Selon la Solidarité des Intervenants Fonciers, bon nombre des conflits liés à la propriété foncière sont localisés dans les communes et districts où le BIF, Birao Ifoton’ny Fananan-tany (décentralisation de la gestion foncière) n’a pas été installé
Alors que les dossiers portant sur les litiges fonciers s’empilent dans les tribunaux, leurs impacts socio-économiques et sur les droits humains sont presque chaque jour rapportés dans les journaux
A cause d’un litige foncier touchant plusieurs familles, le fokontany de Mahagaga, commune rurale de Mahavanona ne trouve pas de tranquillité depuis sept ans. Le chef fokontany Noel Randriamanda s’inquiète de l’impact que ce litige risque d’avoir sur la sécurité dans le quartier « nous craignons que les concernés en arrivent à s’entretuer » a-t-il déclaré. Le 22 janvier, sous un abri où se tiennent traditionnellement les réunions du village, la discussion commence sur un ton calme, puis les voix s’élèvent peu à peu pour en arriver aux insultes et provocations. Dans d’autres parties de la région DIANA, la scène est à peu près identique bien que l’objectif de ces réunions soit d’établir le dialogue et chercher ensemble une solution. Lorsqu’il y a expulsion, les expropriés se retrouvent démunis et sans abri puisque parfois il n’y a pas de mesures d’accompagnement ou de dédommagements.
Dans la DIANA, le responsable régional de la Solidarité des Intervenants sur le Foncier a entre les mains une dizaine de dossiers sur lesquels la société civile est appelée à intervenir. Elle intervient à titre de médiatrice, pour la préservation du droit à la propriété foncière, pour s’assurer que les droits humains ne soient pas foulés aux pieds, mais aussi pour préserver la paix et la sécurité au sein des communautés concernées. Dans la DIANA, la direction régionale de la population fait appel à la SIF représentée par Jacquis Maurice (membre aussi du Comité National pour la Défense des Droits Fonciers) pour la médiation dans le règlement de certains litiges. Bien au-delà des batailles juridiques, les conflits générés par des questions foncières aboutissent aux meurtres et à la vindicte populaire et ces cas sont loin d’être rares. « Il arrive aussi que des innocents se retrouvent en prison car la partie adverse a réussi à convaincre les juges du tribunal correctionnel qu’elle a subi de la violence ou reçu des menaces de la part de ceux qui sont en principe les propriétaires du terrain » explique Jacquis Maurice « ce qui leur facilite la tâche dans l’expropriation du terrain ». L’expropriation qui apporte avec elle ses lots d’injustice. Parmi les dossiers que Jacquis Maurice a entre les mains, une école, un centre de santé de base avec tout un village, sont menacés de démolition. A Nosy Be, à Antsiranana I et II ainsi qu’à Ambilobe, des centaines de familles risquent de perdre leurs foyers et la terre qu’ils ont cru leur appartenir puisqu’ils l’ont aménagée et entretenue pendant des dizaines d’années. « Le mode opératoire de ces gens qui ont l’intention de s’approprier le terrain d’autrui est assez similaire. Ils remontent au dernier document prouvant la propriété du terrain et se l’attribuent. Comme le tribunal ne reconnaît que de tels documents pour en rattacher la propriété, il ordonne tout simplement que soient expulsés les gens qui l’ont aménagée et entretenue pendant des années. Ignorant le fait que ces prétendus propriétaires, pendant tout ce temps ne se sont pas manifestés et n’ont jamais rien fait sur le terrain » explique Jacquis Maurice.
