Le navire Esperanza de Greenpeace est actuellement dans l’Océan Indien pour suivre la campagne de pêche au thon, dans l’objectif de dénoncer la surpêche aggravée par la technique des DCP. Une escale à Diego Suarez était l’occasion d’informer les populations locales sur les enjeux et les solutions qu’ils préconisent pour arriver à une gestion durable et équitable de cette ressource en danger d’épuisement
Bien que très souvent critiquée pour ses prises de positions alarmistes, souvent excessives et parfois même mensongères, l’association internationale Greenpeace, forte de ses quelques trois millions d’adhérents à travers le monde, a démontré à plusieurs reprises la justesse de ses combats menés par des méthodes non violentes et qui ont aboutis dans plusieurs cas à une prise de conscience mondiale et à l’instauration de mesures au niveau international dont le bénéfice est incontestable.
Documenter et informer pour influencer
Fidèles à la technique qui a déjà si bien réussi à éviter la disparition totale de certaines espèces marines comme la baleine, les membres de l’association de protection de la nature Greenpeace sont actuellement en campagne dans l’Océan Indien pour documenter dans un premier temps, puis informer le grand public afin d’amener une prise de conscience générale qui oblige par la suite les responsables politiques à prendre des mesures afin d’imposer aux entreprises qui exploitent les ressources naturelles de réguler leur ponction sur l’éco-système et la restreindre dans des marges qui lui permette de se renouveler. Depuis sa création en 1971, Greenpeace a régulièrement démontré la pertinence et l’efficacité de sa méthode. Sa première victoire est l’arrêt des essais nucléaires américains en Alaska. A la suite des actions directes menées en mer contre les baleiniers, en 1982 la Commission Baleinière Internationale adopte un moratoire sur la chasse commerciale à la baleine. En 1999, c’est la pêche au thon rouge en Méditerranée qui est montrée du doigt, et si la résistance des entreprises exploitant cette ressource a été grande, une baisse considérable des captures a été obtenue et le danger de disparition de cette espèce est déjà moins grand. La gamme de ses préoccupations va de la déforestation en Amazonie en passant par les pollution chimiques des océans, jusqu’aux conséquences de la pêche industrielle de différentes espèces de grande consommation. La « documentation » consiste à recueillir un maximum d’informations : relevés scientifiques effectués par des experts dans leurs domaines destinés à soutenir de façon irréfutable les affirmations de l’ONG, photos et vidéo réalisés par des professionnel à l’aide de tout ce que les techniques modernes permettent en terme d’imagerie : caméras sous-marines, drones, hélicoptères, etc.. afin de permettre une vaste couverture média permettant la troisième phase : informer pour provoquer la prise de conscience. Cette prise de conscience est généralement provoquée par des action d’éclats qui font souvent ensuite la une des médias, comme dernièrement le déploiement d’immenses banderoles sur des monuments célèbres tels l’arc de triomphe à Paris, ou l’obstruction à la chasse à la baleine en s’interposant entre les canons harpons des baleiniers et leur proies à bord de petites embarcations. Souvent à la limite de la légalité, ces actions provoquent parfois des controverses qui peuvent se retourner contre leurs auteurs, comme l’action dans le désert d’Atacama où le déploiement de banderoles dans un écosystème particulièrement fragile avait suscité de nombreuses critiques de la part d’associations... écologistes. Mais si certaines erreurs et dérives ont pu nourrir une critique abondamment relayées par les lobby que Greenpeace cherchait à dénoncer, on ne peut que saluer les incontestables réussites qu’ont entraînées la plupart de ses actions. Les essais nucléaires à l’air libre ont été abandonnés par — presque — toutes les nations dotées de cette arme, la déforestation en Amazonie a fait l’objet d’une réelle prise de conscience, des espèces marines ont vu leurs espoirs de survie considérablement augmenter, etc.. Greenpeace peut ainsi se flatter d’être à l’origine de nombreux moratoires et traités internationaux qui ont permis ces résultats.
Depuis 2012, un de ses nouveaux sujets de préoccupation est la très forte pression exercée par le développement industriel de la pêche au thon dans l’Océan Indien.
L’Océan Indien, nouvel Eldorado des thoniers senneurs
C’est en 1983 qu’un thonier s’est pour la première fois aventuré dans les eaux de l’Océan Indien, poussé par la raréfaction du thon dans les eaux de l’Océan Atlantique, zone de pêche habituelle avec l’Océan Pacifique de ce type de navires. Devant les résultats prometteurs, la zone a connu en quelques années un véritable boom de cette activité et a vue l’arrivée de navires de plus en plus nombreux de nationalités française, espagnole, mais aussi indonésienne, occasionnant une très grande pression sur la ressource. L’ouest de l’océan Indien, qui apportait alors 5 % des prises mondiales de thon, en fourni plus de 20 % vingt ans plus tard. Et aucun cadre réglementaire ne limite l’action des navires de plus de cent mètres de long, qui peuvent prendre dans leurs filets plusieurs centaines de tonnes à chaque fois. Leur efficacité s’est de plus régulièrement améliorée grâce à l’emploi de dispositifs de concentration de poissons. Ce sont des radeaux d’environ deux mètres sur deux en bambou, en inox, voire en plastique, avec une traîne de 20 à 50 mètres de filets usagés accrochée en dessous, afin d’éviter qu’il ne dérive trop vite. Une balise fonctionnant avec un panneau solaire, dotée d’un système GPS qui permet de le localiser ainsi qu’un sondeur fournissant une idée assez précise de la masse de poissons qui s’y est agglutinée. Un écosystème se crée en dessous avec des poissons de tous âges, de toutes tailles. Quand le bateau arrive, il ramasse tout en même temps et de très nombreux poissons juvéniles sont prélevés en même temps et renvoyés morts à l’eau.
