Nous avons vu, dans l'article précédent, que la Compagnie de Madagascar à qui l'on avait octroyé, par la Charte Lambert, des avantages exorbitants, n'avait pas totalement renoncé à trouver du charbon à Bavatobe malgré le refus du nouveau gouvernement de confirmer ces concessions
L'ingénieur Guillemin, assuré de la protection des canons du Surcouf, entama donc ses recherches afin de répondre aux attentes très nettes formulées par le Baron de Richemont, gouverneur de la Compagnie de Madagascar : « Nous voulons savoir ce que la portion que vous êtes chargé d'explorer, renferme de richesses minéralogiques » (Lettre du 17 mai 1863).
Les premiers résultats
Comme nous l'avons vu dans le dernier numéro de La Tribune de Diégo, le premier rapport de l'ingénieur Guillemin était de nature à faire rêver ses commanditaires, puisqu'il annonçait, à première vue, un bassin houiller de 180km de long sur 40 km de large soit, d'après lui, 3 fois plus grand que le bassin houiller français ! Il fallait maintenant s'assurer de la richesse du minerai trouvé. Dans son rapport, Guillemin annonce : « Cinq affleurements de houille y ont été trouvés. La qualité de ces houilles offre à peu près toutes les variétés: houille sèche, houille grasse et houille à gaz » (rapportGuillemin).
Il y en avait pour tous les goûts.
Les premières vérifications sur la valeur du charbon découvert furent faites de façon pragmatique: « Sur 400 kilogrammes retirés du plus considérable de ces affleurements, un essai a été fait. On a brûlé 250 kilogrammes de «tout venant» sous la chaudière distillatoire de l'aviso de l'Etat, le Surcouf; et quoique ce charbon fût éventé par l'action séculaire des agents atmosphériques ; qu'il fût mélangé des débris des roches voisines et qu'il fût décomposé par la puissante végétation de ses racines, il a vaporisé les 4/10è de l'eau qu'aurait vaporisé le même poids de «bonne houille anglaise».
Cependant, ses commanditaires voulaient des informations plus précises, comme en témoignent les consignes détaillées qui lui avaient été données: « ce qui est d'un prix extrême, c'est d'éviter la confusion entre les nombreux échantillons que vous rapporterez. De petits sacs en toile forte et auxquels on a cousu une ficelle pour les attacher, doivent vous permettre d'échapper à toute confusion » (Baron de Richemont).
L'ingénieur Guillemin envoya donc ses échantillons à Paris. Voir l'encadré n°1 qui présente les résultats de l'analyse tels qu'ils apparaissent dans les rapports à la Compagnie de Madagascar.
Le rapport de l'ingénieur Guillemin exprime son enthousiasme devant ses découvertes, autant pour la valeur (supposée puisqu'aucun forage n'y a été fait!) du gisement que pour les perspectives qu'il offre. En effet, d'après son rapport, « On a pu reconnaître au Sud et à l'Ouest de Nossi-Be, dans les baies de Passandava et de Bévatoubé, la composition de la stratification sur une épaisseur de terrain de 600m ».
Et il ne craint pas de voir encore plus large: « Tous ces indices donnent la certitude de trouver dans d'autres localités plus éloignées des côtes, et dans des niveaux différents, des couches nombreuses et exploitables ».
Sa conclusion est totalement enthousiaste: « Tout est à noter et à retenir dans ce précieux résumé: importance exceptionnelle des gisements; qualité des houilles; facilité des voies d'accès et des baies pour les embarquements; main-d'œuvre nombreuse et à vil prix ».
Et, comme la laitière de la fable de La Fontaine, il se prend à calculer les revenus fabuleux de ce gisement d'exception en chiffrant « un état de la consommation probable de combustible aussitôt que les mines de Madagascar seront ouvertes et il est à souhaiter que ce soit bientôt ».
Comme on peut voir dans l'encadré n°2, Guillemin n'hésitait pas à vendre le charbon avant qu'il ne soit trouvé!
