Véritable phénomène de société, depuis de nombreuses années, les malgaches, notamment ceux du nord de la Grande Île, restent hypnotisés par les séries mexicaines et brésiliennes diffusées à la télévision. Comment expliquer que ces séries aient toujours autant le vent en poupe? Quelles représentations sont véhiculées par ces séries ? Quels impacts ont elles ? Nous avons mené l'enquête
21 H à Diego Suarez
21 H à Diego Suarez, l'heure où les cœurs se brisent. Nous sommes au restaurant l'Orchidée, la patronne arrête momentanément, comme tous les soirs, son service. Aspirée par l'écran, elle s'approche au plus prés du poste de télévision. Nous savons qu'il sera difficile de commander notre diner:« La fille du jardinier » sur TVM, son seul plaisir dans une journée vouée au travail, commence. Sous l'effet de cette série, les couches profondes de son être semblent s'ébranler l'une après l'autre. Elle se laisse complètement happer. C'est ainsi que soir après soir les séries s'égrainent au rythme de 45 minutes à raison de 180 épisodes de « La fille du jardinier ».
Les artifices d'un tel succès
Avant d'aborder les séries mexicaines et brésiliennes à Madagascar, nous devons introduire le mot espagnol « Télénovelas », contraction de « télévision » et « novela » qui signifie « longue histoire ». Ce mot caractérise ces feuilletons qui ont une durée moyenne de sept ou huit mois, et ne sont pas fragmentés comme les séries américaines en saisons. Elles sont un genre tout à fait reconnaissable et répondent à des critères précis que les réalisateurs ont parfaitement mis au point. La recette est la suivante :
Tout d'abord, un casting sélectionne de beaux acteurs. Ensuite, les scénarios tout public les plus basiques sont recherchés : bons sentiments, histoire à l'eau de rose avec des scènes de tension amoureuse où le suspens reste aléatoire. « On est concentré du regard car on ne sait pas si elle va se marier avec le docteur » nous dit Isabelle restauratrice sur Diego Suarez. Des questions sociétales sont toutefois soulevées comme la grossesse chez les jeunes filles, l'alcoolisme ou l'adoption comme dans « La fille du jardinier ». Ajoutons des mises en scène extrêmement peu travaillées avec une utilisation amateur de la caméra, saupoudrées d'un doublage douteux avec des répliques appuyées. Le tout dans un cadre idyllique : des plages de rêve, des maisons somptueuses ou des hôtels sur pilotis. Vous obtenez la recette d'une Télénovela mexicaine ou brésilienne.
C'est ainsi que ces séries se trouvent fabriquées dans de véritables usines à rêve répondant à un cahier des charges précis constamment remodelé en fonction de l'audimat.
Décalage culturel et économique
Décalés par rapport à la société malgache, « les téléfilms sud américains véhiculent des idées et des mœurs qui ne sont pas en adéquation avec notre culture, nos valeurs. Elles nous inculquent des modes de comportement qui nous viennent d'ailleurs » s'indigne Mariana Sylla, cinéaste.
Or précisément c'est ce décalage qui attireles spectateurs malgaches des deux sexes, et de toutes catégories sociales confondues. Les jeunes filles s'identifient aux personnages selon la responsable de la CCJ (Centre d'écoute et de Conseils Juridiques) de Diego Suarez. Influencées par l'habillement, la démarche, la manière de gérer les conflits amoureux ou familiaux, les jeunes filles calquent ce qu'elles voient dans les films et l'applique dans leur quotidien. Ce monde lointain, cet ailleurs que l'on retrouve dans la série « La fille du jardinier », Isabelle se l'approprie et se l'imagine en France car, nous dit-elle, « c'est parlé en français ».
Plus problématique, est l'apparition de comportements déviants chez les jeunes. Comme nous l'explique la responsable de la CCJ, les conseils des anciens ne sont plus pris en compte : « Aujourd'hui il y a un non respect des us et coutumes ». Avec la diffusion des films à la télévision,constate t-elle, « on n'échappe pas à la mondialisation ».
Ces séries comblent elles un vide de la production malgache ?
A l'heure où le gouvernement est tourné vers d'autres priorités que la culture, que les cinémas sont quasi inexistants à Madagascar, l'importance de ces séries mexicaines et brésiliennes croit sans cesse.
Même si quelques séries malgaches apparaissent, elles restent marginales. La plupart des films malgaches « Made in Madagascar » provient principalement de la maison de production Scoop Digital qui ne sort tous les ans que trois à quatre films. Malok' ila (maloka/ombre et ila/moitié) par exemple, diffusée à 6h30 sur TVM, en fait partie. Cette série malgache à grand succès (dont la suite a pour titre « quoi de neuf ») attire pourtant 5 millions de téléspectateurs et son coût d'achat reste inférieur aux séries américaines. Dans son magasin de films « Studio Rino » à Tanambao IV, le vendeur nous explique qu'il est d' ailleurs plus facile de vendre des séries mexicaines et brésiliennes que des séries malgaches car ces dernières sont « protégées par la loi et qu'on risque d'être réquisitionné ».
Loueur de vidéos à Diego Suarez
Ainsi, pour des raisons de coût, de facilité, « le divertissement culturel » proposé par les séries mexicaines et brésiliennes s'impose et submerge l'espace audiovisuel constituant un choix culturel de fait à propos duquel on peut s'interroger sur l'intéret qu'il représente pour le développement du pays..
Nuançons toutefois les critiques souvent répandues par les intellectuels à l'égard de ces séries populaires. Et rappelons qu'à l'instar de ces séries mexicaines et brésiliennes, les séries américaines tout aussi populaires inondent la planète et imprègnent les téléspectateurs de valeurs qui ne sont pas toujours les siennes.
■ Texte & photos : C.B.