Que ce soit pour la beauté de son site ou en raison de ce que le nom et l'histoire de Diego Suarez évoquent dans l'imaginaire de beaucoup, la ville a été abondamment immortalisée depuis sa création dans les gravures ou les photos.
Avant la photographie
Si la première photo connue, due à Nicephore Niepce, date de 1825, il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour que la photographie soit accessible au grand public à travers les journaux ou les cartes postales. En effet, en France, L'Illustration publiera pour la première fois une photographie en noir et blanc...en 1891!
En 1891, la petite ville d'Antsirane, qui a commencé à se développer à partir de 1885 n'a donc que 6 ans mais elle a déjà eu les honneurs de la Presse. Pas de photos, donc, mais des gravures et des lithographies exécutées à partir de dessins, qui feront connaître au monde cette terre lointaine où la France vient de s'installer. Quelquefois, plus rarement, les gravures publiées seront exécutées à partir d'une photographie: dans ce cas, le nom du graveur est indiqué mais pas celui du photographe! C'est le cas de la gravure représentant la ville basse illustrant l'article consacré à Diego Suarez par le botaniste Kergovatz en 1892. Ces gravures, souvent non signées, paraissent dans les journaux illustrés français comme L'Illustration, le Monde Illustré, le Journal des voyages ...ou d'autres. Il s'agit parfois de simples croquis et quelquefois de véritables tableaux. Les sujets représentés sont soit des paysages, soit des personnages, soit des scènes.
A partir de 1900: les éditeurs de cartes postales d'Antsirane
Les premières années du XXème siècle vont voir se développer à Diego Suarez une intense activité photographique; non pas chez les particuliers qui n'ont pas encore accès à un matériel qui reste coûteux mais à travers les cartes postales qui circulent d'autant plus que Diego Suarez est un territoire militaire, donc peuplé en majorité de soldats et de fonctionnaires éloignés de leur famille restée en France et avec laquelle ils communiqueront par ce seul moyen iconographique. Il y a donc un véritable marché dans lequel vont s'engouffrer des commerçants qui exerçaient d'autres activités. Qui sont ces commerçants devenus éditeurs de photographies?
Charifou Jeewa
Le plus anciennement installé est Charifou Jeewa: sur les photographies qu'il édite il annonce «Maison fondée en 1881« (quelquefois on peut lire 1883). Venant sans doute de Nosy-Be, il s'était installé dans la ville basse où il tenait un bazar où l'on trouvait à peu près tout. Enrichi par le développement de la ville, il déménagea plus tard dans la ville haute, près du marché qu'il avait construit. L'Annuaire de 1902 décrit ainsi ses activités : « Propriétaire du grand Bazar de la ville où l'on s'approvisionne facilement en combustibles, mercerie, quincaillerie, tissus, bonneterie, chaussures, papeterie etc. On y trouve tous les articles sauf les boissons alcooliques et le saindoux qui font toujours défaut chez les commerçants musulmans «. On y trouve tout...sauf les cartes postales qu'il n'a pas encore commencé à éditer en 1902. Mais il va bientôt s'y mettre et deviendra un des premiers éditeurs de photos de la ville assisté de son fils Goulamhoussen Charifou.
Chatard
Les frères Chatard, Martial et Emile, originaires de Limoges sont arrivés à Diego Suarez au début du siècle (ou à la fin du XIXème siècle). Dans l'Annuaire de 1902, ils sont cités comme « négociants en gros et en détail ». Très rapidement, ils vont devenir des notables de la ville où ils feront partie des principales instances: Commission Municipale, Commission consultative, Comice agricole. Emile Chatard est même chef de la fanfare de Diego Suarez : « L'Antsiranaise ». Ils ouvrent également une Imprimerie. Dépôt de toutes les publications officielles de Madagascar, elle imprimera plusieurs journaux locaux dont La cravache antsiranaise et la Gazette du Nord de Madagascar. C'est également de l'Imprimerie Chatard que sortent toutes les affiches officielles ou non de Diego Suarez. D'abord installée dans la rue Colbert, la maison Chatard ouvre, le 1er novembre 1908, des locaux au coin de la rue Flacourt et de la rue de la Meurthe . On y trouvera non seulement le magasin d'articles de Paris et de fournitures de bureau, mais aussi les ateliers d'imprimerie et de reliure.
