Quand Diego devient territoire français, en 1885, les journaux ne tarissent pas d'éloges sur cette baie, une des plus belles du monde, d'une parfaite salubrité, capable d'accueillir toutes les flottes du monde, indispensable à l'essor maritime de la France, etc... Cependant, des avis divergents vont se faire jour quand il s'agira de voter les crédits nécessaires au développement de la nouvelle colonie
« Deux gros bourgs ont été édifiés »
Malgré cela, le Territoire, et Antsirane notamment, se développe. Alors que la ville basse s’était développée anarchiquement, au gré des nouvelles arrivées, l’espace civil qui se construit sur le plateau répond aux impératifs d’urbanisme. Découpé géométriquement, il obéit au régime des concessions qui exige un titre foncier pour toute construction; concessions qui, depuis l’arrêté du 16 novembre 1887 sont attribuées à titre temporaire : « les concessions urbaines qui n’auront pas été closes et habitées dans un délai de 3 mois seront reprises par l’administration ». Les constructions, faites d’abord en bois ou même en « falafa » se multiplient: on compte, au début de 1888, 187 maisons en bois et 528 cases en falafa. Le bulletin de la Société de géographie de Marseille énumère les progrès de l’urbanisme: « Notre colonie de Diégo-Suarez se développe rapidement. Une grande école indigène a été ouverte; on y construit un hôpital avec le produit des droits sur le rhum; un boulevard a été tracé pour monter sur le plateau qui domine Antsirane et il est question d’amener l’eau dans la ville. La plaine d’Anamakia, dans le voisinage, devenue déserte pendant la guerre, se peuple et se couvre de riches plantations ».
« Le seul commerce florissant est celui des marchands de liquide »
Dans cette ville qui se crée, la quasi-totalité des produits consommés proviennent de l’importation. D’après le Ministère de la Marine et des colonies, les produits d’importation les plus recherchés en 1888 sont les suivants : « Les toiles peintes sont très recherchées. Elles sont de fabrication anglaise et viennent de Nossi-Be ou de Bombay[...] Les Malgaches achètent surtout, pour leurs limbous ou lambas, les mouchoirs de coton, en pièces, à couleurs vives et à dessins rouges, noirs, blancs et verts sur jaune. Les guinées, les cotonnades croisées, blanches, bleues ou écrues, sont d’origine américaine. Elles se vendent 0fr75 le yard à Nossi-Be et 1 fr 10 le mètre à Diégo-Suarez. Les soies et le satin, trame de coton, sont très recherchés par les femmes malgaches[...] La chaussure et les vêtements blancs, par contre se vendent à des prix très bas. Ainsi, une paire de bottines coûte 10 francs et un vêtement complet de toile croisée, avec boutons de nacre, 12 francs. Tous ces articles pourraient être expédiés de France, ainsi que la vaisselle commune, à fleurs. Une douzaine d’assiettes est vendue un franc à Diégo-Suarez. Les articles de quincaillerie, envoyés à Madagascar, sont de provenance anglaise ou allemande. L’industrie française pourrait fournir des pelles, des bêches, des pioches, des scies, des clous et des objets en fonte.»
Les Tablettes coloniales dans leur numéro du 25 juillet 1888 déplorent d’ailleurs que « les marchandises françaises ne figurent encore qu’à l’état d’exception à Diego-Suarez. Le marché est encombré de produits anglais et allemands ». Le gouverneur Froger s’adressera d’ailleurs, dans plusieurs lettres, à Rouen pour trouver des fournisseurs de textiles. Alors, une calomnie l’article du Journal des débats qui affirme que l’on vend surtout du rhum ? Hélas non. C’est encore dans Les tablettes coloniales que l’on peut lire que « les débitants de rhum et de liqueur pullulent» et que «les articles d’importation les plus demandés sont [...]les spiritueux»!
Mais à quelque chose malheur est bon puisque les taxes sur le rhum ont servi à financer l’hôpital !
Un coin de terre désolé par la fièvre?
Effectivement, et malgré la réputation de salubrité de Diego Suarez, de nombreux civils et militaires ont été décimés par ce que nous appelons « le palu » et que l’on nommait « les fièvres ». Le Président du Conseil général de La Réunion, Brunet, venu en mission en 1888 s’élève contre cette crainte dans une argumentation contestable : « Un des meilleurs moyens d’éviter la fièvre est de vivre, non dans l’isolement en rase campagne, mais dans les centres de population[...]On a reconnu qu’au centre des villes situées dans les plaines marécageuses, la fièvre ne sévit pas ».
Moralité : il faut développer Antsirane, et principalement, selon Brunet, grâce à des colons réunionnais habitués au climat ! Plus prudent, le colonel Badens, commandant militaire de Diego Suarez avait fait commencer, dès fin 1887, la construction du « sanitarium » (sic) de la Montagne d’Ambre à 1136m d’altitude!
Un coin de terre ...rebelle à toute culture?
Là encore, le Journal des débats n’a pas tout à fait tort... et pas tout à fait raison. Si le Bulletin de la Société d’Acclimatation de France, sous la plume d’un botaniste, déplore la difficulté qu’il y a à faire pousser certaines plantes (d’après lui « il n’y a rien à faire pour faire pousser le eucalyptus » !), par contre, Brunet, lors de sa mission, constate que les sept dixièmes de la plaine d’Anamakia « sont affectés à la culture presqu’exclusive du riz, entreprise par des indigènes Makoas et Betsimisaracks » et que « 50 hectares environ sont détenus et travaillés par des colons originaires pour la plupart de l’île de La Réunion: MM.A.Gangnant, G.Hoareau, Ethève, Gabriel Turpin, Emile de Lanux, Vincent Paris, Sarda, Fontaine, Dalleau, Nativel etc.» dont les plantations de légumes « sont fort belles ». Même chose le long de la rivière des Caïmans où des portions de terre sont occupées par quatorze concessionnaires.
Cependant, malgré l’enthousiasme de Brunet vis à vis des réalisations de ses concitoyens, beaucoup de colons se décourageront et plusieurs dizaines repartiront à La Réunion.
(A suivre)
■ Suzanne Reutt