Alors que Madagascar est choisie par le magazine Lonely Planet comme l'une des meilleures destinations touristiques pour l'année 2013, et que la région nord est celle qui a connu la plus grande progression dans le secteur touristique de la Grande Île depuis 2002 -tant par le développement de l'offre que par la progression du nombre de visiteurs-, un patrimoine exceptionnel reste caché, ignoré, et subit une dégradation rapide : les fortifications de la Baie de Diego Suarez. Sa mise en valeur à peu de frais pourrait pourtant, en venant compléter la gamme de l'offre touristique de la région, contribuer à la propulser au premier rang des destinations touristiques de Madagascar
On s'en souvient, la Tribune s'était faite porte parole des membres de l'association Ambre et de leur inquiétude quant à la dégradation rapide de ces vestiges en raison des pillages dus aux récupérateurs de ferraille. Cette prise de conscience avait abouti en juin 2011 à la création d'un « Comité de préservation et de mise en valeur du patrimoine historique militaire de la baie de Diego Suarez », structure ad hoc réunissant les institutions concernées sous le patronage des autorités régionales. Les membres de l'association Ambre s'étaient vu alors confier la mission de réaliser un inventaire du patrimoine existant et de proposer un programme d'action pour sa préservation et sa mise en valeur. Le résultat de cet inventaire, réalisé en partenariat avec La Tribune, prend la forme d'un guide touristique de trois cent pages, quasiment achevé et qui sera bientôt publié. Les chapitres d'introduction historique de ce guide ont déjà été publiés en cinq épisodes dans ces colonnes sous le titre « les fortifications de la Baie de Diego Suarez » (1, 2, 3, 4, 5). Il permet d'ores et déjà les conclusions les plus encourageantes : près de cinquante sites identifiés forment un ensemble parfaitement cohérent caractéristique de l'architecture militaire de l'âge de la révolution industrielle, dans un état de conservation exceptionnel malgré une dégradation rapide à l'heure actuelle. Une présentation proposant une mise en perspective de toute une époque historique à travers l'illustration qu'offrent ces vestiges est donc tout à fait envisageable.
Un patrimoine exceptionnel, unique au monde
Représentation 3D des fortifications de la Baie de Diego Suarez, à Madagascar, telles que décrite par le Colonel Gallieni dans son rapport de 1904. Les figures son caricaturés mais l'emplacement et le nombre des canons représentés sont exacts.
Si les premiers aménagements de défense de la baie furent sommaires, la plan de défense élaboré par le futur Maréchal Joffre quand Diego Suarez fut déclaré « Point d'appui de la flotte » s'apparente à un « cas d'école », réalisé en quelques années seulement, avec un budget colossal, en application stricte de la doctrine en vigueur, dans ses aspects les plus modernes et novateurs :
- Principe du « rideau défensif » issu de la doctrine du général Séré de Rivière, constitué d'un ensemble de forts équipés de casemates d'artillerie (casemates de Bourges) se couvrant mutuellement et disposés stratégiquement tout autour de la Baie pour mettre à l'abri de l'artillerie adverse les secteurs à défendre.
- Front de mer organisé en trois lignes aux fonctions tactiques spécifiques : défense des abords de la Baie, interdiction de la Passe, défense du port et de la base navale.
- Eclairage électrique pour la défense de nuit, basé sur un dispositif de projecteurs d'artillerie sous abris fortifiés, alimentés par des groupes électrogènes à pétrole.
- Réseau de télégraphie optique pour les communications,
- Artillerie moderne équipée du dernier cri en matière de télémétrie et d'assistance à la visée,
- Schéma logistique intégré comprenant des magasins souterrains reliés aux batteries qu'ils desservaient par des voies de chemin de fer
- Vastes installations d'entretien et casernements.
Le Fort C à Cap Diego
Le Fort C, ou Fort du Cap Bivouac, à Cap Diego, est un ouvrage typique du système Séré de Rivières avec sa casemate de Bourges.
Une des caractéristique de ces défenses est qu'elles combinent un front de mer et un front de terre sur une étendue très limitée géographiquement : on passe en effet en quelques kilomètres des batteries de côte d'Orangéa aux défenses typiquement terrestres de Cap Diego, en passant par des forts de montagne comme Windsor Castle ou Anosiravo, dans la Montagne des Français. La vue depuis une de ces hauteurs embrasse l'ensemble du schéma de défense et offre une illustration exemplaire et spectaculaire des principes mis en œuvre.
Et ce spectacle est non seulement saisissant, mais de plus unique au monde : Diego Suarez est en effet le seul point d'appui de la flotte dont les aménagements sont toujours visibles. L'état exceptionnel de conservation des intervalles et de la plupart des infrastructures est en effet la conséquence de la lenteur de l'urbanisation de la ville. Les vestiges des autres points d'appuis, tels que Dakar ou Saïgon, ont depuis longtemps disparus, engloutis par l'expansion rapide de ces mégapoles.