Les dispositifs de concentration du poisson (DCP) sont des radeaux rudimentaires équipés de balises GPS qui permettent de les localiser. Des vieux filets y sont accrochés et une véritable faune se développe rapidement autour, attirant les bancs de poissons. . Photo : © Greenpeace
Une ressource en danger en l’absence de régulation de la pêche
François Chartier, chargé de mission océan pour Greenpeace en France, a des attaches familiales dans le nord de Madagascar qui l’ont conduit à préférer le port de Diego Suarez pour une escale de ravitaillement avant de poursuivre la campagne actuelle dans le Canal du Mozambique. Selon lui, les trois principales espèces de thons tropicaux qui fournissent les conserveries de l’océan Indien, ne sont protégées par aucun quota. Parmi elles, l’albacore, appelé aussi thon jaune, est nettement en danger : sa population est surexploitée à 94 %. Si la tendance n’est pas inversée, le point de non-retour pourrait être atteint dès 2017, préviennent les scientifiques qui conseillent la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI).
Les grandes compagnies qui exploitent les conserveries ont proposé à la CTOI l’instauration de quotas basés sur les quantités que ces compagnies prélèvent actuellement. Cette solution est inacceptable aux yeux de François Chartier qui rappelle c’est justement le niveau de prélèvement actuel qui met en danger le renouvellement de la ressource. La question de l’usage des DCP est elle aussi épineuse : la concentration de poisson qu’elle entraîne permet en effet d’économiser du gasoil dans la recherche du poisson, rendant cette pêche plus écologique. Les grandes compagnies ont cependant d’ores et déjà accepté de s’interdire l’usage de DCP éclairés la nuit qui augmentaient encore de façon significative l’efficacité de ces dispositifs. Un petit pas en attendant les suivants ?
Madagascar quant à elle, comme la plupart des pays riverains ne touche qu’une très faible part des retombées économiques de cette activité qui se déroule pourtant dans ou à proximité de ses eaux territoriales. L’action de la CTOI devra prendre en compte cette réalité et l’action de Greenpeace, axée sur essentiellement sur la gestion de la ressource, gagnerait sans doute à inclure plus directement les préoccupations sociales que ses questions soulèvent.
■ PZ
Esperanza, l’« espoir » de Greenpeace pour une planète préservée
L'Esperanza ("Espoir" en espagnol) est le premier navire de Greenpeace à avoir été baptisé par un vote des visiteurs du site web de Greenpeace (http://www.greenpeace.org). C'est le quatrième d'une série de 14 navires de lutte contre les incendies commandés par le gouvernement russe entre 1983 et 1987 aux chantiers de construction navale de Stocznia Polnocna à Gdansk. Vitesse et grande résistance à la glace étaient les qualités requises pour ce bateau.L'Esperanza est classé brise-glace, ce qui lui donne la capacité de travailler dans les régions polaires. Sa vitesse maximale est de 16 nœuds et sa longueur hors-tout de 72,3 m. C'est le navire le plus rapide et le plus important de la flotte de Greenpeace. Il est enregistré comme yacht à moteur.
Après son rachat par Greenpeace au début des années 2000, le navire a été complètement transformé pour devenir aussi écologique que possible : amiante retirée, peinture sans substances toxiques, traitement des eaux usées, chauffage à combustion de déchets… Une nouvelle plate-forme d’hélicoptère a été ajoutée, ainsi que des grues de bateaux adaptées aux structures gonflables.
Il a servi dans de nombreuses campagnes dont un voyage de 14 mois autour du monde visant à mettre en évidence les dommages subis par les océans.
Greenpeace a ajouté une webcam sur l'Esperanza en 2006. Elle est située sur la partie avant du navire et envoie une nouvelle image toutes les minutes sur le site de Greenpeace (http://www.greenpeace.org/international/en/multimedia/ship-webcams/Esperanza-Webcam/).
En avril 2006, l'Esperanza a été équipé suivant l'état de l'art d'équipements de surveillance sous-marine, comprenant un engin télécommandé Remote Operated Vehicle (ROV), qui peut filmer jusqu'à une profondeur de 300 mètres, et une caméra capable d'atteindre des profondeurs de 1 000 mètres.
L’Esperanza accueille à son bord 35 personnes : des marins professionnels et des salariés de Greenpeace. Dix-neuf membres d’équipage occupent des postes techniques pour manœuvrer le bateau, les zodiacs ou l’hélicoptère ou tout simplement s’assurer que le bateau fonctionne au mieux. Les 16 autres sont des membres de la mission : ils occupent des postes stratégiques chez Greenpeace (campagne, communication, action…).
L’Esperanza a effectué une escale à Diego Suarez du 13 au 15 avril avant de repartir dans le canal du Mozambique pour poursuivre sa traque des thoniers en infractions.