son exploration. Pour y arriver, on suivit un sentier de chèvres à travers la montagne.
L'entrée est large et haute et pour y entrer on franchit un arroyo. J'en crois l'accès praticable en toute saison, cette grotte n'étant pas un ancien lit de rivière. Ici, la caverne est divisée en deux parties. La première partie forme un grand vestibule, d'aspect très joli et très clair et, au fond, se trouve une entrée assez vaste, communiquant avec une deuxième grotte mais complètement obscure. Les deux grottes servaient de refuge à des milliers et des milliers de fannies (roussettes). Le sol est recouvert d'une couche épaisse de guano provenant des déchets de ces mammifères ailés, ce qui donne l'impression, en arpentant la grotte, de marcher sur un parquet caoutchouté. Notre entrée dans la deuxième partie de la grotte mit la révolution parmi ces volatiles nocturnes. Deux feux de Bengale, allumés aussitôt, mirent le comble à leur affolement. Se détachant de la voûte, elles volèrent dans tous les sens, se jetant sur nous, éteignant les bougies, nous empêchant d'allumer d'autres feux de Bengale à cause du vent produit par leurs ailes, nous forçant à quitter la place. La voûte de cette grotte est assez élevée dans le fond; les stalactites tombant sur les stalagmites ont formé un amoncellement touchant la voûte et en grimpant sur ces éboulements on pourrait l'atteindre, ces éboulements formant un plan incliné.
Avant de quitter la place, un de nous resta dans la grotte, continuant comme il pouvait à allumer des feux de Bengale; les porteurs se postèrent à la sortie avec des bâtons et bien qu'il fut midi environ, les fannies se précipitaient vers l'issue. Ce fut une hécatombe extraordinaire. Cinq cent quatre-vingt-huit fannies restèrent sur le carreau. Ce jour-là, les porteurs de filanjanas ne demandèrent pas l'omby maty [Omby maty : viande de boeuf.] , mais ils mangèrent les cinq cent quatre-vingt-huit fannies!
Vers le 90ème kilomètre de la route des placers et à gauche en allant vers le village qui porte ce nom, la rivière d'Ambondrofé sort de dessous la grande masse calcaire qui s'étend aux contreforts de l'Andrafiamona, signal géodésique de premier ordre. Je pris la résolution d'explorer cette rivière souterraine.
J'eus la bonne fortune de trouver une équipe d'Antaimoros qui se rendaient à Diégo et qui restèrent vingt-quatre heures avec moi. Cette région était désignée sous le nom de zone désertique. Un poste militaire était établi au village et comprenait vingt-cinq tirailleurs sous le commandement d'un Sergent.
L'accès de la grotte était un peu difficile, la rivière à sa sortie formant un gouffre et les parois de l'entrée étant à pic. Il fallut un radeau que je fis construire avec un baobab pouvant supporter trois hommes; on fit quatre voyages pour passer de l'autre côté du gouffre, ayant pris la précaution de se munir d'un puissant phare acétylène avec son générateur, un paquet de bougies et des allumettes, précaution qui nous fut utile. Dès que nous fûmes de l'autre côté, j'allumai le phare. Le cours de la rivière était Est-Ouest. L'entrée de la grotte était d'environ sept mètres de largeur et cinq de hauteur, avec très peu de stalactites, d'ailleurs grisâtres. Après avoir parcouru une soixantaine de mètres, tantôt à pied sec, tantôt dans l'eau, je fus arrêté par un gouffre au milieu duquel émergait un rocher. Je me fis transporter le radeau, traversai l'espace qui me séparait du rocher et m'y installai. Avec l'aide du phare, je m'aperçus que la rivière faisait un coude presque à angle droit, son cours passant direction Nord-Sud. Avant de m'engager plus loin, je fis monter deux hommes sur le radeau et les envoyai en exploration, dirigeant dans leur direction le faisceau lumineux du phare. Après avoir parcouru une trentaine de mètres, ils me crièrent que la rivière tournait encore brusquement pour reprendre son cours Est-Ouest. Tenant à m'en rendre compte moi-même, je les rappelai pour venir me prendre. Malheureusement, en embarquant sur le radeau qui était trop petit pour nous porter à trois, le radeau chavira et nous voilà tous en train de patauger dans le gouffre. Nous en sortîmes presque aussi vite que nous y avions été précipités. La crainte d'être happés par un caïman nous avait fait nager en vitesse. Après ce bain forcé, deux hommes repêchèrent le radeau pour nous permettre de sortir de la grotte, abandonnant au fond du gouffre le phare et le générateur. C'est alors que les bougies nous furent d'un grand secours pour la sortie. Le gibier, surtout la pintade, les pigeons, la caille, sont en abondance dans ces endroits, peu de gibier d'eau.