On peut ainsi affirmer sans exagération que Diego Suarez est à la stratégie militaire de l'âge industriel ce que la cité de Carcassonne est à celle de l'âge féodal : un exemple complet, exceptionnellement préservé, présentant une unité géographique permettant au visiteur de facilement l'appréhender.
Et quand on mesure la part du tourisme dans l'économie de cette cité, on ne peut que souhaiter qu'il en soit de même pour Diego Suarez...
Près de 50 sites identifiés
Près d'une cinquantaine de sites sont encore existant comme permet de le constater ce plan.
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Programme de préservation et mise en valeur
La préservation de ce patrimoine serait une conséquence bénéfique de sa mise en valeur : on peut raisonnablement espérer en effet que le fait qu'il devienne une destination touristique contribue à motiver les habitants, rendus conscients de l'enjeu économique qu'il représente pour eux, à le défendre contre les pillards.
Un programme de mise en valeur devrait comprendre différents axes tels que :
- l'aménagement des accès et des sites : débroussaillage et consolidation des pistes, signalisation et balisage des accès, pose de panneaux d'interprétation (historique, technique)
- la création de circuits touristiques, en partenariat avec les opérateurs, permettant de proposer la visite des différents secteurs selon différentes formules adaptées au temps disponible et aux centres d'intérêts (randonnée, VTT, quad, 4x4, bateau...) et thématiques : architecture, stratégie militaire, etc..
- un programme de formation de guides pour les rendre à même d'enrichir les visites proposées par des connaissances historiques et techniques avancées.
- la création d'un musée à vocation de centre d'interprétation, dans un des ouvrages situés à proximité immédiate de la ville (Fort G, Fort H, Lazaret ?). Ce musée devra présenter les différents schémas de défenses, techniques mises en œuvre, le contexte historique, etc.. de façon accessible et ludique à travers des installations multimédias permettant plusieurs niveaux de lectures afin de satisfaire tous les publics. On pourrait envisager également d'y récupérer et de remettre en état les quelques armements encore présents dans la place.
- Une campagne de communication comprenant, hormis la publication du guide, l'édition d'affiches, brochures et de plaquettes relatives aux sites, aux circuits, aux éléments historiques et stratégiques, un site internet, un DVD, etc.. afin de mettre à disposition des guides des supports de connaissances, et faire connaitre et diffuser ce patrimoine.
Un projet d'avenir pour la région
L'intérêt économique d'une telle mise en valeur est une évidence. Les militaires ayant l'art de choisir avec soin les emplacements de leurs implantations, faire visiter ces sites à des touristes leur garantit de passer par les plus beaux points de vues sur la région. En diversifiant de plus la thématique de l'offre, Diego Suarez devient la seule destination de Madagascar à proposer en plus de son offre balnéaire, écologique, sportive -que l'on retrouve à divers degrés ailleurs dans l'île- une offre culturelle et historique unique qui la démarque de ses rivales.
Ce diaporama présente les points de vue exceptionnels que découvrira le visiteur des fortifications de la Baie de Diego Suarez
Un tel programme aurait également des retombées économiques sociales à considérer, à la mesure de l'effort engagé : retombées directes telles que la création d'emplois et la formation de guides spécialisés, mais aussi allongement de la durée moyenne du séjour des touristes avec des retombées à moyen et long termes sur tout le tissu économique de la région.
Si les membres de l'association Ambre ont jusqu'à maintenant mené seuls le travail nécessaire pour rassembler ces informations, la mise en œuvre d'un tel programme ne peut être envisagée qu'en réunissant les efforts de toutes les parties concernées : depuis les autorités de la Région et l'Office du Tourisme, pilotes naturels d'un tel projet, en passant par les tours opérators qui ont tout à gagner à cette extension majeure de leur offre, toutes les organisations œuvrant dans le domaine social qui devraient être intéressées par l'aspect formation et réinsertion, jusqu'aux militaires qui peuvent mettre à disposition les différents sites -et leurs bras pour les travaux- et valoriser ainsi leur vaste domaine foncier.
A l'heure où la communauté française se sent abandonnée à travers la fermeture annoncée du Lycée Français et celle évoquée du Consulat, soutenir un tel programme ne pourrait avoir que des conséquences bénéfiques. En mettant en valeur l'importance de l'effort consacré pour réaliser ces fortifications, pour laquelle la métropole pourrait se sentir redevable aux familles qu'elle était heureuse d'avoir à son service quant il fallait bâtir. Et que ces installations, rendues inutiles par l'histoire, si elles devenaient un élément solide du développement du tourisme dans la région, un support éducatif pour la jeunesse, pourraient être perçues non plus comme une gigantesque gabegie, mais au contraire comme un magnifique cadeau de l'ancien administrateur à ses anciens administrés...
■ PZ