La recherche de richesses minières a souvent été, à Madagascar comme ailleurs, un des objectifs de la colonisation. L'or, bien sûr, le fer parfois, mais aussi, au moment de l'essor de la locomotion à vapeur ( bateaux, trains...), la recherche des gisements de houille. Madagascar, dont la France (et l'Angleterre...) rêvaient de faire une base de leur marine, aurait été l'Eldorado si les bateaux avaient pu venir s'y ravitailler en charbon.
En effet, pendant longtemps, les compagnies maritimes durent installer, sur leurs routes maritimes, des dépôts de charbon capables d'offrir, à leurs vaisseaux, un large rayon d'action.
Cette nécessité est encore fortement soulignée, à la fin du XIXème siècle, lorsqu'il est question de faire de Diégo-Suarez le « Point d'Appui de la flotte de l'Océan Indien » : « La quantité de charbon transportée par les navires de guerre fixe la distance au-delà de laquelle il leur est interdit de s'éloigner de leurs dépôts, à moins de se faire accompagner exceptionnellement par des bateaux charbonniers, chargés de les ravitailler en pleine mer ».
On voit par là l'intérêt qu'il y avait à trouver du charbon sur place!
Mais l'exploitation du sous-sol resta longtemps interdite à Madagascar. En effet, la terre appartenait à la Reine et, jusqu'à l'annexion de Madagascar, il était interdit aux étrangers de se livrer à des recherches minières.
Cependant, en 1855 le Prince Rakoto, fils unique de la Reine Ranavalona Ière accorde au commerçant Lambert le droit d'exploiter les minerais , les forêts et les terres inoccupées de Madagascar sous réserve d'une indemnité de 10% à reverser à la royauté. C'est ce que l'on a appelé la Charte Lambert.
Lambert et la Charte Lambert
Personnage haut en couleurs que ce François-Joseph Lambert. Né en Bretagne, installé à Maurice, il est propriétaire d'un bateau avec lequel il fait commerce de bétail et d'« engagés volontaires ». Reçu à la cour de la reine Ranavalona -en remerciement pour avoir ravitaillé la garnison merina de Fort-Dauphin- il se lie d'amitié avec le Prince Rakoto, fils unique de la Reine.
Le jeune homme accorde alors à son ami français, le 28 juin 1855, le droit exclusif d'exploiter le sol et le sous-sol des terres inoccupées en échange d'une redevance de 10%.
Soucieux de hâter l'accession au pouvoir du Prince Rakoto, Lambert participera à une tentative de coup d'état qui, déjouée, lui vaudra d'être banni.
A la mort de Ranavalona Ière, le Prince Rakoto, devenu roi sous le nom de Radama II, confirme, le 9 novembre 1861 ce que l'on appellera « la charte Lambert » qui concède à ce dernier « l'exploitation des mines, des forêts et des terrains de Madagascar ».
Privilèges exorbitants qui paraîtront proprement sacrilèges aux Merina et qui seront une des causes principales de l'assassinat de Radama le 12 mai 1863.
Lambert finira sa vie dans l'île de Moheli où il est enterré.
La tragique aventure du consul d'Arvoy
Lambert constitua d'abord , en 1856, une société à Maurice pour assurer la recherche du charbon à Madagascar.
En fait, les travaux de prospection se concentrèrent presqu'exclusivement sur la recherche de charbon dans le nord de Madagascar, et principalement dans la baie que les malgaches nomment Ambavatoby et les français de l'époque Bavatobe. On l'appellera la baie des Russes après la guerre russo-japonaise pendant laquelle la France accueillit la flotte russe à Nosy-Be.
Elle se situe au sud-ouest de Nosy-Be, sur la Grande Terre, à 25km de Nosy-be, en territoire Antankarana.
La société créée par Lambert choisit le consul de France à Maurice, d'Arvoy, pour diriger l'exploitation des mines de charbon potentielles de Bavatobe.
Le pauvre homme aurait mieux fait de rester dans la diplomatie... Ecoutons Paul Locamus qui a reçu le témoignage de la fille de M.D'Arvoy:
« M.D'Arvoy s'établit sur le port de Bavatobe, dans la partie orientale de la baie de ce nom, entre le village Madirokely et Ampasimena, siège actuel de la Reine Binao.
J'ai retrouvé les traces de cette première exploitation, à flanc de coteau, de même que la galerie en partie effondrée qui avait été ouverte par les travailleurs de M.d'Arvoy à flanc de falaise sur un gisement qui paraît absolument horizontal et sur le bord même de la mer.
La recherche des mines était interdite par la législation hova, sous peine de mort; le mandataire de la société minière fut assassiné le 19 décembre 1856, avec tous ses contremaîtres européens; l'établissement fut mis au pillage et 97 travailleurs indigènes, échappés au massacre, furent réduits en esclavage. Le fils et la fille de M.d'Arvoy échappèrent miraculeusement à la mort ».
La Compagnie de Madagascar
A la mort de la Reine Ranavalona, le prince Rakoto devient roi sous le nom de Radama II. Très favorable aux étrangers, ils les convie à mettre son pays en valeur.