Martial Chatard meurt le 5 décembre 1907 à Diego Suarez mais son frère Emile conservera l'imprimerie qui sera cependant dirigée par plusieurs gérants, notamment M.Borriès, lui-même commerçant qui avait fondé le journal satirique La cravache antsiranaise. Les très nombreuses cartes postales éditées par la maison Chatard n'indiquent pas le nom du photographe mais on peut penser que, du moins dans les premières années, ce fut Martial lui-même, (il avait publié des clichés dans L'Illustration) qui fut l'auteur de photographies d'une qualité parfois remarquable.
Laudié
La maison Laudié et fils, fondée en 1900 est d'abord une épicerie qui fait également commerce de chaussures, vins, bières etc. L'Annuaire de 1902 le présente comme négociant en gros et demi-gros
Mais, rapidement, Laudié va se spécialiser dans l'éclairage en important les lampes à acétylène qui éclaireront les rues de la ville. Associé à M.Matte il va créer la « Société d'Electricité Matte et Laudié » qui signe en 1916 un contrat de fourniture d'électricité à la ville à partir d'une usine thermique. Les dissensions avec la municipalité amèneront Laudié à créer un journal, la Gazette du Nord de Madagascar, qui s'attaquera inlassablement aux autorité municipales. Les cartes postales éditées par Elie Laudié datent surtout de 1906, notamment avec une série consacrée à la visite du Gouverneur Général Augagneur.
Cassam Chenaï
Grande famille toujours présente à Madagascar, les Cassam Chenaï sont arrivés à Diego Suarez en 1907. Partant d'un commerce de détail rue Colbert, la maison va connaître un important développement avec Mamodaly Cassam-Chenai . Aux activités d'import-export, Cassam Chenaï ajoutera, dans les années 20, l'édition de cartes postales.
Jourdil
Venant de Majunga où il s'était établi au début du siècle, Jourdil tient, rue Flacourt, un commerce d'articles de Paris, mercerie, chaussures, parfumerie (Annuaire de 1909).
Et les autres...
La rue Flacourt semble d'ailleurs être propice à l'édition de cartes postales (sans doute en raison de la proximité de l'Imprimerie Chatard) puisque c'est là que l'on trouve également les frères Graindorge qui tiennent un magasin d'alimentation depuis 1905; Pierre et Jacques Charpentier, propriétaires du magasin « Au Kimono »; Dalberto et Malgarinos, eux aussi installés rue Flacourt : tous, à un moment ou à un autre, éditeurs de cartes postales.
Les sujets traités
La majeure partie des cartes postales éditées à Antsirane dans le premier quart du XXème siècle montrent, classiquement, des vues de la ville: vues générales, panoramas. Ou bien le port et ses installations. Beaucoup reproduisent les bâtiments importants dont sont fiers les antsiranais: la Résidence, l'Hôtel des Mines, les banques, les églises ou les mosquées, le Tribunal, le marché et même... la prison ! Les principales rues sont également représentées: la rue Colbert, le plus souvent; puis la rue Flacourt, la rue de la Poste, la rue Gouraud. De nombreuses cartes montrent les « indigènes » des différentes ethnies ou bien les petits métiers : porteurs d'eau, vendeurs de lait etc. D'autres représentent des scènes typiques: « à la fontaine »; un mariage... D'autres encore évoquent les différentes fêtes: 14 juillet, bien sûr, mais aussi fêtes traditionnelles : kabary, fêtes sakalaves, anjouanaises, malabars. Enfin, certaines cartes, précieuses pour l'histoire de la ville, immortalisent les évènements importants: cyclones, visite des gouverneurs: Gallieni, Augagneur; inaugurations; enterrement de l'administrateur-maire ; exécution d'espions; défilés militaires etc. Nombreuses sont aussi les cartes « souvenir » portant une mention affectueuse autour d'une vue de la ville. Enfin, plus rares, certaines cartes postales sont à intention satirique pour se moquer d'un personnage ou de certains aspects de la vie antsiranaise. Ces cartes postales, dont les lecteurs de la Tribune ont pu voir un nombre important de reproductions au fil de nos articles, sont des témoignages historiques d'une importance considérable qui nous permettent d'imaginer ce qu'était la ville de Diego Suarez il y a plus d'un siècle et la façon dont les gens y vivaient. Ayons donc une pensée reconnaissante pour ces photographes parfois inconnus qui nous ont laissé ce témoignage et pour les éditeurs qui ont permis la circulation de ces clichés que nous recherchons et contemplons avec émotion de nos jours.
■S.Reutt - Ass. Ambre
Commentaires
Vous êtes formidable. c'est du beau travail.
Je vous remercie de nous faire partager ce passé très riche en évènements.
Fakroudine
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