Combien de fois n’avons-nous pas entendu parler de guérisseurs traditionnels qui parviennent à soulager les patients de maladies qui pouvaient leur être fatales ? Des histoires qui content des méthodes de guérison, parfois compréhensibles, mais souvent entourées de légendes et d’exagérations
A de nombreuses reprises, l’ordre des médecins de Madagascar a interpellé le public et les autorités sur les dangers que ce type de médecine alternative présente. Malgré ça, en matière de fracture, brûlure, piqûre d’insectes et autres affections bien spécifiques, une grande partie de ce public interpellé ne jure que par la méthode et les guérisseurs traditionnels dont les masseurs. Saïd, masseur traditionnel nous parle de ses activités, comment il aide au quotidien ses voisins et de nombreux malades. Il assure que l’efficacité de sa méthode est prouvée.
« A l’hôpital, ils vont utiliser du plâtre et prescrire une ordonnance à la personne malade. Il va guérir mais souvent la personne a un membre déboîté »
Jaotombo Saïd Aly,
masseur traditionnel
A 42 ans, Jaotombo Saïd Aly a découvert qu’il avait un don. A cet âge, il pratique le massage pour la première fois. Tout a commencé le jour où son garçon est tombé d’un manguier. Sa famille et lui habitaient au « croisement Joffreville ». L’enfant était inconscient et avait besoin de voir un médecin. Sa famille se précipite pour l’amener à l’hôpital quand soudain, Saïd dit « on ne va pas à l’hôpital » car il entendait une voix qui l’a convaincu de ne pas voir un médecin. C’est ainsi qu’il a massé son fils jusqu’à ce qu’il soit guéri. Trois jours après l’accident de son fils, un homme est venu demander l’aide de Saïd car en tombant dans un trou, il avait un problème avec sa cheville. « L’homme a guéri en peu de temps » dit-il. En voyant l’efficacité de ses massages, les gens de son quartier se sont adressés à lui-même lorsqu’il s’agissait d’un banal mal de ventre. C’est ainsi qu’il s’est fait connaitre comme masseur traditionnel et désormais les gens viennent de loin pour le voir. Il masse les enfants de tout âge, les adultes hommes et femmes. Il soigne de nombreuses maladies par le massage. Les problèmes de tension artérielle, les femmes qui ne peuvent pas avoir d'enfants ou les femmes qui font de fréquentes fausses couches, les douleurs au ventre, les maladies respiratoires, etc.. Saïd affirme qu’il soigne même les gens que les médecins conseillent d'opérer. Il déclare pouvoir les guérir sans passer par l’opération. Quant au traitement, il dépend de la maladie et de la volonté de chacun. Pour les pathologies aux membres, il utilise du plâtre et pratique le massage pour éviter tout déboîtement. Pour calmer la douleur, il utilise des feuilles. « Au maximum la personne porte le plâtre 6 mois pour qu’il retrouve son état normal, mais tout dépend de la gravité de l’accident » précise-t-il. Si la fracture n’est pas bien grave, Saïd la guérit en massant sans même appliquer du plâtre et la durée du traitement est au maximum de 3 mois.
D’après Saïd, une personne qui s’est fait une fracture a le choix entre se faire soigner à l’hôpital où chez un masseur. « A l’hôpital, ils vont utiliser du plâtre et prescrire une ordonnance à la personne malade. Il va guérir mais souvent la personne a un membre déboîté ».Par contre si un individu va se faire soigner chez un masseur, la personne portera un plâtre pour une courte durée, sera soignée avec des plantes médicinales et des massages périodiques. Une fois guérie, « elle n’aura pas de déformation de la partie qui a été cassée, de plus il sera guéri deux fois plus vite qu'avec un traitement auprès de l’hôpital » assure-t-il. Il arrive que les patients qui s’adressent à Saïd soient passés par de nombreux examens et traitements à l’hôpital, mais ont vu que leur état de santé ne s’améliorait pas. De bouche-à-oreille, ils arrivent jusqu’à Saïd.
Saïd prend 2500 ariary par personne pour le massage, ensuite il prescrit des médicaments que la personne achète dans une pharmacie gasy. Il reçoit des malades dès 5h du matin et jusqu’à midi, mais il ne refuse pas ceux qui le cherchent même dans l’après-midi. Le nombre de gens qu’il reçoit est variable, et peut aller à vingt personnes. Le masseur dit qu’il est possible de vivre de son activité, seulement « la pratiquer n’est pas quelque chose que l'on souhaite, c’est un don de Dieu ». D’ailleurs ajoute-t-il « je n'ai jamais rêvé de devenir masseur ».
Dans la pratique, Saïd ne respecte pas des interdictions particulières ou taboues, mais il estime que tant qu’il a ce don, il n’a pas le droit de se disputer avec les gens, il doit toujours faire preuve d’humilité dans son métier et même s’il se sent fatigué, il ne peut pas abandonner des malades ou de les faire rentrer chez eux sans avoir été reçus car cela lui portera malheur. « A chaque fois que je refuse de masser quelqu’un, il m’arrive un malheur comme me blesser par exemple » raconte Saïd « j’ai peur que ces choses atteignent ma famille aussi ».