Le 9 novembre 1861, Lambert, qui avait été fait « Duc d'Emyrne » (L'Emyrne étant l'Imerina, partie centrale des hauts-plateaux de Madagascar), reçoit confirmation de la charte de concessions qu'il avait obtenue en 1855. Il est par ailleurs chargé d'aller en Europe pour constituer une Compagnie destinée à procurer au Gouvernement malgache les revenus destinés à remplacer les droits de douane que Radama avait (provisoirement) supprimés.
Les droits de la Charte Lambert fut alors, dès le 8 mai 1862 transférés à la « Compagnie de Madagascar foncière, industrielle et commerciale », dont le gouverneur, nommé par l'empereur Napoléon III, était le baron Deysbassins de Richemont, sénateur de La Réunion. Cette Compagnie, reconnue par décret impérial du 2 mai 1863, fut constituée avec l'important capital initial de cinquante millions de francs. Les plus gros établissements financiers français de l'époque faisaient partie des souscripteurs. D'après Locamus « le capital de la compagnie était illimité et en mesure de poursuivre tous les développements utiles ou profitables ».
La Compagnie de Madagascar envoya rapidement une mission composée de 16 personnes « chargées d'explorer et d'étudier aux divers points de vue le Nord-Est, le Nord-Ouest, ainsi que le Centre de l'Ile, parmi lesquelles nous citerons MM.Coignet et Guillemin, ingénieurs des Mines, Gunst, minéralogiste, Charnay, photographe et Guérin, sériciculteur » (Grandidier)
Cette mission arriva à Maurice le 30 juin...pour y apprendre la mort de Radama ce qui, toujours selon Grandidier fit « avorter leur entreprise ».
Un des principaux objectifs de la Compagnie était la découverte de gisements de houille à Madagascar, susceptibles d'assurer à la France la domination des mers. Il s'agissait donc de reprendre les recherches entreprises par M.d'Arvoy. Cependant, le nouveau gouvernement refusant de reconnaître la Charte Lambert, le gouverneur de La Réunion annonça aux membres de la Mission qu'il leur serait impossible de se livrer à leur recherches.
Dans les Documents sur la Compagnie de Madagascar le baron de Richemond, gouverneur de la compagnie évoque la brève histoire de celle-ci: « En présence de cette situation, le Gouvernement impérial invita la Compagnie à abandonner son œuvre, s'engageant à la faire indemniser par les Malgaches des dépenses qu'elle avait faites. Cette indemnité ayant été payée au mois de janvier 1866, l'Assemblée générale des actionnaires prononça la dissolution de la Société le 26 mars suivant.
Ainsi, la Compagnie n'a subsisté qu'un peu moins de trois ans »
Le bassin houiller de Bavatobe
Cependant, d'après Locamus, « M.Guillemin estima qu'il lui était possible de remplir, au moins partiellement, le mandat qui lui avait été confié, malgré la présence des troupes hovas qui occupaient le fortin de Noratsangana, à la base de la presqu'île. M.Guillemin fut seulement mis dans l'obligation de borner son exploration et ses travaux de recherche au littoral de la vaste baie de Bavatobe et à un certain nombre de points voisins de la côte, sous la protection des canons du Surcouf ».(Le navire de guerre mis à la disposition de la mission).
Guillemin eut donc la possibilité de faire les recherches nécessaires sur le bassin houiller.
Dans son rapport, publié par le baron de Richemond, l'ingénieur Guillemin semble plus qu'optimiste sur la valeur du bassin houiller de Bavatobe. Il insiste d'abord sur sa taille: « Le bassin houiller de la côte Nord-Ouest s'étend depuis le cap Saint-Sébastien, situé par 12°26 de latitude Sud, et sur toute la côte au sud où il continue sans interruption, les rivages des baies qui se succèdent jusqu'à Port-Radama...», c'est à dire, d'après lui, sur 180km! Et il ne s'agit encore que de « la partie explorée du bassin; son prolongement vers le Sud, prolongement encore considérable, n'a pas été déterminé.
Dans l'intérieur des terres, le terrain houiller occupe à peu près la profondeur qui s'étend jusqu'au pied de la chaîne granitique centrale qui forme l'axe de Madagascar...»
Énorme étendue donc, mais il ne s'agit que de la partie émergée de l'iceberg car, selon Guillemin, le bassin houiller s'étend encore...sous la mer!
« Le terrain houiller s'étend encore en prolongement vers l'Ouest, sous la région maritime des baies et des îles. Son existence sous-marine est mise en évidence par un grand soulèvement basaltique qui en a ramené au jour des lambeaux sur l'île de Nossi-Be et sur les îles voisines ».
Ainsi, tel que le présentait l'ingénieur Guillemin, le bassin houiller virtuel de Bavatobe, long de 180km et large de 40km (sans compter ses étendues marines!) était plus important que les bassins de France et de Belgique réunis!
Un rêve qui, s'il se réalisait, assurerait à la France la domination des mers...S'il se réalisait...
Nous verrons dans le prochain numéro ce qu'il advint de ces rêves fous...
■ S.Reutt
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