Sceptiques ou convaincus
Pendant près de cinquante ans, l'existence d'un bassin houiller ne fut pratiquement pas mise en doute.
Qu'on en juge:
Les renseignements nautiques sur Nossi-Be de 1850 notent que les deux baies de Passandava et d'Ambavatobe « tirent une grande importance du voisinage des mines de houille. On aurait relevé à Madagascar, dans cette région, un bassin houiller plus considérable que celui de la France ».
Dans Les richesses naturelles de l'île de Madagascar de L.Simonin, paru en 1862, on peut lire : « nous avons aussi reçu du docteur Milhet, qui le tenait du père Jouen,...un specimen de houille anthraciteuse provenant de Bavatou-Be, près de la baie de Passandava. ». Et il concluait, « après analyse, le pouvoir calorifique atteignait celui des bonnes houilles anglaises ».
D'autres textes reprennent ces affirmations, tellement tenues pour vrai, que l'on enseignait dans les écoles de France, en 1887 que « la baie de Passandava, commandée par l'île Nossi-Be est d'une grande importance par ses mines de charbon »!!! ( Géographie des colonies françaises - Cours spécial pour l'Enseignement primaire supérieur).
Et des dizaines d'autres textes évoquent également la fameuse « houille sèche, houille grasse et houille à gaz » de Bavatobe.
En fait, la plupart de ceux qui évoquaient ces fabuleux gisements n'avaient pas d'autre information que le rapport Guillemin, qu'ils reprenaient en boucle, et aucun n'avait vérifié les affirmations qu'il contenait en allant sur le terrain.
C'est ce qu'avoue honnêtement, et naïvement, Louis Lacaille qui reconnaît que « On a rencontré dans certaines régions du littoral, telles que Boueni , et à Bavatoube entre autres, des gisements de charbon de terre. Ce fait paraît hors de doute, bien que je ne l'aie pas constaté, n'étant pas allé dans le Nord-Ouest »
Fallait-il donc crier victoire?
Malgré le rapport enthousiaste de Guillemin, des années passèrent sans que de nouvelles prospections soient reprises .
M.Locamus, qui avait obtenu la concession d'immenses terrains sur la presqu'île de Bavatobe (qu'on désigne aussi sous les noms d'Ambavatoby, ou Anorotsangana, ou Passindava etc...) explique ce désintérêt par la situation politique confuse de Madagascar à cette époque, situation qui ne permit pas, selon lui, de continuer les recherches.
Les prospections furent cependant reprises, quelques années plus tard, à l'initiative du Premier Ministre Rainilaiarivony. A cette époque (1889) le gouvernement hova avait confié la direction officielle des travaux à un ingénieur français, M.Rigaud, qui envoya à Bavatobe l'ingénieur Guinard.
Celui-ci découvrit « un grand bassin houiller comprenant les deux étages, houiller proprement dit et permien ».
Mais, hélas, il dut admettre que ce bassin était « stérile comme houille »!...ce qui est gênant pour un bassin houiller.
Guinard explique cela par le faible couvert végétal que devaient avoir ces terrains soumis à une érosion importante et donc incapables « de fournir en quantité suffisante les éléments végétaux pour la formation des bancs de houille ».
Ces conclusions provoquèrent l'indignation de Locamus qui explique cette déconvenue par le fait que, d'après lui, les recherches furent faites de façon tout à fait superficielles: « Il ne fut fait aucun travail de sondage ; la mission se borna à analyser quelques échantillons prélevés à la surface. En lisant ce rapport, on constate que ce fut une prospection à la course comme s'il s'était agi de battre un record de vitesse ».
Locamus explique le manque de sérieux (selon lui) de ces recherches par le fait que le Premier Ministre, intéressé principalement par les mines d'or, n'avait pas accordé à Guinard le temps et les moyens nécessaires. En fait, Guinard était persuadé, au contraire de Locamus, que si le bassin houiller couvrait une vaste étendue, il n'existait pas de couche profonde pour les raisons indiquées plus haut.
Locamus ne se découragea pas pour autant.
(suite au prochain numéro)