Saïd vient d’avoir 62 ans. Depuis 20 ans donc, il aide les gens par ses massages, à se sentir mieux et à guérir. Il soutient qu’il a hérité ce don de ses ancêtres bien que ses parents n'ont aucune aptitude à masser.
Conséquences graves en cas d’échec de la méthode traditionnelle
Bien souvent, des patients guérissent auprès de ces masseurs traditionnels sans avoir fréquenté des établissements sanitaires, mais il arrive aussi que la médecine traditionnelle échoue et que les patients doivent se tourner vers les hôpitaux. Il y a aussi ceux qui ne font jamais appel aux traditions puisque leur confiance ne réside qu’en des connaissances validées par les études, les recherches et expérimentations scientifiques.
Le Professeur Rabemazava Alexandrio, directeur d’établissement du Centre Hospitalier Universitaire de Tanambao I, mais surtout spécialiste en chirurgie générale, agrégé en Chirurgie Orthopédique et Traumatologique insiste sur la nécessité pour les patients de s’adresser aux services spécialisés en cas d’accident, de choc, de blessures ou de traumatismes. La traumatologie ou la chirurgie traumatologique est une spécialité chirurgicale qui prend en charge particulièrement les pathologies des membres causées par des traumatismes dans le cadre d’un accident (accident de circulation, accident de la voie publique, accident sportif, accident de travail, accident à responsabilité civile). Ces pathologies peuvent regrouper différentes entités telles que les contusions, les plaies, les brûlures, les entorses, les luxations et les fractures de membres. Bref, ce sont toutes les affections post-traumatiques de l’appareil locomoteur qui intéressent les os, les articulations et les parties molles d’un membre telles que la peau, les muscles, les tendons, les ligaments, les nerfs.
« Très nombreux sont les cas de patients admis au CHU Tanambao I suite à un échec du traitement traditionnel initial [...] avec des complications graves qui alourdissent davantage le pronostic fonctionnel et éventuellement le pronostic vital »
Pr. Rabemazava Alexandrio,
spécialiste en chirurgie générale, agrégé en Chirurgie Orthopédique et Traumatologique, directeur du Centre Hospitalier Universitaire de Tanambao I
La Tribune de Diego (LTdD) : en quoi le recours au service de traumatologie est-il si important comparé au massage traditionnel qui prouve aussi bien des fois son efficacité ?
Pr Rabemazava : Les avantages de la chirurgie traumatologique face à la médecine traditionnelle malagasy sont multiples et basés surtout sur des connaissances scientifiques résultant des études et de recherche scientifique validées. Les objectifs du traitement sont de soulager le blessé, d’éviter la survenue de complications et d’obtenir la guérison d’une lésion traumatique voire la bonne consolidation d’une fracture des membres. Ainsi, parmi ses avantages, on peut citer le soulagement psychologique et physique, le contrôle de la douleur post-traumatique, l‘obtention d’une consolidation anatomique d’une fracture, la maîtrise des éventuelles complications, la reprise plus rapide des activités et l’existence d’un suivi médical rigoureux à court, moyen et long terme permettant de détecter des éventuelles anomalies et d’en prendre les mesures nécessaires.
LTdD : faut-il craindre des complications en cas d’échec de la méthode traditionnelle ?
Pr Rabemazava : Très nombreux sont les cas de patients admis au CHU Tanambao I suite à un échec du traitement traditionnel initial. Une fracture de membre avec des complications graves qui alourdissent davantage le pronostic fonctionnel et éventuellement le pronostic vital. Pour ne citer que le cas d’une fillette de 9 ans, qui après avoir fait une chute, a présenté une fracture de la diaphyse fémorale. Sa cuisse a gonflé et est devenue douloureuse, son rythme cardiaque s'est accéléré. Les parents amènent habituellement et en premier lieu son enfant chez le guérisseur (« antifagniaina » en malagasy) qui réalise volontairement des multiples égratignures sur la peau en regard du foyer de fracture et applique par la suite des produits traditionnels dont la nature est douteuse et quelque fois même de la salive. C’est après avoir constaté qu’il n’y a pas d’amélioration, et qu’au contraire l’état de santé de leur fille s’est aggravé que les parents sont venus vers la médecine scientifique, soit au bout de 6 mois. Leur fille a présenté une complication infectieuse à type d’ostéomyelite chronique fistulisée du fémur qui invalidait sérieusement l’enfant. Cela veut dire qu’une infection bactérienne très virulente a détruit l’os et la blessure est devenue purulente. Après un traitement médico-chirurgical difficile, long et couteux pour les parents, l’enfant a été sauvé. La guérison nécessitait une double antibiothérapie avec des contrôles biologiques et radiologiques réguliers et de la chirurgie pendant 6 mois à 1 an.
Pour longtemps encore, la discorde subsistera entre les méthodes traditionnelles et la science. Les guérisseurs traditionnels disent prêter main forte aux médecins alors que ces derniers dénoncent des pratiques qui ne font que leur alourdir la tâche. Mais toujours est-il que pour beaucoup de Malagasy, le recours au savoir traditionnel en matière de santé est incontournable d’autant plus que le traitement chez les guérisseurs traditionnels sont de bien meilleur marché.
■ V.M