1885: Les hostilités entre Merina et Français entraînent l'occupation de Diego Suarez par la France. Le 17 décembre 1885, un traité est signé entre le gouvernement hova et le gouvernement de la République française qui obtient le droit « d'occuper la baie de Diego Suarez et d'y faire des installations à sa convenance ».
Mais, depuis le début de l'année, l'occupation était effective: dès le 15 février 1885, le navire "La Creuse" avait planté le drapeau français dans la baie et des escarmouches avaient opposé les français aux troupes merina retranchées dans le fort d'Ambohimarina, dans la montagne des français.
Le contre-amiral Miot écrivait au Ministre de la Marine: « Je n'ai pas jugé bon d'envoyer des troupes à Diego Suarez pour le moment...Néanmoins, la rade est occupée ».
Le 14 mars, dans un autre courrier, évoquant l'attaque éventuelle du fort d'Ambohimarina, il précisait: « Un bombardement méthodique, fait de la baie d'Amboudivahibe, forcerait l'évacuation... mais c'est une opération que je ne pourrai tenter que vers le mois de mai... Jusque là, et quand même, nous pouvons commencer nos établissements à Diego Suarez ». Et il voit les choses en grand: « Nous pouvons déjà, sans danger, avec sécurité, commencer à y accumuler... vivres, charbon, rechanges, ateliers, tout ce qui peut être nécessaire pour ravitailler notre station de la mer des Indes ».
Et, alors que Diego Suarez n'appartient toujours pas officiellement à la France, il envisage ce que sera le port de guerre : « Le port de la Nièvre...peut facilement, et à l'aise, contenir au moins six cuirassés ».
A la fin de l'année, la cession du territoire de Diego Suarez à la France va permettre de réaliser les rêves de la marine française. Les choses ne vont cependant pas aller très vite.
Du rêve à la réalité
Conviction ou propagande, l'emplacement de Diégo va provoquer une surenchère de qualificatifs élogieux pour évoquer le site et les possibilités qu'il offre.
Déjà - nous l'avons vu - 20 ans auparavant, le Dr Gunst affirmait que le port de Diego Suarez surpassait le « fameux port de Sydney » et que « là, il y a mouillage pour tous les navires du monde, de toutes les dimensions ».
En 1885,le député réunionnais François de Mahy - qui fut, il est vrai, un des plus fervents partisans de la colonisation de Madagascar- reprend à son compte les superlatifs: « Diego Suarez est au point de vue militaire, le lieu le plus propre à former un grand établissement naval. C'est mieux que Sydney, mieux que Rio de Janeiro, mieux que Sébastopol, mieux que Brest, Lorient, Rochefort, Cherbourg ou Toulon. C'est une réunion de cinq rades magnifiques et de ports naturels qui auraient pu être rêvés par le génie d'un Richelieu, d'un Colbert, d'un Napoléon Ier ».
Malheureusement, Richelieu et Napoléon Ier n'étaient plus là pour veiller au développement du port et, pendant plusieurs années, la réalité ne fut pas à la hauteur du rêve...
Où construire le port ?
La lecture des Instructions nautiques de 1885 ne laisse aucun doute sur l'état d'avancement des installations: « Le meilleur mouillage pour les bâtiments qui veulent faire un séjour prolongé est au village d'Antsirana dans le port de la Nièvre. Là on mouille aussi près de terre qu'on le veut; on peut s'amarrer aux arbres »...!!!
On apprend cependant qu'« un appontement a été construit devant ce village ». Mais l'appontement est une misérable passerelle de planches comme on peut le voir sur les dessins de l'époque.
Le Médecin-major de la Dordogne, le Dr Bonain, témoigne qu'en 1886 rien ou presque n'est fait dans le port de la Nièvre: d'après lui, seules quelques installations existent déjà à Cap Diégo: « C'est à l'extrémité de cette presqu'île que se trouve le Cap Diégo formant dans la baie de la Nièvre une sorte de petit port naturel parfaitement abrité...Un dépôt de charbon a été crée en ce point; sous peu, les vastes hangars élevés sur la plage seront terminés et reliés par un chemin de fer Decauville à des appontements que pourront accoster les grands navires ».