A droite du village d'Ambondrofé, en allant sur Ambilobe et à environ cinq cents mètres, il y a une petite grotte assez jolie. L'intérieur est garni de quelques niches naturelles qui rappellent les petites niches de certains villages français, et que l'on rencontre parfois aux carrefours. L'accès en est très facile. Du kilomètre 86 au 110 on voit tout le long de la route, à droite et à gauche, des excavations en forme d'entonnoirs. J'en avais remarqué de plus importantes lorsque je sillonnais ces parages en filanjana. L'eau de pluie s'y engouffre pour aller se perdre on ne sait où. La route traverse trois fois la Betsabona, qui, deuxièmement, prend le nom de Andranoako, et, troisièmement celui d'Ambodimaro. Puis l'Ankiriky. Presque tous les cours d'eau se déversent en plaine après avoir passé sous les falaises de calcaire. Le nombre de grottes dans ces formations calcaires et à la muraille de l'Ankara doit être considérable. Il n'est pas douteux qu'on en découvrira tôt ou tard de plus importantes que celles connues à ce jour.
Et, enfin, voici Joffreville, situé à sept cents mètres d'altitude et à trente-deux kilomètres de Diégo-Suarez. Comme son nom l'indique, il lui a été donné pour perpétuer le souvenir du Maréchal Joffre. A l'époque où il marqua son passage à Diégo-Suarez d'une si forte empreinte, celui qui n'était pas encore le vainqueur de la Marne, et qui avait fait l'admiration et eut la sympathie de tous, était appelé par nous comme par ses poilus plus tard: «Papa Joffre».
Joffreville est une des plus belles stations, un des plus admirables points de vue de Madagascar par son altitude et son climat délicieux, et peut rivaliser sous le rapport de station climatique avec n'importe quel point de la région des Hauts Plateaux. Malheureusement, ce site unique de la Grande Ile se trouve dans une province que l'on appelle excentrique dans les milieux administratifs. Il paraît qu'en haut lieu (sans l'affirmer) on dénomme excentriques certaines provinces de la Côte, mais plus particulièrement Diégo-Suarez.
De Joffreville, on aperçoit le canal du Mozambique, l'Océan Indien; on domine toute la baie si remarquable de Diégo-Suarez et ses environs: Windsor et Douvers Castle, La Montagne des Français, Le Pain de Sucre, Les Aigrettes, tous ces points se détachant en relief d'un effet magique. Une route va bientôt conduire le touriste aux deux sauts de la rivière des Makis, dont un forme une belle cascade de soixante-dix mètres de chute. L'ancienne route qui est en réfection permettra sous peu aux automobiles d'aller jusqu'au petit et au grand Lac qui sont d'anciens cratères situés en pleine forêt.
Aux environs de Diégo, on peut visiter des usines très importantes: l'Usine à conserves d'Antongombato, celle de la S.C.A.M.A., l'usine Jeanson, pour fécules et tapioca, et les importantes Salines de Diégo-Suarez au fond du cul-de-sac Gallois.