L’ignorance des règles de droit à la source du problème
L’ignorance est la source de nombreux différends se rapportant à la propriété foncière. A Mahagaga, Mahavanona, l’acheteur a acquis un terrain qui faisait partie d’un héritage indivis. Le conflit est apparu lorsque l’acheteur a touché à une partie du terrain voisin croyant qu’il faisait partie de la superficie vendue par l’un des héritiers. A d’autres endroits, les familles qui ont occupé le terrain ne savent pas qu’il est possible de formaliser les droits sur la terre qu’elles ont mis en valeur. Ce n’est que lorsque les problèmes surviennent ou que d’autres personnes convoitent la terre que l’on crie à l’injustice. Selon la Solidarité des Intervenants Fonciers, bon nombre des conflits liés à la propriété foncière sont localisés dans les communes et districts où le BIF, Birao Ifoton’ny Fananan-tany (décentralisation de la gestion foncière) n’a pas été installé. Ces guichets fonciers installés au plus près de la population facilitent le transfert des informations et la réalisation des formalités menant à la délivrance du certificat foncier. Suite à la crise de 2009, l’arrêt du financement et l’impossibilité pour les communes de supporter les charges, 20 % des 471 BIF installés à travers la Grande Île ont fermé leurs portes. A l’heure actuelle, les missions des différents intervenants (SIF, association de défense des droits de l’homme, Comité National pour la Défense des Droits Fonciers, directions régionales des ministères concernés, les Communes et Régions) différent les uns des autres. Pour la société civile, elle est de garantir que les droits des parties touchées par le différend ne soient pas violés, pour les autorités publiques, elle est surtout d’éviter que ces conflits ne dégénèrent
L'acte notarié solution à l'insécurité
Dans les litiges fonciers, les parties au conflit en arrivent à remettre en cause les documents délivrés par les administrations, allant jusqu’à accuser les responsables de créer des certificats et des attestations. Le personnel de service des domaines est souvent pointé du doigt, accusés d’être corrompu et cherchant à léser telle ou telle partie. Cette méfiance ne fait qu’aggraver des situations déjà bien tendues. De plus, ces actes qui engagent la responsabilité du Conservateur (premier responsable du service des domaines, NDLR) peuvent faire l’objet de contestation devant le tribunal. Les droits de propriété peuvent alors à tout moment être contestés. En passant par le notaire, la vente est sécurisée par un acte authentique, donc ayant une force probante et exécutoire. Pourtant, le recours au notaire ne se fait pas encore de manière systématique à Madagascar. Maître Ravelomanantsoa Hery Manoa, notaire à Antsiranana, répond à quelques questions relatives aux actes notariés.
Les actes sur les ventes immobilières ne passent pas toujours par le notaire, le recours au notaire est donc contournable ?
Le recours à un notaire est obligatoire lorsque la valeur de la transaction est de plus de quinze millions d’ariary. L’acte sous seing privé ne passe pas au service des domaines dans ce cas. Lorsque la valeur du bien est inférieure à ce montant, les parties à la vente peuvent ne pas faire appel au notaire, mais à leur risque et péril. La vente peut à tout moment être annulée.
La sécurité est donc tout l’intérêt de passer par un notaire ?
D’un côté, l’acte notarié sécurise les parties à la vente et le Conservateur. L’acte notarié est authentique, donc a la force probante et exécutoire. Il est un moyen de preuve décisive et l’exécution forcée peut être réalisée si elle est nécessaire. Pour le Conservateur qui a une responsabilité trentenaire, il est lié durant cette période par tous les actes qu’il a délivrés. L’acte notarié de par sa force probante est important pour le Conservateur dans cette responsabilité. Le notaire est lui aussi responsable lorsque l’acte a été dressé devant lui. Il a l’entière responsabilité de la rédaction de l’acte, la garantie de conservation de celui-ci est de 90 ans. D’un autre côté, recourir à un notaire facilite la tâche des parties à l’acte puisqu’il s'acquitte des formalités nécessaires à l'authentification de l'acte : enregistrement, versement des droits et taxes, conservation de l’acte…
D’où le tarif élevé du notaire et la raison peut-être pour laquelle les gens ne s’adressent pas au notaire ?
Deux tiers, voire plus de ce que le client s’acquitte auprès du notaire revient à l’État : impôt sur la plus value, droit de mutation, droit fixe, etc. Un huitième du versement est l’honoraire du notaire. Le tarif du notaire est fixé par arrêté ministériel et durant l’entretien, le notaire est tenu d’informer le client du décompte. D’ailleurs, le notaire a l’obligation de conseiller (par respect du devoir déontologique) celle ou celui qui vient le consulter que l’acte sera dressé devant lui ou devant un autre notaire.
Comment faire alors pour informer les gens de tous ces détails ?
Nous travaillons de très près avec le service des domaines qui oriente les gens, pour qu’ils s’adressent à nous. Cette collaboration est sur la bonne voie.
■ V.M