Mais de port là où nous le connaissons, il n'en est pas encore question: évoquant le petit village d'Antsirana en train de se transformer en ville, Bonain le décrit « situé sur une plage basse et de médiocre étendue ». Cette plage où, d'après les Instructions nautiques on peut s'amarrer aux arbres!
En fait, l'emplacement du port n'est pas encore déterminé: pour l'instant, les militaires débarquent à Cap Diégo, les boutres à Orangea et la notice officielle sur le Territoire de Diego Suarez évoque même la possibilité d'utiliser la Baie de Rigny « accessible aux bateaux de fort tonnage » et qui servait de port aux merina du fort d'Ambohimarina.
Un embryon de port
Cependant, le développement de la petite ville d'Antsirane, plus ouverte que Cap Diégo vers l'arrière -pays et les produits qui en arrivaient, constituait , pour les navires de commerce et les boutres qui faisaient du cabotage, un mouillage plus pratique que Cap Diégo.
Mais les installations restèrent très rudimentaires jusqu'en 1896.
Dès l'occupation française l'armée avait construit un pont débarcadère en bois , cédé en 1888 à l'administration. Mais les passagers n'avaient pas le droit de l'emprunter, ce qui occasionnait un solide mécontentement chez les nouveaux arrivants. En effet, les passagers au débarquement prenaient place dans des canots, puis, à proximité de la côte, les « dockers » du port les chargeaient à califourchon sur leurs épaules pour les amener au rivage.
La Compagnie des Messageries Maritimes avait également construit un appontement de 60m mais il était réservé à la grue qui débarquait les marchandises. Aussi, d'après le scientifique Kergovatz, qui fit une mission à Diego Suarez en 1892 : « A l'arrivée de chaque paquebot la plupart des passagers débarquent de mauvaise humeur, à cause des bains de pieds involontaires que leur font prendre leurs porteurs inexpérimentés ».
Plus chanceuse, C.Vray, femme d'officier, a pu prendre place dans une chaloupe de l'armée. Dans son livre Mes campagnes, elle nous donne ce récit de son arrivée: « Nous commençons par avoir mille peines à aborder car, bien entendu, il n'y a ni quai, ni jetée, ni embarcadère; un très petit appontement sert aux embarcations, mais le cyclone ayant démoli les premières marches de l'escalier, elles sont restées là, comme un récif, et empêchant les embarcations d'accoster ».
Si l'arrivée à Diego Suarez était périlleuse pour les voyageurs, elle l'était encore plus pour les navires. En effet, il fallut attendre 1894 pour qu'un programme d'éclairage du port soit initié.
En 1893, le voyageur Chabaud évoque dans ses Impressions de voyage à Diego Suarez, les problèmes de navigation que connaissent les navires: « on n'y a encore construit aucun phare pour la signaler (la côte -ndlr). Ainsi, les navires ne peuvent-ils franchir les passes que pendant le jour: à partir du coucher du soleil, l'accès de la baie leur est interdit.
Il en résulte de graves embarras pour la navigation. Les bâtiments à vapeur, qui se présentent devant l'entrée à une heure trop tardive, sont obligés de se maintenir sous pression durant toute la nuit, en attendant que le soleil reparaisse. C'est pour eux une perte considérable de temps et d'argent, sans compter les périls auxquels les expose le voisinage de la côte.
Quant aux bâtiments à voile, ils sont encore plus mal partagés. S'ils arrivent à hauteur de la passe après la chute du jour, ils doivent courir des bordées jusqu'au lendemain; mais pour peu que les vents et les courants soient contraires, ils risquent d'être entraînés au large et de ne plus pouvoir regagner l'entrée. Aussi, les voiliers refusent-ils souvent d'accepter du fret à destination de Diego Suarez, tant ils sont peu sûrs d'y aborder ».
Et oui, ce port en train de naître, que l'on soit capitaine ou passager, il fallait le mériter...
Ce n'est qu'à partir de 1895, et plus encore de 1900 quand Diego Suarez devint « Point d'Appui de la flotte » que le port d'Antsirane commença à ressembler à ce que l'on avait rêvé.
■ S. Reutt - Ass. Ambre
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